L. 566.  >
À André Falconet,
le 27 mai 1659

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 mai 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0566

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous prie de dire à M. Spon que j’ai reçu sa caisse de plantes de Grenoble pour M. Joncquet, [2] et sa lettre pareillement. Votre collègue M. Gras [3] est ici, logé chez M. le maréchal de Turenne. [1][4] Je soupai samedi dernier chez M. le premier président [5] où il me fit grande chère. On mange vite en ce pays-là et l’on y parle peu durant le repas. Il voulut pourtant que j’y busse deux fois à sa santé du vin d’Espagne [6] qui était extraordinairement bon. Après souper, je l’entretins une grosse heure et demie sur diverses choses, à quoi il prit grand goût. Il m’a dit qu’il était en peine comment nous pourrions faire l’été prochain, qu’il eût bien voulu avoir le loisir de m’entretenir une fois la semaine une après-dînée tout entière, et qu’il avait peur, faute de loisir, d’oublier ce peu qu’il savait. Deux maîtres des requêtes qui y étaient venus souper à cause de moi me ramenèrent dans leur carrosse. Il me dit en sortant qu’il avait dessein de faire chez lui une petite académie, une fois la semaine tout au moins, mais qu’il ne voulait point que nous fussions plus de six. [2][7] C’est signe que j’en serai l’un et je crois que mon fils Carolus [8] en sera aussi car M. le premier président lui veut autant de bien qu’à moi. Pour M. Chanlate, [9] c’est à vous d’en ordonner : il y a autant de différence entre un médecin qui écrit de loin pour le salut d’un malade et celui qui l’a entre ses mains, comme d’Alexandre le Grand [10] qui force les Perses au passage du Granique [3][11] et un monarque qui ne fait la guerre que par ses lieutenants ; les premiers se peuvent heureusement servir des conjectures. Medicina est inventio occasionis in morbo[4]

M. le duc d’Orléans [12] a fait composer par un savant courtisan, nommé M. de Varillas, [13] un livre de fine politique qui sera intitulé Le Cabinet de la Maison d’Autriche, que l’on imprime présentement en Hollande. [5] Il y a eu ici grande cérémonie aux Augustins [14] pour un certain saint espagnol de leur Ordre nommé frère Thomas de Villeneuve [15] que le pape [16] canonisa l’hiver passé. [6] Leur général est ici avec plusieurs Italiens qui en ont célébré la fête fort authentiquement ; et ne quid deesset ad voluptatem publicam, imo ad insaniam sæculi[7] ils en ont fait un feu de réjouissance au bout du Pont-Neuf, [17] où ce nouveau saint était représenté comme un faquin de quintaine [8][18] et où courut une foule de monde qui ne se peut nombrer ; et c’est là où le peuple disait que c’était un saint espagnol qui n’eût pas été reçu en France si la paix [19] n’eût été faite ; et néanmoins, il y en a encore beaucoup qui en doutent et surtout, qui tiennent que le traité du prince de Condé [20] n’est pas accordé. [9]

Notre bonhomme M. Barralis [21] a été saigné onze fois depuis six jours. [22] Cela a empêché la suffocation, superat, nec adhuc crudelibus occubat umbris[10][23] mais il est en grand danger de n’en pouvoir échapper. Une fièvre continue, un méchant poumon assiégé d’une inflammation [24] et de 80 années sont tous signes qui m’en laissent un soupçon fort funeste. Oh que c’est dommage ! il sait bien son Hippocrate [25] et son Galien, [26] et a fait la médecine en homme d’honneur toute sa vie. Plût à Dieu que je susse l’Hippocrate et le Galien grecs comme il l’a su ! Les gens de bien vivent trop peu, c’est une fort ancienne plainte, et in hoc versatur Deorum iniquitas, quod optimum quemque inter nos diurnare non sinunt, inquit Quadrigarius apud A. Gellium[11][27] Un honnête homme m’a appris aujourd’hui que l’on imprime dans Heidelberg, [28] qui est l’Université de l’électeur palatin, [29] le second tome des Lettres latines et françaises de M. de Saumaise. [30] J’ai céans le premier, plusieurs autres suivront. [12]

Le roi [31] est avec Son Éminence [32] au Bois de Vincennes. [33] M. le commandeur de Souvray [34] tomba hier de son cheval et s’en rompit un bras. [13] Il y a un grand bruit en Angleterre contre le fils de Cromwell. [35] Humor est in motu[14] tout y tend à une sédition dans Londres et à une guerre civile dans le royaume, in quo vota plene singulorum concurrunt ad constituendam rempublicam et regnum abolendum[15] Il est ici mort depuis trois jours un vieux conseiller d’État, nommé M. Turgot, [16][36] qui avait 40 000 écus de rente et 700 000 livres d’argent comptant en ses coffres, et un comédien, nommé Béjart, [17][37] qui avait 14 000 écus en or. Iampridem Sirus in Tiberim defluxit Orontes[18][38] ne diriez-vous pas que le Pérou [39] n’est plus en Amérique, [40] mais à Paris chez les éminences et leurs parents, chez les financiers et les moines, qui sont les partisans de paradis ? Fatui nova numina sæcli[19][41] Je pense qu’entre moinerie et momerie il n’y a guère de différence. On imprime ici les œuvres de Jo. Duns Scotus, [42] cordelier[43] il y aura 17 volumes in‑fo. C’est ce moine qui fut enterré sans être mort et qui se mangea le bras. [20] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 27e de mai 1659.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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