L. 957.  >
À André Falconet,
le 6 mai 1669

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 mai 1669

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(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce mot ne sera aujourd’hui que pour vous remercier des deux beaux livres que vous m’avez envoyés par M. de La Fille, [2] votre chirurgien. Je remercie aussi le R.P. Ménestrier [3] de la bonté qu’il a eue de me mettre dans son livre comme il a fait en parlant de M. Spon, page 41. [1] Je viens de recevoir une lettre de M. C., [2][4] qui me mande avoir été appelé chez un prince d’Allemagne, duc de Wurtemberg, [5] qu’il a traité, et après avoir été chez lui quelque temps et l’avoir guéri, en a été fort bien récompensé. On lui offre de grands avantages s’il veut aller à Prague, [6] mais il y a quelque chose de meilleur sur le bureau. J’entretins hier M. Delorme [7] qui me semble être un merveilleux personnage. Il a une prodigieuse mémoire, beaucoup d’esprit, grand sens et de grandes connaissances, ce qui est bien extraordinaire en un âge si avancé ; de plus, il a fait son cours en une terrible école, qui est la cour. Il m’a fort remercié des lettres que je lui écrivis il y a deux ans et moi, je l’ai remercié des siennes. [3] Il a dit qu’après que son procès sera jugé, il me viendra volontiers demander une petite chambre pour y demeurer avec moi et pour m’entretenir de plusieurs choses ; je lui ai offert toute la maison. Il m’a souvent parlé de M. Guillemeau, [8] son ancien ami. Il n’était pas des plus savants, mais il était bien intentionné et avait une prodigieuse mémoire. Il était fort dans la méthode d’Hippocrate [9] et de Galien. [10] Il adorait la Fortune [11] de la cour, dont il était disgracié pour n’avoir point voulu être du parti du cardinal de Richelieu, [12] s’étant attaché à la pauvre reine mère, Marie de Médicis, [13] de laquelle il espérait tout, mais tous deux en furent trop mauvais marchands[4]

Ce 28e d’avril. Le roi [14] s’en va demain à Saint-Germain [15] avec toute la cour, on dit qu’il y sera plus de trois mois. [5] On parle ici d’un grand projet que l’on a proposé au roi pour faire la taille réelle, [6][16] ou bien d’un autre par lequel on ôtera les tailles et gabelles, [17] et chaque personne paiera tant par tête au roi, ce qui me semble non seulement injuste, mais aussi impossible, quoique cela se fasse en Turquie ; mais par la grâce de Dieu, la France ne sera jamais turque.

M. le maréchal d’Estrées, [18] âgé de 97 ans, est échappé d’une fièvre continue, [19] au grand étonnement de bien du monde en un si grand âge. Il est né l’an 1572 et était frère de Mme Gabrielle [20] qui mourut en l’an 1599, mère de feu M. de Vendôme. [7][21] Le roi est à Saint-Germain. Monsieur [22] et Madame d’Orléans [23] s’y en vont dans quelques jours, après qu’elle sera guérie. Instat electio regis Poloniæ[8][24] M. Seguin, [25] ci-devant médecin de la feu reine mère, âgé de 68 ans, veuf il y a longtemps, abbé d’une bonne abbaye, et enfin prêtre fort dévot et très avare, s’en va quitter le monde et se retire dans Saint-Victor [26] avec les moines, pour y passer le reste de ses jours. [9] Il a un fils conseiller de la Cour, [27] qui lui donne du mécontentement : nihil est ex omni parte beatum, Medio de fonte leporum surgit amari aliquid quod in ipsis faucibus angat[10][28][29]

On parle ici de huit villages en Italie qui y ont été accablés par les cendres du mont Vésuve < sic pour Etna >. [11][30] M. Boucherat, [31] maître des comptes à Paris et doyen de sa Chambre, âgé de 94 ans, est ici fort malade ; il crache le sang et saigne du nez, effœtæ ac deficientis naturæ argumentum[12] On dit qu’il y a du bruit à Constantinople [32] qui a donné de la frayeur au Grand Seigneur [33] et qu’il y a grande apparence qu’ils ne prendront pas Candie [34] cette année. Il y a ici un ambassadeur d’Angleterre pour rétablir le commerce du plomb, de l’étain et des bas d’estame, [13][35] et peut-être pour autre chose de plus grande importance. J’admire les recherches particulières que le P. Ménestrier a ramassées avec grand soin pour en composer l’Éloge historique de la ville de Lyon[1] Ce livre durera à jamais pour l’honneur de votre ville qui est en France ce qu’est Anvers [36] aux Pays-Bas [37] et, ce que dit Lipsius, [38] quod est in capite oculus[14] sauf à Paris et à Rouen de défendre leurs droits, ayant chacune ses raisons et ses prérogatives. J’ai peur qu’on ne dise de Paris ce que Joseph Scaliger a dit de la Rome de son temps : [39]

Spurcum cadaver pristinæ venustatis,
Turpis litura non merentium rerum, etc.
 [15]

Mais à propos de Scaliger qui était un homme incomparable, n’avez-vous point vu trois petits livres intitulés Scaligerana, Perroniana et Thuana ? [16] On ne trouve que bien peu du premier et je n’ai point vu les deux autres. J’ai en mes mains le manuscrit du premier il y a 38 ans et je vous l’offre de bon cœur. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 6e de mai 1669.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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