L. latine 56.  >
À Vopiscus Fortunatus Plempius,
le 27 juillet 1656

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 27 juillet 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1089

(Consulté le 20/04/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 44 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Fortunatus Plempius, professeur royal de médecine à Louvain.

Très éminent Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre très agréable lettre dans mon lit où, en quelque façon, je me languissais, non tant par paresse que par tristesse. Vous avez dissipé ma lassitude et chassé ma mélancolie, ne rendant plus joyeux que je n’étais ci-devant. Je me réjouis que vous vous portiez bien et que vous ayez reçu mes petits cadeaux imprimés ; étant donné leur modestie, jamais ceux-là n’ont mérité votre gratitude. Je vous en enverrai de plus nombreux et de plus précieux quand vous le voudrez, ou plutôt quand vous l’ordonnerez. Que ne ferais-je donc pas pour un homme de si grand mérite, de si grande érudition, que j’estime digne d’honneur et d’affection au-dessus de tous les princes fortunés et de toutes les éminences pourprées de ce siècle ? En votre nom, j’ai salué nos très savants anciens, les excellents et très sages MM. Riolan Perreau et Moreau, [2][3][4] héros de notre métier qui sont parfaitement dignes de toute louange : ils suivent fermement les pas de la pure et juste méthode hippocratique et galénique, [5][6] sans cette inutile polypharmacie des Arabes, qui me semble n’avoir été inventée que pour enrichir les pharmaciens ; [7][8][9] [Ms BIU Santé no 2007, fo 44 vo | LAT | IMG] ceux-là exercent la médecine sans fraude ni supercheries, à la manière des anciens, sans fard ni imposture ; ils n’utilisent pas l’antimoine car, de quelque manière qu’on puisse le préparer, il reste toujours vénéneux et conserve quelque malignité mortelle, qui détruit les principes de la vie, particulièrement chez nos Parisiens, dont les petits corps sont délicats et faibles, mal tempérés et peu enclins à vomir. [10] La plupart d’entre eux nous sollicitent en effet pour un échauffement des intestins et une faiblesse des parties thoraciques. Pour purger les corps de nos concitoyens, nous nous tournons vers la casse, le séné, la rhubarbe, le tamarin, l’aloès, la manne, le sirop de roses pâles et de fleurs de pêcher ; [11][12][13][14][15][16][17][18][19] mais pour ainsi dire jamais vers la scammonée, qui est plus drastique. [20] La méthode française, le plus grand secret de l’art médical, est pour eux comme l’étoile Polaire : elle nous aide et nous éclaire, mais nous ne garantissons rien et ne venons pas encore à bout des maladies désespérées, tout en méprisant les fourneaux des paracelsistes et des charlatans (qui sont des pièges pour piper les bourses), les dieux me pardonnent, et sans chercher à tirer des secrets de la chimie. [21][22][23] Celle-là s’est flanquée dans notre époque par la lâcheté des juges et la trop grande indulgence de la dive Thémis ; [24] c’est l’art de mentir et de tuer les hommes en toute impunité, mais je mets fin à mes plaintes. Aux heures qu’ils ont de reste, Riolan et Perreau méditent toujours quelque dessein, ils ne cesseront pas de produire tant qu’ils vivront, en hommes honnêtes et très attachés au bien public. Dieu fasse pourtant que nous jouissions d’une paix complète qui libérerait le commerce avec nos voisins au nom sacré des Muses, dont Mars et Vénus, [25][26] astres funestes et de mauvais présage pour les Français, contrarient la pureté depuis tant d’années. N’avez-vous jamais vu l’Oratio panegyrica de persona et officio pharmacopoli, etc., de Freitag, professeur à Groningue, publié à Groningue, 1633, in‑4o ? [1][27] Puissé-je le posséder, même racheté au prix fort. Puisque le très savant Erycius Puteanus n’a jamais publié ce viie livre de Pline, je songerai sérieusement à l’expliquer si Dieu m’en procure le temps et la vie requis. [2][28][29] Il me semble être entièrement anthropographique et anatomique, et ce travail ne sera pas malséant pour un professeur d’anatomie. [30][31] Je me souviens de Claude Saumaise, venu ici pour affaire l’an 1643, promettant une nouvelle édition de Pline, éclairée, disait-il, secentis observationibus selectis ; [3][32] mais puisque ce grandissime prince de la république des lettres est mort, je pense qu’il n’y a rien de tel à espérer. J’ai toujours fait grand cas de votre Puteanus, principalement pour les nombreuses Epistolæ qu’il a écrites à des amis, ruisselantes de lait et de miel. [4] Écrivez-moi, je vous prie, quel jour, quelle année, à quel âge est mort en votre pays ce si éminent personnage qui a engendré tant de livres, d’opuscules et d’enfants. [5] Il avait assurément d’exacts jugements sur Pline ; de fait, le commenter est une tâche qui incombe à de nombreux hommes, et bien sûr à un grand médecin, et qui soit avant tout anatomiste et botaniste, astronome, historien, géographe, etc. ; tant est vrai ce que Désiré Érasme, homme de divin génie, a écrit à son propos : Thesaurum esse Plini librum, quo nullus dignior qui regum manibus teratur, quum ex alio citius non hauriatur rerum omnium cognitio ; [6][33] c’est le Monde entier, car il embrasse les choses de la terre et du ciel. Si Dieu m’en donne loisir et santé, je n’expliquerai pas seulement le viie livre, mais aussi les autres endroits où il s’est occupé de médecine, principalement cette remarquable Préface du xxixe livre, où il s’est attaqué aussi intelligemment que justement à certains charlatans grécaillons qui abusaient malencontreusement de la thériaque et des eaux métalliques, dont les cures trompent les malades. [7][34][35][36]

Je me réjouis de votre Avicenna[8][37] espérant que votre labeur ennoblira cet auteur que beaucoup négligent pour le style barbare [38] de ses anciens traducteurs, et, peut-être, pour leur ignorance et leur fidélité douteuse ; mais dites-moi, s’il vous plaît, que savez-vous de sa vie et de sa patrie ? On est en effet fort en doute quant à l’époque et à l’endroit où il a vécu, et ni la Geographia Nubiensis[9][39] ni les autres écrivains n’établissent rien de sûr là-dessus. Certains font de lui un fils de la Chine ; d’autres un Perse, un Carthaginois ou un Arabe ; certains un Espagnol. D’autres déclarent qu’il y a eu deux Avicenne dont l’un fut espagnol. Je constate que Juan Mariana, qui a écrit l’Histoire de l’Espagne, fort savant homme qui a très hautement mérité [Ms BIU Santé no 2007, fo 45 ro | LAT | IMG] de la république des lettres, a été de cet avis, tout comme d’autres auteurs. [10][40] Instruits par certains livres espagnols, Jean Riolan et René Moreau, nos deux très savants collègues, partagent la même opinion. Certains pensent qu’Isidore de Séville a été le véritable et premier auteur de l’Opus medicum qu’Avicenne a autrefois traduit du latin d’Isidore en langue arabe ; [41] le temps a commis son outrage et l’exemplaire arabe ayant seul subsisté, avec Avicenne pour auteur, on s’est permis de ne l’attribuer qu’au traducteur ; mais l’Opus metaphysicum et de Animalibus sont de l’autre Avicenne. Ce ne sont pourtant là que pures et simples conjectures, et même des obscurités ; [11][42] si vous voulez, vous les fracasserez de votre foudre, pour le bénéfice de la postérité. Votre compatriote Libert Froidmont est-il mort ? Je considère son ouvrage de philosophie de Anima comme utile et savant. [12][43] Vale et vive, excellent Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

Guy Patin, votre entier dévoué.

Paris, le 27e de juillet, 1656.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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