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Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre VIII  >

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre VIII

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8175

(Consulté le 20/04/2024)

 

De l’action vénérienne, ou évacuation de la semence [a][1]

Il faut garder une grande modération en l’excrétion de semence, [1][2][3] de peur qu’elle ne soit trop grande ou trop petite. Il y a du danger à retenir cet excrément, tant utile qu’il soit, parce qu’étant retenu, il se pourrit et devient pernicieux comme venin, principalement aux femmes ; d’où vient que les jeunes veuves sont fort sujettes aux suffocations de matrice, [4] comme démontre Galien, lib. 6, de Locis affect., cap. 5, car cette matière séminale, étant corrompue, cause d’étranges et terribles accidents, d’autant plus qu’elle a été naturelle et parfaite[2][5] Le danger est bien encore plus grand si on en fait une excrétion immodérée, vu qu’elle nuit plus à la vie que si l’on avait perdu cent fois autant de sang ; d’où vient que tous les animaux paillards de leur naturel vivent moins que les autres. Pour la même cause, les passereaux ne vivent guère plus de deux ans, et même les mâles, pour y être plus enclins, meurent plus tôt que les femelles. [3][6] C’est pourquoi il faut que celui qui est soigneux de sa santé prenne bien garde, sur toute chose, à ce point de ne se pas laisser emporter à aucun appétit lubrique et désordonné, mais seulement y vaque pour satisfaire à nature lorsqu’elle est chargée de cet excrément, et non jamais pour son plaisir.

Vina sitim sedant, natis Venus alma creandis,
Sed fines horum transiliisse nocet
[4][7]

Car la semence, étant un excrément bénin, ne doit être mise hors du corps que quand elle incommode pour sa quantité ; et alors, cette action fait ce qu’en dit Galien. [5] Alors, dis-je, elle réjouit le cœur, rend la respiration plus libre, chasse la mélancolie, [8] apaise la tristesse, adoucit la colère et induit le sommeil à ceux qui ont longtemps veillé. Davantage, il faut prendre garde que pour bien et au près [6] définir la modération requise à cette action, il faut avoir égard au tempérament de la personne, parce que les mélancoliques et les bilieux [9] en sont bien offensés davantage et plus grièvement que les sanguins [10] et pituiteux. [11] Il faut pareillement prendre garde à l’âge car ceux qui sont en un âge de force et de vigueur s’en acquittent bien mieux et à moindre détriment que les vieillards, les émaciés, les refroidis et les desséchés. D’une excrétion de semence immodérée on en voit naître une infinité de malheureux accidents, comme une grande débilité de tout le corps, une dissipation des forces et des esprits, une oubliance, la vue courte, puanteur de bouche, confusion mortelle, comme j’ai vu arriver en cette ville depuis peu à un jeune homme âgé de 25 ans : apoplexie, [12] épilepsie, [13] paralysie, tremblement de membres, toute sorte de gouttes, aux mains, aux pieds, aux genoux et aux hanches. [14]

Luxuries prædulce malum, quæ dedita semper
Corporis arbitriis, hebetat caligine sensum,
Membraque Circæis effeminat acrius herbis,
Blanda quidem vultu, sed qua non tetrior ulla
[7][15][16]

Je veux bien pourtant que les jeunes gens sachent que je ne veux nullement les porter à être enclins à l’amour et à la lubricité pour ce que j’ai dit ci-dessus, qu’il y a du danger à retenir cet excrément tout viril qu’il soit, et n’entends nullement que la jeunesse (qui de soi n’est que trop débauchée aujourd’hui par la mauvaise nourriture qu’on lui donne) tire d’ici occasion de pécher et offenser Dieu, pour ce que j’en ai dit, ni qu’elle s’aille mettre en danger de se gâter en rapportant quelque vilaine et honteuse maladie qui l’estropie pour le reste de sa vie ; [17] car je m’entends, avec tous les bons auteurs, des femmes, et jeunes veuves particulièrement, au corps desquelles la semence, comme plus aqueuse, moins seconde et moins remplie d’esprits que celle des hommes, se gâte et corrompt fort aisément, au contraire de celle des hommes, de laquelle on n’a jamais vu arriver, quelque longtemps qu’elle ait été retenue, aucun mauvais accident ; encore qu’un certain poète latin l’ait voulu faire accroire à la postérité par l’épitaphe qu’il a faite à Michel Vérin, [18] jeune homme espagnol, où ces deux vers se lisent, que je produis comme étant fort communs, afin d’en montrer l’abus :

Sola Venus poterat lento succurrere morbo,
Ne se pollueret, maluit ille mori
[8][19][20]

Où j’avertis le lecteur que telle cause putative de la mort de Michel Vérin, savoir la trop grande quantité de semence, est fausse et controuvée, et que ce discours n’est qu’une bourde inventée par un homme ignorant en médecine, vu qu’un bon et savant médecin, ayant la crainte de Dieu devant ses yeux, comme tous la doivent avoir, n’a ordonné et n’ordonnera jamais l’action vénérienne illégitimement, ni pour remède présent et unique d’une maladie mortelle, comme ce menteur de poète a voulu feindre. Chacun est obligé de croire, pour la conservation de sa santé, qu’il est très vrai ce que Plutarque a dit en trois mots du manger, de l’exercice et de l’amour : Vesci citra saturitatem, impigrum esse ad laboras, vitale semen conservare, tria saluberrima[9][21] Ces trois points bien gardés valent mieux que tout le reste, encore qu’à toute sorte de gens on n’en puisse pas faire une même règle. Il vaudrait mieux être de l’avis d’Épicure, [22] qui croyait que cette action ne servait nullement à l’entretien de la santé, que, sous l’ombre d’une nécessité supposée, il en fallût offenser la bonté divine et en abuser ; [10][23][24] vu même que (comme dit fort bien un grand philosophe du siècle passé) il n’y a guère d’apparence qu’il soit vrai de tous les avantages que les Anciens ont dit de cette action, quelque modération et prudence qu’on y puisse apporter, car qui est celui qui ne confesse que jamais elle ne se peut faire sans débiliter et infirmer l’agent ? Chacun ne voit-il pas bien tous les jours, et n’éprouve en soi-même, que nous n’avons que faire en aucune façon de solliciter la décharge de cette matière, vu que la Nature sait et trouve bien les moyens de s’en décharger quand elle est trop chargée et que l’abondance l’irrite durant le sommeil, et qu’elle coule même à quelques-uns en veillant, de soi-même et sans aucun sentiment ? [11][25][26][27] Arrière donc à cette fausse doctrine. Soient seulement avertis les jeunes gens qui se laissent trop emporter à ce vice d’amour, qu’ils ne peuvent remporter autre récompense de leur lubricité qu’une moins longue vie, avec quantité de maladies très fâcheuses et douleurs fort importunes. Qu’ils se souviennent plutôt de la réponse d’un des savants médecins qui fût jamais, lequel étant interrogé à l’âge de 96 ans par quel moyen il avait vécu, et était encore si dispos et si gaillard en ce grand âge, répondit simplement en ces mots : quod castam iuventutem virili ætati tradidisset ; c’est-à-dire, parce qu’il avait passé son jeune âge fort chastement. [12][28][29][30]

Je ne dirai rien davantage de ce point, je le laisse aux théologiens ; et pour achever ce chapitre, je dirai comme médecin, que chacun doit être fort retenu et modéré en cette action, ayant égard à la saison, au tempérament et autres circonstances. Hippocrate l’a notablement recommandé en ce peu de mots : Labor, cibus, potus, somnus, Venus, omnia mediocria[13][31] Épicure en a fait si peu d’état qu’il a voulu, dans Galien, nous la faire passer pour nuisible et dommageable à la santé, ce qui n’est pas absolument vrai si on en vient là avec telle modération que l’on ne s’en trouve point plus faible, mais au contraire plus léger, plus dispos, et que la respiration en semble plus aisée ou plus libre. Quant au temps de s’en bien acquitter, il le faut prendre lorsque le corps est dans la juste médiocrité de toutes ses circonstances, c’est-à-dire qu’il ne soit ni trop plein ni trop vide, ni trop échauffé ni trop refroidi, ni trop chargé d’humeurs ni trop desséché. [10] De plus, ce doit être plutôt après que devant le repas, non pas néanmoins sitôt, mais cinq ou six heures après, et se rendormir par dessus. Le meilleur et le plus à propos c’est après avoir dormi environ quatre heures, la digestion étant achevée, et se rendormir encore pour trois bonnes heures, durant lesquelles se fera une nouvelle réparation des forces qui délassera le corps fatigué et affaibli par la précédente évacuation ; joint que, pour autres causes, ce même dernier somme est fort utile à la femme. Pour le tempérament requis, le sanguin en est plus capable ; j’entends ceux qui sont chauds et humides de leur naturel, car à ceux-là seuls elle n’incommode qu’à peine, et s’ils n’en abusent. Pour les bilieux, ils sont d’un tempérament trop sec, joint qu’elle ne fait qu’échauffer leur sang, et aiguiser leur bile. Les pituiteux sont trop humides, et < elle > leur est fort nuisible si d’aventure ils ne s’y comportent fort modérément, encore qu’Hippocrate ait dit qu’elle sert aux pituiteux, mais il le faut bien entendre. [14] Quant aux mélancoliques, qui sont froids et secs, elle leur est étrangement contraire, pour les trop refroidir et les dessécher davantage. La façon de vivre chaude et humide y est plus propre, principalement si elle est assaisonnée de bon vin, que les Anciens appelaient, à propos de cela, lac Veneris[15][32][33] Des saisons de l’année, le printemps y est préféré, à cause de son tempérament égal et du sang qui domine alors ; l’hiver après, parce que la chaleur interne est alors bien plus vigoureuse, et que l’on boit et mange davantage ; puis l’automne ; mais pour l’été, il n’y est nullement propre, pour la grande chaleur qui dissipe les esprits et les forces du corps. Pour l’âge, il n’y en a pas de plus propre que la jeunesse et l’âge viril, l’adolescence étant encore trop infirme, trop humide et n’ayant atteint sa parfaite croissance ; la vieillesse étant trop sèche, et manquant de cette humeur prolifique qui est nécessaire à l’appointement.

Turpe senex miles, turpe senilis amor[16][34]

Les fréquentes morts des vieillards qui épousent de jeunes femmes déclarent assez combien l’amour leur est ennemi, et cette action contraire à leur vie. Je ne veux pour tout témoignage de mon dire que l’épitaphe de cet Italien, [35] qui cum, au rapport de Paul Jove, en ses Éloges des hommes doctes[36] plane senex, et articulorum dolore distortus, ab ætate, formaque florentis iuvenis toro dignam duxisset uxorem, aliquanto prolis, quam vitæ cupidior, letalis intemperantiæ pœnas dedit.

In fovea qui te moriturum dixit Aruspex
Non mentitus erat, coniugis illa fuit
[17][37]

Ou cet autre du même fait par un autre poète.

Hic nunc clare iaces, et quem Podalirion esse.
Vidimus, annosum sustulit ipsa Venus
[18][38][39]

Si elle est prise avec toutes ces circonstances, elle sert en déchargeant le corps de quantité d’humeurs superflues, le rendant plus léger et plus gaillard ; elle sert aussi à l’esprit, le dégageant de chagrin et pensées mélancoliques, chassant la colère et la tristesse, principalement à ceux qui sont tourmentés de l’érotomanie. [19][40]

> Chapitre ix, De la purgation menstruelle des femmes

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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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