L. 712.  >
À André Falconet,
le 19 septembre 1661

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 septembre 1661

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0712

(Consulté le 18/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce 3e de septembre. Je vous envoyai hier deux pages de nos chétives nouvelles. Il n’y en a point ici d’autres, sinon quelques fièvres quartes [2] automnales, omnis quartana autumnalis, vel est annua, vel est lethalis[1] et des dysenteries ; [3] mais je crois que ce sera bien pis dans un mois ou six semaines, après qu’on aura bu du vin nouveau. [4] Tum pauper cornua sumet[2][5] alors nous aurons des squirres [6] de foie [7] et de rate, [8] des doubles tierces [9] et des triples quartes, lesquelles dégénéreront en hydropisie ; [10] nous aurons aussi des hydropisies et péripulmonies, [3][11] et des rhumatismes. [12] Voilà nos maladies d’hiver après le vin nouveau.

Ce < lundi > 5e de septembre. Hier au soir, je soupai avec M. le premier président[13] J’appris que le roi [14] s’apprêtait à revenir et qu’il serait à Fontainebleau [15] le 15e de septembre, et qu’il s’était trouvé mal d’avoir couru la poste à Tours [16] où il prit les carrosses de relais[4] Ce même jour, un maître des comptes nommé M. Goeslard, [5][17] revenant de deux lieues d’ici, passant au long de la rivière et y voulant abreuver son cheval, s’y noya malheureusement. [18] On a ici saisi un ballot de livres qui venait d’Amsterdam, [19] dans lequel étaient plusieurs exemplaires d’un livre nouveau fait par les jansénistes [20] contre les jésuites [21] sous le nom de Denis Raymond, [22] dans lequel on soutient que les Cinq Propositions, dont il est question [23] et qui ont fait tant de bruit, ne sont point dans les livres de Jansenius, [24] évêque d’Ypres. [6][25] Dans ce même ballot on a aussi trouvé quelques exemplaires d’un livre fait par les jésuites, sed quem suppressum et ignotum esse cupiunt[7] Ce sont les règles de la Société [26] pour tous leurs desseins, leur gouvernement et leurs officiers à tous étages. Il y a 18 volumes in‑8o qui se relient en cinq gros tomes. Les jésuites en avaient fait faire une édition qu’ils envoyaient aux Indes [27] pour l’usage des pères en ces provinces. Ce vaisseau fut pris par les Anglais et les exemplaires perdus pour les jésuites. Les Hollandais ont réimprimé ce livre que les jésuites font saisir partout où ils peuvent, et même ont employé l’autorité du roi et de M. le président de Thou, [28] notre ambassadeur en Hollande, pour racheter tout ce qu’il y avait de fait ; mais ils ont beau faire, le livre ne se supprimera jamais. Il y a des jansénistes qui en ont ici, et même les huguenots [29] s’en vont le faire imprimer in‑fo en Allemagne, dans un pays où les jésuites ne trouveront point de crédit, afin que tous les curieux de l’Europe le puissent voir et y connaître les desseins et le fin gouvernement de ces bons pères qui gouvernent le monde in nomine Domini[8] à leur mode, avec beaucoup d’ambition et d’avarice, mais qui sont confites de la parabole ad maiorem Dei gloriam[9] Un maître des requêtes m’a dit ce matin que la nouvelle impression s’en fera ou en Angleterre ou à Francfort, [30] mais que les jésuites ne le pourront jamais empêcher, et que ce sera un in‑fo qui entrera dans toutes les bibliothèques, grandes et petites, et qu’enfin tout le monde connaîtra les rusées façons de faire de ces maîtres passefins et de tous ces carabins du P. Ignace. [31]

Ce jeudi 8e de septembre. Mais voici bien une autre affaire, promitte assem et habebis fabulam : [10][32] la fortune de M. Fouquet, [33] surintendant des finances, est changée ; le roi l’a fait arrêter prisonnier dans le château de Nantes, [34] et a envoyé ordre à M. le chancelier [35] pour faire tout sceller en ses maisons et d’y mettre garnison ; ce qui a été sur-le-champ exécuté. M. le chancelier a fait sceller dans la maison qu’il avait à Fontainebleau et a envoyé un maître des requêtes, nommé M. Poncet [36] faire sceller à Vaux. [11][37] M. le lieutenant civil [38] a eu ordre de faire sceller dans la maison de Paris et à Saint-Mandé, [39] et d’y mettre garnison. Sa femme, la surintendante, [40] a eu ordre de se retirer en Limousin. Ses commis sont arrêtés et leurs maisons scellées, et il y a même ordre pour les enfants. [12]

Le prêtre de Saint-Germain [41] qui avait été condamné aux galères [42] perpétuelles, par appel a minima du procureur général, a été mis dans la Conciergerie [43] où son procès a été fait de nouveau. [13] Il est condamné à faire amende honorable, [44] nu en chemise, la corde au col et la torche au poing, devant la principale porte de Saint-Germain-l’Auxerrois ; [45] et après condamné aux galères à perpétuité sans en pouvoir être racheté ni retiré en façon quelconque ; et sa petite garce condamnée à 4 000 livres d’amende. [46] Les partisans sont ici fort étourdis : on a scellé chez Boislève, [47] chez le jeune Monnerot de Lyon, [48] chez Pellisson, [49] Bernard [50] et autres. [14] On dit que M. Fouquet est dans le château d’Angers, [51] que M. le chancelier a charge de lui nommer des commissaires, savoir 24 maîtres des requêtes ; un des secrétaires de M. le premier président me le vient de dire. Plura alias[15] Je vous baise les mains et suis de tout cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e de septembre 1661.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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