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L’Europe en 1635

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe. L’Europe en 1635

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(Consulté le 29/03/2024)

 

Le 19 mai 1635 (date qui correspond à la 22e lettre de Guy Patin), la France « très-chrétienne » entrait dans la guerre de Trente Ans (1618-1648) [1] en envoyant à Bruxelles un héraut d’armes et un trompette pour déclarer, comme au temps des preux chevaliers, qu’elle ouvrait les hostilités contre l’Espagne « catholique », parente et alliée de l’Autriche.

Un Bourbon (Sa Majesté), Louis xiii (1601-1643), [2] fils aîné de Henri iv (1553-1610) [3] et de Marie de Médicis (1573-1642), [4] régnait sur le Royaume de France et de Navarre. Son principal ministre était le cardinal-duc de Richelieu (1585-1642). [5] Brouillée avec Louis xiii et Richelieu, la reine mère, Marie de Médicis, veuve de Henri iv, vivait en exil à Bruxelles depuis 1631. Anne d’Autriche (1601-1669), reine de France, [6] était issue de la dynastie des Habsbourg (v. infra) : fille aînée de Philippe iii et sœur aînée de Philippe iv, rois « des Espagnes » (v. infra), [7][8] elle avait épousé Louis xiii en 1615. Deux fils allaient tardivement naître de cette union : Louis-Dieudonné (futur Louis xiv) en 1638, [9] et Philippe en 1640. [10] Avant ces naissances, Gaston-Jean-Baptiste (1608-1660), duc d’Orléans, frère cadet de Louis xiii, qu’on appelait Monsieur (Son Altesse Royale), [11] vivait dans l’espoir de monter un jour sur le trône, en cas d’événement fâcheux. La branche cadette des Bourbons, les Bourbon-Condé, complétait le petit cercle des « princes du sang » : son aîné (alors Henri ii[12] père de Louis ii, le Grand Condé) portait le titre de M. le prince (Son Altesse) ; tant que vivait son père, le fils de M le prince portait celui de duc d’Enghien (M. le Duc). [13]

La France comptait une vingtaine de millions d’habitants, mais n’avait pas son étendue actuelle : au nord, la Flandre, l’Artois et les Ardennes appartenaient aux Pays-Bas espagnols ; à l’est, le duché de Lorraine et l’Alsace se rattachaient à l’Empire (v. infra), les « Trois-Évêchés », Metz, Toul et Verdun, dépendant seuls de la couronne de France ; la Franche-Comté, avec l’enclave du comté de Charolais, était un fief du Saint-Empire occupé par les troupes espagnoles, et la Savoie formait un duché indépendant ; le pays niçois, la Corse, l’enclave du Comtat-Venaissin et la principauté d’Orange étaient respectivement rattachés au Piémont, à la République de Gênes, aux États pontificaux et aux Provinces-Unies. En devenant roi de France en 1589, Henri iv avait ajouté la Basse-Navarre à la Couronne de Bourbons (elle fait aujourd’hui partie du département des Pyrénées-Atlantiques).

Neuf parlements (Paris, Dijon, Grenoble, Aix, Toulouse, Pau, Bordeaux, Rennes, Rouen), composés chacun de plusieurs chambres (Grand’Chambre, Enquêtes, Requêtes, etc.), assuraient la justice dans le pays. Leur rôle législatif se cantonnait à promulguer des arrêts de règlement et à enregistrer les lois (ordonnances royales) avec simple droit de remontrance. Leurs membres (conseillers et présidents) n’étaient pas élus, ils achetaient leur charge au roi et pouvaient les transmettre à leurs héritiers, sous condition de régler un droit annuel, la paulette. [14]

Royaume catholique, la France tolérait avec plus ou moins de bienveillance la pratique de la religion réformée (essentiellement calviniste), suivant les règles établies par l’édit de Nantes, [15] scellé par Henri iv en 1598 (révoqué par son petit-fils, Louis xiv, en 1685). Environ le vingtième de la population était protestant. Toutes les tentatives de prise en main de certaines régions par les réformés s’étaient soldées par l’échec. Le plus décisif avait été la chute de La Rochelle en 1628, [16] malgré l’appui que les Anglais avaient fourni aux assiégés, qui avait abouti à l’édit de grâce d’Alais (Alès) le 27 juin 1629. Le roi de France était surnommé « très-chrétien ».

Le gigantesque empire qu’avait assemblé Charles Quint (1500-1558) [17] était toujours entre les mains des Habsbourg, mais les héritages l’avaient scindé en deux branches.

  • La branche espagnole, en la personne de Philippe iv (1605-1665, couronné en 1621), « roi catholique », régnait sur le royaume des Espagnes et des Indes. Cet immense territoire, outre la péninsule ibérique et ses colonies d’Amérique, incluait tout le sud de l’Italie (royaumes de Naples et de Sicile, Sardaigne), le Milanais, la Franche-Comté, et les Pays-Bas ; ceux que Guy Patin appelait la ou les Flandres, c’est-à-dire les territoires actuels de l’Artois et de la Flandre française, de la Belgique et du Luxembourg ; outre quelques îlots germanophones, ils comprenaient déjà deux zones linguistiques (Flandre proprement dite, néerlandophone, et Wallonie francophone). L’axe stratégique qui allait d’Italie en Flandre portait le nom de Camino Español (Gênes, Milan, Breisach, Luxembourg ou Cologne, Bruxelles). Le royaume de Portugal allait se détacher de l’Espagne en couronnant son roi, Jean iv, duc de Bragance, le 15 décembre 1640. [18]

  • La branche autrichienne, en la personne de Ferdinand ii (1578-1637, élu et couronné en 1619), [19] dirigeait par élection l’Empire, le Saint-Empire romain germanique, qui était la réunion d’États souverains : Autriche catholique des Habsbourg (actuelle Autriche avec une extension au sud jusqu’à Trieste sur la mer Adriatique), à laquelle se rattachaient le royaume de Bohême (« Couronne de saint Venceslas », comprenant la Bohême proprement dite, dont la capitale était Prague, la Moravie, la Silésie, et les Haute et Basse Lusace) et le royaume de Hongrie (actuelle Hongrie, sans tout son sud-est, qui était turc), détenus par le fils de Ferdinand ii ; [20] toutes les provinces et villes libres, catholiques ou protestantes (luthériennes ou calvinistes), de l’actuelle Allemagne, à l’exception de la Prusse, alors sous la domination des Hohenzollern.

Un point commun aux deux branches était leur catholicisme intransigeant qui en faisait, avec l’appui de l’Inquisition, en Espagne, [21] et celui des jésuites, en Autriche, [22] les plus farouches ennemies des protestants et les plus fidèles alliées du pape (Urbain viii élu en 1623). [23]

Plusieurs parties de l’Italie échappaient à l’emprise des Habsbourg d’Espagne. Au nord, le duché de Savoie-Piémont, dont la capitale était Turin, se trouvait sous la régence de Chrétienne de France, [24] fille de Henri iv, veuve de Victor-Amédée ier[25] surnommée Madame Royale ; le marquisat de Montferrat et la République de Gênes bordaient le Piémont au sud. Le centre de la péninsule était occupé par les États de l’Église, limités au sud par le royaume espagnol de Naples, et au nord-est par les duchés de Toscane, de Modène, de Parme et de Mantoue (couplé au Montferrat, dont il était pourtant séparé par le Milanais, espagnol lui aussi). Enfin, la République de Venise occupait un assez vaste territoire, qui incluait Padoue et sa célèbre Université ; de 1645 à 1669, une guerre allait opposer la République à l’Empire ottoman (v. infra) pour la possession de l’île de Candie (la Crète), que les Turcs finirent par arracher.

La Confédération des cantons suisses, que, comme nous, Guy Patin appelait la Suisse (ou les Suisses), comptait 13 cantons (sept catholiques, quatre réformés, et deux mixtes). Politiquement, les 13 cantons ont fait partie de l’Empire jusqu’aux traités de Westphalie (1648, v. infra[26] qui leur concédèrent la souveraineté. Des alliés indépendants s’y rattachaient : République de Genève (« la Rome protestante », théocratie instaurée par Jean Calvin en 1536), Grisons, Saint-Gall, Neuchâtel (placé sous l’autorité du duc d’Orléans).

Les Pays-Bas actuels, que, comme nous, Guy Patin appelait par simplification la Hollande, portaient le nom de Provinces-Unies. En 1579 (union d’Utrecht), elles s’étaient constituées en république, après s’être converties au protestantisme et détachées, sous la houlette de Guillaume de Nassau, le Taciturne, [27] de l’empire légué par Charles-Quint. Elles comprenaient sept provinces : Zélande, Hollande, Utrecht, Gueldre, Groningue, Over-Yssel, et Frise. La stabilité politique des Provinces-Unies n’allait être définitivement consolidée que par les traités de Westphalie.

Le royaume d’Angleterre, c’est-à-dire l’ensemble des îles britanniques, était sous la domination des Stuart, en la personne de Charles ier (1600-1649, couronné roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande en 1625), [28] souverain protestant (anglican) qui avait donné une reine catholique à son pays en épousant (1625) Henriette de France, [29] fille de Henri iv. Ayant poussé l’absolutisme jusqu’aux extrêmes, le roi avait semé les germes d’une guerre civile. Elle allait éclater en 1642, menée par Oliver Cromwell (1599-1658), [30] aboutissant en 1649 à la décapitation du roi et la déclaration de la république (Commonwealth).

Le royaume de Suède réunissait les territoires actuels de la Suède (à l’exception de sa côte sud qui appartenait au Danemark) et de la Finlande. Sous le règne (1611-1632) de Gustave-Adolphe ii Wasa, [31] le plus habile stratège de son temps, la Suède avait accédé au rang de grande puissance européenne en conquérant la Poméranie sur la Pologne, en jugulant les ambitions territoriales du Danemark et en menant avec succès le parti protestant dans la guerre de Trente Ans (v. infra). La Suède était en 1635 sous la tutelle d’un Conseil de régence, en attendant que Christine, fille unique du feu roi, eût atteint l’âge de 18 ans (1650). [32]

Le royaume de Danemark et de Norvège, dont les limites correspondaient à peu près à celles actuelles de ces deux États, plus le sud de la Suède, était une monarchie élective, alors régie par la maison d’Oldenbourg, en la personne du roi Christian iv (1577-1648, couronné en 1596). [33] Après s’être désengagé sans gloire de la guerre de Trente Ans en 1629, le royaume se trouvait entre deux conflits contre son puissant voisin suédois : celui qui s’était achevé en 1613, et celui qui allait se rallumer en 1643.

Depuis 1569, le royaume de Pologne était réuni au grand-duché de Lituanie pour former la République des Deux Nations. Elle incluait la Lettonie, la Livonie, l’Estonie, la Biélorussie et la région de Smolensk, et une grande partie de l’Ukraine. Une diète des nobles élisait le roi de Pologne et grand-duc de Lituanie qui la dirigeait. C’était alors Ladislas iv Vasa, [34] désigné en 1632.

Les voisins orientaux de l’Europe étaient, au nord, la Moscovie, dirigée par son tsar, ou « Grand-Duc », qui était alors Michel Féodorovitch (1596-1645), [35] fondateur de la dynastie des Romanov ; et au sud, l’Empire ottoman (Sublime Porte), dirigé par le Grand Turc (ou Grand Seigneur), Amurat iv (1611-1640). [36] Ces deux immenses pays avaient beaucoup à faire ailleurs qu’en Europe occidentale, mais ne manquaient pas, par moments, de menacer la Pologne, pour la première, et l’Autriche ou Venise, pour la seconde.

La grande affaire de l’Europe en 1635 était toujours et encore la guerre d’Allemagne, qu’on baptisa plus tard la guerre de Trente Ans : entamée en 1618 quand la Bohême s’était rebellée contre l’Autriche (défenestration de Prague), elle n’allait en effet s’achever qu’en 1648 (traités dits de Westphalie, négociés à Münster pour les catholiques et à Osnabrück pour les protestants). Déclenchée par une querelle de succession à la tête de la Bohême entre catholiques (partisans de l’héritier légitime, Ferdinand ii Habsbourg) et protestants (partisans de l’électeur palatin, Frédéric v), cette guerre avait rapidement pris pour enjeu la domination politique et religieuse du centre de l’Europe. L’Espagne appuyait naturellement le parti catholique des Habsbourg. Diverses phases s’étaient succédé, selon la nationalité de ceux qui défendaient le parti protestant : tchèque et palatine, jusqu’en 1620 ; danoise, de 1625 à 1629 ; suédoise, de 1630 à 1635 (victoire décisive de Nördlingen remportée par les Impériaux sur les Suédois). Le 30 mai 1635 une paix était conclue à Prague entre l’empereur et l’électeur de Saxe, Jean Georges ier ; [37] mais dès le 19 mai, refusant le rétablissement de l’hégémonie autrichienne qui se préparait, et en dépit de son statut de fille aînée de l’Église, la France était entrée en lice en déclarant la guerre à l’Espagne, entamant la phase française du conflit et lui donnant une ampleur qu’il n’avait jamais eue jusqu’alors. Les principales hostilités entre « les deux couronnes » s’étaient d’abord déroulées sur la frontière entre la France et les Pays-Bas, et dans le nord de l’Italie. En 1636, l’empereur allait déclarer la guerre à la France, l’obligeant, sans abandonner ces fronts, à aller combattre sur le sol allemand. La guerre de la France contre l’Empire allait s’achever en 1648 (traités de Westphalie), mais on allait attendre 1659 (paix des Pyrénées) [38] pour mettre un terme à la guerre contre l’Espagne. Le poids financier de ces hostilités était colossal pour le royaume : alors que ses dépenses annuelles avaient assez sagement augmenté entre 1600 et 1630, passant de 30 à 55 millions de livres tournois, elles s’étaient ensuite envolées, pour atteindre 208 millions en 1635. Ce niveau extravagant ne fut plus jamais atteint du temps de Guy Patin, mais jusqu’en 1660, la somme annuelle à prélever dans la bourse des Français allait osciller entre 85 et 143 millions. La pression fiscale outrancière incita le peuple, puis les parlements à la désobéissance, et mena, marche après marche, à la guerre civile, la Fronde, qui éclata en 1648, pour se prolonger, par soubresauts, jusqu’en 1653.

Selon les périodes, l’effectif total des armées de France variait entre 150 et 200 000 hommes (dont environ 20 pour cent de cavaliers) ; ceux du rang étaient des célibataires français, complétés (pour un quart à un tiers) de mercenaires étrangers. On guerroyait essentiellement de mars à octobre, période où les chemins étaient praticables et le fourrage abondant pour les chevaux ; le reste de l’année, l’armée prenait ses quartiers d’hiver. Les troupes royales engagées dans une grande bataille ne dépassaient pas quelques milliers (17 000 à Rocroi en 1643, 16 000 à Lens en 1648). Le petit peuple souffrait cependant considérablement par les rapines des soldats (en campagne comme en quartier), qui tiraient leur subsistance des habitants, et par les pénuries alimentaires qui en résultaient. Dans les pires moments, cela provoquait de grandes migrations populaires vers les villes, qui se trouvaient envahies par un nombre considérable de misérables réfugiés affamés.

Pour ses échanges littéraires ou savants, l’Europe intellectuelle recourait abondamment au latin. Cette langue aujourd’hui morte, mais alors bien vivante, est une clé indispensable à qui veut pénétrer le véritable tour des esprits au temps de Guy Patin, comme le contenu de sa correspondance le prouve amplement.

Les historiens ont baptisé premier xviie siècle la période allant de 1594 (sacre de Henri iv) à 1661 (mort de Mazarin). [39] Sur une base plus artistique que politique, on la qualifie aussi de baroque ; mais à ce vocable, qui se veut opposé à classique, on est tenté, pour tout ce qui étonne et bouillonne dans les lettres de Guy Patin, de préférer celui de querelleuse, tant elle a été féconde en disputes entre toutes sortes de contraires plus ou moins tranchés :

  • en religion, catholiques contre protestants, jansénistes contre jésuites, gallicans contre ultramontains ;

  • en philosophie et en physique, novateurs (Galilée, Pierre Gassendi ou René Descartes) défiant bravement l’aristotélisme de la Sorbonne et de l’Église romaine ;

  • en morale, dévots contre libertins de tout poil ;

  • en politique, république contre monarchie, Fronde du Parlement puis des princes contre Couronne de France, ses intérêts contre ceux des Habsbourg ;

  • ou en médecine, dogmatisme contre empirisme, innovations pharmaceutiques (antimoine, quinquina) ou anatomiques (circulation du sang, mouvement du chyle) contre fidélité bornée aux préceptes des anciens (Hippocrate et Galien), Paris contre Montpellier, médecins contre chirurgiens et contre apothicaires.

La violence des invectives jaillissant de tous côtés (en partie caricaturée par Molière) peut sembler aujourd’hui excessive, voire dérisoire ; mais telle était la sève d’une période qui, ni plus ni moins que toute autre, expose à l’anachronisme celui qui voudrait la juger suivant les seuls critères de son propre temps.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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