L. 490.  >
À Hugues II de Salins,
le 14 septembre 1657

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 14 septembre 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0490

(Consulté le 28/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre des mains de monsieur votre beau-frère, qui est un fort honnête homme. Je vous remercie du souvenir que vous avez de moi. Je ne manquerai point de vous acheter les deux livres que vous me demandez quand ils se rencontreront. Je vous envoie deux thèses [2][3] auxquelles a présidé mon fils aîné. [1][4] Il y a bien ici de la petite vérole, [5] où le grand remède est de saigner [6] au plus vite, ante, inter et post eruptionem, ut subtrahatur materia tot pustularum[2][7] La décoction de lentilles [8] n’y vaut rien, c’est une erreur populaire qui vient des Arabes [9] avec plusieurs autres. Si on leur étuvait le visage avec une décoction de grains de lin et de fenugrec [10] tiède, cela y servirait davantage ad rarefactionem cutis et aperiendos meatus[3] Je me sers en ce cas-là ordinairement d’eau tiède de rivière ; personne ne se sert ici de décoction de lentilles, c’est un pur abus, en ce cas-là elle est astringente ; [11] vide Sennertum in Instit. lib. 4, part. i, cap. 3. De nido hirundinum in angina idem censeas velim : tibi dictum puta illud Poetæ : [12][13][14]

Si sapis, ignotum noli præponere notis :
Cognita iudicio constant, incognita casu
[4]

In anginioso affectu cito secanda venit utraque basilica, et postea veniendum ad iugularium sectionem : et hæc omnia intra biduum, ne tertio die suffocantur ægri. In tam præcipiti affectu nidus hirundinum et alia eiusmodi, sunt empiricorum nugæ bullatæ, quas vir bonus debet aspernari, et alto supercilio negligere. In vomitu sanguinis copioso, etc. [5][15][16][17] Il faut saigner hardiment des deux bras, si vires ferunt, et ea arte sunt deplenda maiora vasa ; imminuta plethora, ad revulsionem[6][18] on peut saigner du pied, et non autrement, nec unquam initio morbi. In morbis chronicis licet sensim declinare et ascendere ad validiora, suntque sæpius immutanda, ne tandem lenioribus assuescat natura[7]

Ce qu’a fait M. de Primerose [19] est passablement bon, mais le meilleur de tous est son livre de vulgi erroribus in medicina qui a déjà été plusieurs fois imprimé. J’apprends aussi qu’il a fait de morbis mulierum, que je n’ai point encore vu. [8] Il fait la médecine en une certaine ville septentrionale d’Angleterre. Son père [20] était un ministre de Bordeaux que le roi Jacques vi [21][22] appela vers soi à Londres pour l’Église française. Il haïssait fort les moines et a fait contre eux un ouvrage intitulé le Vœu de Jacob en quatre tomes in‑8o que j’ai vus autrefois. [9][23] In præfocatione hysterica movetur uterus in proprio loco, sed non extra illum : vide Riolanum in Anthropographia[10][24][25]

On dit ici que le roi [26] s’en va à Metz. [27][28] Le cardinal Antoine [29] s’en est allé à Rome ubi nutat valetudo Iovis Capitolini[11][30] et c’est la vraie cause pour laquelle il s’en retourne, quoi qu’on en allègue d’autres. La peste [31] est cruelle à Gênes [32] et < il y a > grande assemblée à Francfort [33] pour l’élection de l’empereur. [34]

Je vous baise les mains, à mademoiselle votre femme, à monsieur votre père et à monsieur votre frère, et à toute la famille.

Le Varandæus [35] est tout nouvellement achevé à Lyon. Je ne l’ai point encore vu in‑fo, mais je puis vous assurer qu’il a été un grand personnage. Mandez-le hardiment à Lyon, il se vend chez M. Fourmy. On y commence l’édition de toutes les œuvres de Io. Heurnius [36] in‑fo, ce sera un bon livre. [12]

Ce même M. Fourmy a aussi imprimé les Mémoires de Gaspard de Saulx, maréchal de Tavannes, [37] grand seigneur de votre province de Bourgogne. Ce sont des mémoires qu’il a écrits lui-même depuis le temps de François ier [38] et Henri ii[39] jusqu’à la mort du roi Charles ; [13][40] il y a là-dedans d’assez étranges choses qu’il fait bon voir et savoir.

On a ici condamné à la Tournelle [41] un prêtre d’Auxerre [42] à être brûlé pour avoir débauché et engrossé des religieuses dont il était le confesseur. [43]

Les œuvres de feu M. Gassendi [44] seront achevées à Lyon, en six tomes in‑fo, au commencement de l’an prochain. Nanteuil, [45] excellent graveur, travaille ici à faire son portrait en taille-douce qui y sera mis ; la planche que Nanteuil doit rendre coûtera 100 écus, le marché en est fait, j’en ai été un des stipulants. [14]

Ceux de Rotterdam [46] en Hollande ont délibéré de faire une nouvelle édition de toutes les œuvres d’Érasme [47] pour honorer la mémoire de celui qui a tant fait d’honneur à leur ville par sa naissance, son bon esprit et son érudition singulière ; cette nouvelle édition se fera aux dépens de leur ville. Voilà une nouvelle qui me réjouit et qui me fait croire qu’il y a encore de l’honneur et de la vertu au monde. Le collège des cardinaux n’en oserait tant faire pour Frideric, cardinal Borromée, [48] qui a mieux valu que le saint (j’entends saint Charles [49] son oncle) et qui a laissé de beaux ouvrages. [15]

Ce 11e de septembre. Hier lundi, fut pendu [50] et brûlé un prêtre breton nommé Jean Coiraut, [51] pour avoir débauché, engrossé et enlevé une religieuse d’Auxerre. Il avait été secrétaire et aumônier de M. l’évêque d’Auxerre, [52][53] c’est lui qui a été sa partie et qui l’a poursuivi jusqu’à la mort. La religieuse est fille d’un procureur d’Auxerre, elle est condamnée le reste de ses jours à demeurer dans les Madelonnettes. [16][54] Ô saint et sacré célibat, [55] que tu damnes de prêtres et que tu fais de cocus ! Cette religieuse est grosse, n’avez<-vous > point peur que l’Antéchrist [56] ne naisse ex tali concubitu [17] d’un prêtre et d’une vestale ? hac præsertim tempestate qua dominantur impietas et improbitas, cum manifesta sæculi impunitate[18]

M. Servien, [57] surintendant des finances, est aujourd’hui parti d’ici pour se rendre à Metz près du roi. Il mène quant et soi grand train pour paraître ; on croit que c’est pour être envoyé à Francfort, touchant l’élection de l’empereur, d’autant qu’il est fort habile homme dans les négociations étrangères et qu’il a autrefois été à Münster [58] où par ses subtilités, il empêcha la paix générale. M. Le Tellier, [59] secrétaire d’État, est retourné en cour avec M. Servien ; il était ici venu pour son fils [60][61] qui était malade de la petite vérole et qui en est guéri après douze saignées. [19][62] On dit aussi que le nonce du pape [63] et l’ambassadeur de Venise [64] s’en vont en cour pour présenter au roi des articles de pacification, si on y veut entendre, quod non puto futurum[20]

Le prêtre breton qui fut ici pendu et brûlé il n’y a que quatre jours, après avoir enlevé cette religieuse, s’en vint demeurer à Paris, logé en chambre garnie avec elle ; mais ne sachant de quel bois faire flèche, il s’avisa de se dire médecin de Montpellier [65] et chimiste ; [66][67] il faisait donner des billets dans lesquels il promettait la guérison de toute sorte de maladies. Il vendit des pilules [68] à un épileptique [69] que je connais, lui promettant entière guérison, moyennant 6 pistoles que cet homme lui avança ; ab assumpta prima dosi pilularum, cum pessime cessisset ægro[21] il n’en voulut pas prendre davantage et mit le charlatan en procès pour ravoir son argent. Comme ils furent en train de plaider, ce malade découvrit quelque chose de lui et se rendit son accusateur ; il eut des mémoires d’Auxerre d’où l’évêque même fit intervenir son promoteur, [22] à la poursuite duquel son procès lui a été fait. On fit venir en témoignage des religieuses d’Auxerre qui l’ont fort chargé. Il s’appelait Jean Coiraut, mais il avait changé de nom par plusieurs fois. Voilà la métamorphose d’un prêtre en chimiste, quod non capit Christus, rapit fiscus[23][70] Il court ici un bruit de la mort du pape, [71] qui est le premier alchimiste du monde : il change le plomb en or. On imprime en Hollande un nouveau livre de feu M. Vossius, [72] de Philosophia et philosophorum sectis[24] On imprime en Angleterre, un nouveau Aristote grec-latin. [73] Vale et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin[25]

Ce 14e de septembre 1657.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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