L. 983.  >
À André Falconet,
le 23 mai 1670

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 23 mai 1670

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0983

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous mandai tout ce que je savais par ma lettre du 12e. Mme la duchesse d’Orléans [2] n’est point encore partie pour aller en Angleterre et il n’y a encore rien de certain sur l’élection d’un nouveau pape. [3] Pour le roi, [4] il est constant que son voyage ne durera pas si longtemps que l’on disait il y a un mois. Ils ont trouvé en ce pays-là beaucoup d’empêchements en leur passage à cause des eaux. Sa Majesté a aujourd’hui couché dans Arras. [1][5]

Enfin, le bonhomme cardinal Altieri est pape, âgé de 82 ans. On dit qu’il est Romain de flumine magno et que celui qui le suivra est marqué sous l’épithète de bellua vorax[2][6] Ô que ce titre conviendra bien au Grand Turc [7] s’il vient en Italie pour y faire la guerre, comme elle en est bien menacée ! [8] Et si cela arrive, que deviendront tant de colonies de gens oiseux, de ventres paresseux, tant de troupes de moines [9] qui sont en ce pays-là et qui vivent sans rien faire à l’ombre d’un crucifix, qui per aliquam religionis simulationem alimenta inertiæ quærunt ? [3][10] On parle ici d’une nouvelle Assemblée du Clergé [11] qui sera composée de plusieurs archevêques, évêques, députés du second ordre, et des agents qui sont déjà retenus. [4] Les lettres de la cour portent que le roi sera de retour de son grand voyage de Flandres [12] le 16e de juin prochain à Saint-Germain. [5][13] Dieu veuille bien les ramener tous en bonne santé, mais nous ne savons pas encore si Mme la duchesse d’Orléans est en état d’aller à Douvres pour y voir le roi d’Angleterre, [14] son frère.

Je vous remercie de votre dernière lettre du 9e de mai. Depuis que le roi est parti, je n’ai rien entendu dire de comite archiatro[6][15] ni de l’autre [16] qui est ici sub pretextu calculi, ad cuius extractionem si deveniatur[7][17] Je ne sais lequel des deux Colot [18][19] sera choisi. Il ne m’importe, mais ce Gascon est bien atrabilaire [20] et me semble de mauvaise chair. Je vous trouve bien heureux, Monsieur, d’être aux bonnes grâces de M. Denyau [21] le fils, puisqu’il vous a envoyé sa harangue ; n’est-ce pas un chef-d’œuvre de l’art oratoire ? [8] Notre Collège royal [22] voudrait pourtant bien qu’il ne l’eût jamais fait imprimer. Plusieurs autres ont été faites à même dessein, qui n’ont pas vu le jour. Ces impressions appartiennent à Turnèbe, [23] à Lambin, [24] à Passerat, [25] à Critton, [26] à M. Bourbon, [27] à MM. Valens [28] et Grangier, [29] à MM. Du Val [30] et Moreau, [31] Du Chevreul, [32] Padet [33] et autres illustres, avec lesquels ce petit myrmidon n’entrera jamais en parallèle, [9][34] si ce n’est comme un petit lumignon de chandelle, aut tanquam titio fumigans[10] avec le soleil. Mais que faire ? les aveugles enragent de voir clair, les boiteux veulent courir, il n’y a point de corps qui n’ait sa partie honteuse. Il nous faut prendre patience, peut-être qu’il s’amendera et qu’il deviendra plus sage ; il est encore bien ignorant, bien sotelet et bien innocent, [11] aussi est-il encore jeune et bien badin.

J’ai entre mes mains deux de nos compagnons bien malades, qui languissent en attendant que le beau temps vienne. Les rhumatismes [35] de l’hiver passé ont de la peine à s’en aller, eorum reliquiæ adhuc nos exercent[12] mais il n’y a point d’hydropisie, [36] ni aucun dangereux reste. Pour le scorbut, [37] il n’y en a tantôt plus, il n’a point été malin cette année. [13] Quelques-uns parlent du roi d’Angleterre qui a épousé la princesse de Portugal : [38] il la veut répudier à cause de sa stérilité, comme eût fait Henri ii [39] à sa femme Catherine de Médicis [40] si Fernel [41] ne s’en fût heureusement mêlé, de laquelle il recevait chaque fois qu’elle accouchait 10 000 écus, à ce que dit Louis Dorléans [42] en sa Plante humaine et qu’il m’a dit autrefois lui-même. [14] Je l’ai connu l’an 1626 et je me souviens bien de diverses choses qu’il m’a dites. L’année suivante, il tomba en une pleurésie [43] pour laquelle il fut saigné deux fois, [44] et en guérit, âgé de 85 ans, et ne mourut que deux ans après. M. le commandeur de Souvré, [15][45] qui est aujourd’hui grand prieur de France, est mort âgé de 70 ans.

On me vient d’assurer que M. Colbert, le capitaine des mousquetaires, [46] a été disgracié du roi pour quelque plainte faite contre lui, et que M. de Louvois [47] n’est plus général des postes ; et alia quoque dicuntur, et clam circumferuntur per vulgus, quæ tuto non possunt nec debent chartæ committi[16] On dit qu’il y a un Code criminel [48] nouveau que le roi a envoyé chez M. le premier président[49] et qui sera envoyé au Parlement après le retour du roi. [17] Mon fils aîné [50] était allé à Lagny, [51] où il a quelque bien du côté de sa femme, [18][52] à la fin du carême, pour y prendre du lait d’ânesse ; [53] ce qu’il a fait et qui n’a guère servi ; la saison y a été contraire jusqu’à présent. Cela l’a obligé de revenir à Paris où je le trouve bien mal fait, avec une fièvre lente [54] et de mauvais crachats qui me font grand’peur. Nous n’avons encore eu depuis Pâques de beau temps que deux beaux jours. Interea augetur morbus gliscitque medendo, dum vires infirmantur ; o me miserum in filiis meis ! [19] Si Dieu veut, il aura pitié de nous. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 23e de mai 1670.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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