L. 655.  >
À André Falconet,
le 3 décembre 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 3 décembre 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0655

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce 1er de décembre. Le cardinal Mazarin [2] est au lit fort tourmenté de la goutte. [3] On dit qu’il deviendrait pape s’il avait bien de la santé. [4] Après la goutte, la pierre [5] viendra, et puis enfin aliquid humanitus continget [1] qui l’empêchera de devenir pape : sic homines moriuntur[2]

Ce 2d de décembre. Nous avons eu hier un acte dans nos Écoles auquel le premier médecin de la reine [6] a assisté près de trois heures. Après qu’un de nos docteurs a eu achevé de disputer, il s’est levé, le chapeau au poing, et a prié la Faculté qu’on le laissât disputer, et a disputé fort bien, mais il a été un peu long. Il est bon philosophe, il voulait prouver que Facultas vitalis non est naturalis, ex autoritate Divi Thomæ Aquinatis, etc[3] Vous savez que tous les Espagnols parlent mal latin ; néanmoins, ils aiment à ergotiser. [4] Notre savant jeune docteur M. Dodart [7] présidera jeudi prochain ; [5] c’est-à-dire qu’il paiera sa bienvenue (car nous y aurons tous chacun 4 livres pour notre assistance ; autrefois il y avait un dîner pour tous, qui fut converti en argent l’an 1633 pour un petit désordre qui arriva et qui fut cause d’un plus grand bien) ; et après, il jouira des droits de l’École comme les autres docteurs. Hier, par arrêt de la Grand’Chambre, M. de Thoré, [8] président ci-devant en la troisième des Enquêtes et fils de feu M. d’Émery, [9] surintendant des finances (il était de Lyon et se nommait en son nom Particelli), fut déclaré fou, et tout à fait ruiné et perdu d’esprit ; et ensuite, fut approuvée la vente que ses parents avaient faite de son office de président au profit de M. de Fourcy [10] qui était l’acheteur et gendre de M. de Boucherat, [11] maître des requêtes[6] Les politiques spéculatifs parlent ici de plusieurs mariages ; entre autres, de celui ou de ceux d’Angleterre, pour le roi [12] et son frère le duc d’York. [13] On dit que le roi d’Espagne [14] fait tout ce qu’il peut afin de retirer Dunkerque [15] des mains des Anglais et de garantir la Flandre [16] de leur invasion ; et comme nous en sommes en quelque façon les médiateurs, ils nous offrent Saint-Omer, [17] Aire [18] et Cambrai [19] si nous voulons leur rendre Gravelines [20] et Dunkerque. Tout cela n’est peut-être pas vrai, mais on en parle fort ici ; il n’en sera que ce qu’il plaira à Dieu.

Ce 3e de décembre. Il y aura demain 18 ans que le diable, à ce qu’on dit, emporta le cardinal de Richelieu. [21] Eius reliquiæ nunc nos exercent[7] comme Cicéron [22] disait d’Antoine [23] après la mort de Jules César. [8][24] On dit qu’il y a un grand ravage d’eaux à Rome, bien du peuple noyé, avec perte de plus d’un million de biens. [25] Dieu soit loué que le pape et le général des jésuites n’ont pas été noyés ! On dit que M. le cardinal Mazarin veut devenir pape, et que pour cet effet il va se faire prêtre. Cela me fait souvenir par antithèse d’un distique assez grossier, que je sais il y a plus de 45 ans :

Dæmon languebat, monachus tunc esse volebat,
Ast ubi convaluit, mansit ut ante fuit
[9]

Dieu nous envoie la paix et du pain, [26] qui est ici bien cher et qui fait bien crier les pauvres gens, sed nulla cura Hippoclidi[10][27] Il y a au parquet du Parlement un édit du roi pour la réformation des habits. [11] Il y a ici trois morts de marque, savoir Mme de Ventadour, [28] la bonne femme, âgée de plus de 88 ans. Elle était tante du prince de Condé [29] et fille du connétable Henri de Montmorency [30] qui mourut l’an 1614. [12] La seconde mort est du chevalier de Roquelaure [31] qui était un bon compagnon. La troisième est de M. d’Hozier, [32] grand et savant généalogiste de France, que M. Barbier, [33] votre imprimeur, connaissait et qui était de ses amis. [13] On attend ici dans peu de jours le comte de Soissons [34] qui revient d’Angleterre. On croit que bientôt après, la reine d’Angleterre [35] le suivra et viendra ici pour traiter du mariage qui est sur le bureau[14] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris le 3e de décembre 1660.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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