L. 658.  >
À André Falconet,
le 19 décembre 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 décembre 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0658

(Consulté le 28/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

En quelque état que soit le Mazarin, [2][3] on ne laisse point de chercher de l’argent car on envoie des billets portant taxe de certaines sommes à tous ceux qui ont tenu des fermes du roi, tant grandes que petites. Il a la goutte [4] à la main et ne peut signer, mais il fait jouer [5] devant lui pour se récréer et se divertir à gagner ; [1] il y en a bien d’autres que lui qui feraient volontiers de même. On dit ici que M. le maréchal de Fabert [6] va être surintendant des finances, ce qui fait trembler beaucoup de partisans : c’est un fort homme de bien et fort entendu ; mais néanmoins, peut-être qu’il fera comme les autres quand il y sera parvenu.

Ce lundi 13e de décembre. Je soupai hier au soir avec M. le premier président[7] Comme je l’entretenais seul dans son cabinet, l’écuyer de Mlle la duchesse d’Orléans [8] y vint et depuis, nous fûmes souper ; [2] et comme nous commencions à parler après souper, il vint un évêque de Vannes [9][10] qui nous empêcha, [3] si bien que je ne lui dis presque rien de ce que j’avais à lui dire. Je viens d’apprendre que M. Fouquet, [11] intendant des finances, a reçu ordre de ne traiter avec qui que ce soit ni de faire aucun état pour l’an 1662. [4] Cela augmente le soupçon de ceux qui désirent ou qui espèrent qu’il y aura du changement en cette grande charge.

Notre M. Blondel [12] se veut démettre de sa charge et m’a dit que samedi prochain, nous aurons une assemblée pour lui faire un successeur ; ce qu’il a fait de son plein gré, sans y être forcé par ses ennemis qui n’ont rien pu obtenir contre lui par les requêtes qu’ils ont présentées au Parlement. Samedi dernier, on donna des arrêts au Conseil d’en haut : l’un pour ôter la solidité de la taille, [5][13] et l’autre pour empêcher quantité de petits droits qui se levaient sur le vin en divers ponts et passages depuis quelque temps. Je vous sais bon gré d’avoir eu pitié de ce pauvre M. Bouge [14] puisqu’il a femme et enfants. [6] Vous avez bien fait de lui défendre de faire la médecine, il n’en tuera pas tant et en apprendra davantage. Il est de Provence qui est la petite Barbarie. Ils sont en ce pays-là, à ce que dit M. d’Urfé [15] dans l’Astrée, riches de peu de biens, glorieux de peu d’honneur et savants de peu de science ; [7] et dans notre métier ils sont volontiers charlatans, [16] pourvu qu’il y ait à gagner. L’ancien maître de la Compagnie [17] et le doyen [18] de la Faculté ont chacun double de tout, si bien que lorsque nous recevons chacun en particulier 60 livres par an, ils en ont chacun 120 ; mais le doyen de charge a de plus, par pure grâce de la Faculté, environ 600 francs pour les peines extraordinaires qu’on a pendant les années du décanat, et encore davantage s’il veut dérober, comme on dit que quelques-uns ont fait autrefois, entre autres < Le > Vignon [19] et le petit Hardouin Saint-Jacques, [20] qui tous deux sont morts. [8] Ce dernier était fou et tenait de race : natio comœda est[9][21] il avait autrefois représenté Guillot-Gorju à l’hôtel de Bourgogne. [22][23]

Puisque M. Guillemin [24] est parti, il nous faut résoudre d’aller après. [10] On me vient de dire que le cardinal Mazarin ne prend point de lait de vache [25] et qu’il en a été détourné par un vieux médecin qu’un évêque lui a mené. Je crois que le médecin est M. Merlet [26] et que M. l’évêque est celui de Coutances, [27] car cet évêque est ami de tous les deux, et même domestique du cardinal, duquel il a été maître de chambre et à qui il doit son épiscopat. Quoi qu’il en soit, le cardinal Mazarin est raræ texturæ et vitreæ valetudinis[11] il est accablé d’affaires et a le corps bien délicat.

On mit hier dans la Bastille [28] un greffier du Conseil nommé Massa [29] qui avait fait des remontrances au surintendant des finances afin qu’ils ne payassent rien des 600 000 livres qu’on leur demandait sur leurs offices, à quatre qu’ils sont. L’intendant de justice qui est à Sens [30] demande aux bourgeois de cette ville, pour leur don gratuit, 12 000 livres (autrement on l’appelle don forcé), [12] et pour la subsistance de la gendarmerie, 32 000 livres. Ils lui ont répondu que, pour de l’argent, ils n’en avaient point, mais que s’il voulait leur donner quittance, ils lui livreraient 1 000 muids de bon vin : vous pouvez juger de leur abondance, et en même temps de leur pauvreté. Le cardinal Mazarin a dit au roi [31] que tous les médecins n’étaient que des charlatans, qu’il ne voulait plus s’en servir et qu’il ne se voulait réduire qu’à des petits remèdes. Néanmoins, on m’a dit qu’un certain chirurgien de la cour lui avait conseillé de prendre du lait de vache et qu’il y était résolu ; et en ce cas-là, il faut dire Et erit novissimus error peior priore[13][32] Le lait de vache ne vaut rien, et ne fera que de l’ordure dans un corps échauffé et atrabilaire [33] tel qu’est celui du cardinal Mazarin ; mais quoi qu’il fasse, je ne pense point qu’il guérisse parfaitement avant le mois de mai, et hoc posito quod tandem contingat[14]

On dit que M. le comte de Soissons [34] a vu en Angleterre le cardinal de Retz, [35] où il est fort aimé du roi, mais cela est-il vrai ? Aussi bien que ce qu’on dit que le roi d’Angleterre [36] n’épousera point la demoiselle Hortensia, [37] nièce de Son Éminence, [38] et qu’il n’en veut point, sur les remontrances que lui en ont faites les députés du Parlement ? [15] Je vous baise les mains, et à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e de décembre 1660.

Le roi a cassé dix compagnies du régiment des gardes et va casser tous ses petits mousquetaires, [39] qui étaient ceux du cardinal Mazarin lorsqu’il fit la paix. [16] Hier fut vendue une charge de conseiller à la Cour 74 000 écus. Cela fait parler tout le monde et dire que tous les fous ne sont pas aux Petites-Maisons. [40] Eh ! que feraient ces gens-là si le monde était sage et n’était pas chicaneur ?


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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