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La circulation du sang expliquée à Mazarin

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe. La circulation du sang expliquée à Mazarin

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8006

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monseigneur, [a][1]

La fabrique du cœur [2][3] est telle qu’y ayant deux cavités dans sa substance, [1] séparées d’une forte cloison et revêtues d’une chair fort dure, il y a quatre gros vaisseaux qui y entrent, deux en chaque ventricule : [2][4] dans le ventricule droit, la veine cave et la veine artérieuse, [3] et dans le gauche, l’aorte ou la grande artère et l’artère veineuse y aboutissent. [4] À l’entrée de ces vaisseaux il y a des valvules disposées de telle sorte que celles de la veine cave et de l’artère veineuse s’ouvrent en dedans, et permettent au sang d’entrer dans les ventricules, mais elles lui en défendent la sortie ; [5] au lieu que les valvules de la veine artérieuse et de l’aorte s’ouvrent en dehors, et permettent au sang et aux esprits de sortir du cœur ; mais elles l’empêcheraient d’y retourner s’il voulait aller contre sa course. [6] Il est d’ailleurs à remarquer que la veine artérieuse se divise et sous-divise en plusieurs rameaux environnés de la substance du poumon, où ils rencontrent les extrémités des rameaux de l’artère veineuse, dans lesquels ils peuvent verser le sang qu’ils contiennent. [7] Il faut aussi faire prendre garde à V.É. [8] que la grande artère et la veine cave sont les troncs de toutes les artères et de toutes les veines du corps ; qu’elles marchent presque toujours ensemble ; qu’elles ont çà et là, mais surtout vers leurs extrémités, des anastomoses, d’où il y peut avoir passage du sang d’un vaisseau dans l’autre ; qu’il y a, particulièrement aux veines, des valvules disposées de telle sorte qu’elles laissent remonter le sang vers la veine cave ; mais qu’elles en empêchent la descente ; [9] que là où l’artère et la veine marchent ensemble, la veine est au-dessus, et que les membranes de celle-ci sont plus minces et plus molles que celles de l’autre ; que les artères ont le battement de systole et diastole, [10] et que les veines ne l’ont pas.

Ce peu de connaissances préalables étant établies, il n’y a rien plus aisé à concevoir que la circulation de cette matière. Elle entre dans le ventricule droit du cœur par la veine cave dont les valvules s’ouvrent en dedans, et remplissant cette cavité, elle y acquiert beaucoup plus de chaleur par un certain mouvement qui avance le dénouement de ses parties ignées. [11] En cette diastole ou dilatation du cœur, les valvules de la veine cave se ferment et le sang échauffé trouve le passage libre par la veine artérieuse, à cause que ses valvules s’ouvrent en dehors. Il passe donc par là dans le poumon et continue son mouvement en toute liberté dans les rameaux de l’artère veineuse qui le conduisent dans leur tronc, où il y a des valvules qui s’ouvrent dans le ventricule gauche du cœur. Lorsqu’il y est, il lui arrive la même chose qui lui est arrivée dans le ventricule droit ; il s’échauffe et s’agite encore davantage ; le cœur est tendu, les valvules de l’artère veineuse sont fermées et le chemin de l’aorte se trouve seul ouvert parce que ses valvules sont tournées en dehors. Le sang étant distribué par la grande artère dans toutes les autres du corps, il n’y rencontre plus d’obstacle et passe dans les veines par diverses embouchures. Il va des moindres rameaux dans les plus gros jusqu’à ce qu’il attrape derechef la veine cave, d’où il retombe dans le ventricule droit du cœur. Il reste à parler de quelques expériences qui confirment heureusement ce qui peut paraître une démonstration dans la théorie ; car en effet, ce que je viens de raconter à V.É. est si vraisemblable et si bien entendu qu’il serait à souhaiter que la chose fût vraie si elle ne l’était pas. Tant y a que nous avons dans ce système une idée de la structure de notre corps et des mouvements qui causent la vie ; au lieu que par certains termes de facultés et de puissances, empruntés de la morale, nous ne concevions nettement aucune des actions de la vie animale. Ce que les chirurgiens ont pratiqué de tout temps en la saignée [5] du bras, qui est de lier au-dessus du coude et de piquer la veine au-dessous de la ligature, puis de la relâcher un peu afin que le sang coule plus aisément, est une expérience d’autant plus naturelle de la circulation du sang que ces bonnes gens, sans savoir ce qu’ils faisaient, tenaient précisément le procédé auquel les eût menés un raisonnement bâti sur les principes que je viens d’établir. Le sang au sortir du ventricule gauche du cœur, étant plus chaud et plus spiritueux, [12] il a été nécessaire de le conduire par un canal plus solide, telles que sont les artères, et plus enfoncé sous la peau ; mais étant un peu refroidi en s’éloignant de la forge où il a été allumé, il entre par les anastomoses des artères dans les veines, qui sont d’autres canaux plus minces et plus proches de la superficie du corps ; et ainsi, il est porté du centre à la circonférence par les artères, et reconduit de la circonférence au centre par les veines. Il est vrai qu’il en demeure toujours quelque peu en chemin, qui s’exhale par les pores ou qui est versé dans les vaisseaux qui n’ont point de retour ; et peut-être même que dans chaque muscle il se fait une petite effusion à chaque battement du cœur, et qu’il y a une espèce de systole et de diastole, par lesquelles l’action de la nourriture est entretenue. [13] Mais je ne dis cela qu’en passant ; et ce qui fait à mon sujet est de remarquer que la ligature du bras est relâchée afin que la veine seule soit pressée et que le passage demeure toujours libre par l’artère qui est au-dessous. L’ouverture qui est faite du côté de la main fait bien voir que le sang vient de là, et qu’il remonte ; car s’il descendait de vers l’épaule, ce serait au-dessus de la ligature qu’il faudrait avoir piqué la veine ; outre que lorsqu’on veut arrêter le sang après que la ligature est ôtée, on ne fait autre chose que prendre la veine avec les deux doigts au-dessous de la piqûre, et il n’en sort pas une goutte, quoique la veine demeure ouverte et que la descente soit libre au sang qui viendrait de vers l’épaule ; mais il n’en tombe pourtant que ce qui se rencontre depuis la première valvule jusqu’à l’incision ; ce que l’on voit, même sans faire d’ouverture, sur la main des personnes qui ont la peau déliée et les veines grosses et élevées ; car, en arrêtant le sang avec le doigt au-dessous d’une valvule que l’on remarque par sa tumeur, et repoussant de l’autre main le sang au delà de la valvule, tirant vers le bras, la veine demeure vide et il n’y revient point de sang d’en haut ; mais elle se remplit tout incontinent que l’on ôte le doigt qui le retenait au-dessous, vers l’extrémité de la main. Ces expériences ont été rendues plus manifestes depuis trente ans par les dissections vivantes ; et dans notre assemblée, M. Pecquet [6][7] fit cette opération : il découvrit la veine et l’artère iliaque, et les ayant prises au milieu de la cuisse avec un fil qu’il passa au-dessous de chacune, [14] afin de les fermer comme bon lui semblerait, il tira la veine en haut et la pressa avec le fil ; puis il la piqua tirant vers la jambe, d’où l’on voyait remonter le sang, tandis qu’il ne pouvait point descendre de l’autre côté, par où le passage était interdit. Il fit bien plus, il lia tout à fait la veine au-dessus de l’ouverture et la coupa, et le sang ne laissa pas de couler toujours. Puis, afin de montrer qu’il y venait par l’artère, il la lia, et le sang s’arrêta tout court. [15] Et certes, quand on n’aurait pas vu cela, il eût été aisé de juger qu’il s’écoulait plus de sang qu’il n’y en avait de contenu dans la veine, depuis sa piqûre jusqu’au bout du pied ; outre que tout celui du corps se pouvant écouler par là, il faut bien qu’il y vienne par des canaux qui sont au-dessous, qui ont des anastomoses dans son canal et qui vont puiser le sang dans la source ; ce qui ne peut être attribué qu’aux artères. [8] Je n’en dirai pas davantage, pource que V.É. entend les choses à demi-mot et que l’État a besoin qu’elle pense à ce qui le regarde. Cependant, elle ne me doit pas savoir mauvais gré que je tâche de la divertir par ces petits discours ; car peut-être, ils la délasseront des grandes affaires, auxquelles on revient avec plus de vigueur lorsqu’on s’est tenu quelque temps un peu relâché de la trop pénible contention d’esprit. C’est pourquoi les souverains ne méprisent pas toute sorte de récréations, et même on a vu des conquérants jouer à des jeux pour rire lorsqu’ils avaient assez pensé à une bataille qui se devait donner le lendemain. Si les matières dont j’ai parlé à V.É. passent pour un jeu, je ne suis pas tout à fait blâmable de l’en avoir osé entretenir aux heures qu’elle se trouve indisposée. Et si elles sont estimées assez sérieuses pour ne pas tenir ce rang, je ne les pouvais pas mieux adresser, les proposant comme je fais à la plus sérieuse personne du monde ; car il n’y a rien de plus sérieux, à mon avis, que le gouvernement des peuples, qui fait toute son occupation ; et d’ailleurs, je suis bien assuré que tout ce que V.É. dit, et tout ce qu’elle fait de moins important ou de plus semblable aux divertissements et aux railleries, vient d’une profonde méditation des choses et sert de corollaire aux vanités que sa sagesse y a reconnues. J’admire derechef cette profonde pénétration et suis d’autant plus,

Monseigneur,

de Votre Éminence le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

Sorbière.

À Paris le… < sans date >.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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