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Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : L’Esprit de Guy Patin (1709), Faux Patiniana II-3

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8216

(Consulté le 19/03/2024)

 

Pages 101‑153 [sic pour : 151] [a][1]

  • Un jeune voyageur m’assure aujourd’hui qu’en Éthiopie, toute la vaisselle dont on se sert pour le roi [2] n’est que de terre, qu’il ne porte jamais ses morceaux à sa bouche, mais que les pages déchirent la viande avec les doigts et, mêlant du pain avec la soupe, la portant < sic  pour portent > à la bouche du roi ; et quelquefois en si grande quantité qu’elle sort d’une manière dégoûtante. Il serait honteux pour lui de le voir en cette ridicule situation, mais on y a remédié car personne ne le voit jamais manger. [1][3]

  • “ On a achevé en Hollande (février 1662) une impression de toutes les œuvres de Hugo Grotius, [4] que j’ai autrefois connu ici ambassadeur de la reine de Suède. [5] Il a été le plus bel esprit de son temps, il était admirablement savant, mais d’un savoir tout beau et très noble. Cet ouvrage aura neuf tomes in‑fo. ”

  • “ Depuis peu de jours, le duc de Lorraine, [6] raillant avec le prince de Condé [7] du traité qu’il avait avec le roi, [8] par lequel, entre autres choses, le roi lui accordait que les princes de Lorraine [9] deviendront princes du sang, il lui dit : En toute votre vie, vous n’avez pu faire qu’un prince du sang, qui est le duc d’Enghien, [10] et moi, d’un trait de plume, j’en fais vingt-quatre. ”

  • “ J’ai vu les Épîtres de Richterus[11] il y a quelques bonnes choses, quelques-unes de médiocres, mais beaucoup de mauvaises, et tout l’ouvrage est assez mal fagoté. ”

  • “ M. Gontier [12] a tâché de faire imprimer ici ses manuscrits, mais il n’a pu trouver personne qui l’ait voulu entreprendre, nos marchands sont trop secs. Tandis qu’il gardera ses écrits, il pourra les corriger. La règle d’Horace [13] est encore recevable, nonumque prematur in annum : ” il est toujours dangereux de trop se précipiter à paraître dans le monde savant, l’envie de s’y produire est telle que personne ne fait attention à cette maxime d’Horace. Au lieu d’employer neuf années à polir et perfectionner un ouvrage, on entreprend de faire dix-huit volumes en neuf ans, un tous les six mois : le moyen que la perfection se trouve où le temps n’a pas été mis ?

  • “ Érasme ne fut jamais novice < sic pour : moine >, c’est une médisance : il fut seulement novice dans un collège de chanoines réguliers de Saint-Augustin[14] où son tuteur l’avait fourré, âgé seulement de quatorze ans, pensant l’y faire demeurer pour avoir son bien ; mais le compagnon n’en voulut point tâter. Je m’étonne comment un savant tel qu’est le Père Théophile Raynaud [15] s’est abandonné à la même opinion et aux mêmes calomnies. Il est vrai qu’Érasme était bâtard et fils de prêtre, il ne le dissimule pas dans sa Vie qu’il a écrite < lui-même >. ” [16]

  • “ Les jurisconsultes disent que le titre du droit, de acquirendo rerum Dominio[17] est le titre des habiles gens. ” Je vois bien que je ne suis pas de ce nombre car je le méprise, et je veux toujours l’ignorer.

  • “ On ne dit rien ici (Déc. 1662) de Monsieur Fouquet, [18] c’est bon signe : il y a dans le droit une règle dont il me fait souvenir, esse diu in reatu pœnam mitigat. ” [2]

  • M. A.T. n’est pas fâché d’apprendre qu’on veut faire la critique, et même peut-être la censure de son livre. [19] On le rendra plus désirable, dit-il, et c’est ce qu’il désire, il ne se trompe pas. Nitimur in vetitum[3][20] Tacite (Annal., l. xiv, c. l, et l. iv, c. xxxv), [21] parlant des satires qu’un certain Fabricius Vejento [22] avait publiées contre les prêtres et les sénateurs, et que Néron [23] avait fait brûler à Rome, [24] dit qu’on les rechercha alors avec empressement ; mais que quand on eut la liberté de les avoir, on ne s’en soucia plus ; conquisitos, lectitatosque donec eum periculo parabantur, mox licentia habendi oblivionem attulit[4][25]

  • “ Enfin, j’ai fait un nouveau marché : j’ai marié mon fils Carolus, [26] âgé de trente ans, à la fille de M. Hommetz, mon collègue. [27] Elle s’appelle Ma<g>delon [28] et est âgée de dix-neuf ans moins quatre mois, belle fille, bien née, d’un bon père et d’une sage mère, utinam omnia fauste succedant. C’est un marché douteux pour la réussite, uxore atque viro thorus est fatalis[29] Le bonhomme Lipse, [30] qui avait une femme très méchante, [31] a dit en quelque endroit de ses épîtres, qu’il y a quelque secret du destin dans les mariages ; mais on ne sait guère bien ce qu’il faut entendre par ce destin, si nous avons recours à Sénèque qui a dit : [32] Natura, Fortuna, Providentia, Fatum, Nomina sunt unius et eiusdem Dei varie agentis in rebus humanis[33] Il me semble que saint Augustin, [34] qui était très persuadé de la foi chrétienne, n’aurait pu mieux dire. ” [5]

  • Depuis que je suis médecin, je n’ai appris que d’aujourd’hui ce que c’est que cheviller : on prétend que c’est une espèce de sortilège [35] par lequel on empêche quelqu’un de faire son eau, ou l’on fait clocher les chevaux, ou l’on retient une liqueur dans un vaisseau malgré tous les trous que l’on y fait. Pour moi, je crois qu’un habile médecin, un expérimenté maréchal et un bon tonnelier pourraient beaucoup pour ôter la vertu de ce maléfice. [6][36]

  • Hippocrate l’a dit, [37] Galien est de ce sentiment, [38] Aristote l’a décidé de cette manière, [39] Descartes l’assure : [40] voilà des autorités ; mais enfin, avec la permission de ces grands hommes, je veux aussi raisonner à mon tour, et ne pas tant me soumettre à leur opinion que je ne veuille faire aucun usage de mon esprit ; ils ont ainsi pensé, n’est-il pas juste que je m’applique du moins à considérer s’ils ont bien pensé ? Je ne veux point être comme les bêtes, qui ne vont pas par où il faut aller, mais par où l’on va, non quo eundum est, sed quo itur[41]

    Qu’un sentiment nouveau ne vous surprenne pas, dit Lucrèce, [42] qu’il ne vous épouvante point, laissez agir votre raison, servez-vous de la subtilité de votre esprit, embrassez la vérité si elle vous paraît, mais armez-vous contre l’erreur :

    Desine quapropter novitate exterritus ipsa
    Expuere ex animo rationem, sed magis acri
    Judicio perpende, et si tibi vera videntur,
    Dede manus, aut, si falsum est, accingere contra
    [7][43]

  • “ C’est des Hibernois logiciens qu’il faut entendre ce beau vers de M. Remy, [44] professeur du roi, lorsqu’il dit de ces gens qui disputent si volontiers et tam logicaliter :

    Gens ratione furens et mentem pasta chimæris. ”

    “ Nous avons ici un savant personnage, nommé M. Ménage, [45] à qui ce vers a tant plu qu’il a souhaité plusieurs fois d’en être l’auteur, jusque là qu’il aurait voulu donner le meilleur de ses bénéfices. Il ne laisserait pas de faire bonne chère avec ceux qui lui resteraient, car il en a beaucoup d’autres. C’est de lui que nous attendons bientôt le beau Diogenes Laërtius grec et latin [46] in‑fo de Londres, avec de beaux commentaires. Il n’y a plus que l’épître dédicatoire de M. Ménage à envoyer, mais j’ai peur que cela n’aille pas si vite. La fin des grands livres est toujours accompagnée de quelque empêchement, outre que les libraires nesciunt proparare et ejusmodi finem non intelligunt[47] Plutarque [48] a dit que la dernière pierre, qui mit fin au temple de Diane à Éphèse, [49] fut trois cents ans à être trouvée, taillée et appliquée à ce grand bâtiment. ” J’ai lu aussi quelque part que ce qui est longtemps à faire doit durer longtemps. Les ouvrages nés pour l’immortalité ne se produisent pas tout d’un coup, leur perfection dépend de plusieurs années, et chaque année, le travail promet, ce semble, et leur vaut un siècle de gloire.

  • “ J’admire les recherches particulières que le Père Ménestrier [50] a ramassées avec grand soin et beaucoup de travail pour en composer l’Éloge historique de la ville de Lyon. Ce livre durera à jamais pour l’honneur de cette ville, qui est en France ce qu’est Anvers [51] aux Pays-Bas, [52] et ce que dit Lipsius, quod est in capite oculus, sauf à Paris et à Rouen de défendre leurs droits, chacune de ces villes ayant ses raisons et ses prérogatives. ”

    Je voudrais que quelque voyageur se fût avisé de faire la parallèle de Rome et de Paris. Pour moi, qui n’ai jamais vu cette ville, sans désirer d’aller à Rome, je vais décider d’une manière aussi juste qu’avantageuse en disant que si j’étais né Italien, j’aurais eu envie de venir voir Paris ; au lieu qu’après avoir vu Paris, ma curiosité ne m’a jamais fait former d’autres souhaits. [8]

  • Bonne condition que celle du médecin, disent les bons drôles, car ils sont payés de leurs fautes, et l’on prend soin de les couvrir de terre pour les mieux cacher. Les sages, au contraire, disent : mauvaise condition que celle du médecin car des hommes qui doivent absolument mourir voudraient qu’il les rendît immortels. La mort n’a jamais tort, c’est toujours le médecin qui mérite réprimande. Selon les premiers,

    Fecerit et postquam quidquid jubet ipsa medendi,
    Norma, nisi valeat, subitoque revixerit æger,
    Murmurat insipiens vulgus, linguaque procaci
    Eloquitur de te convitia talia jactans :
    Hei mihi quam stultum est medicorum credere nugis
    [53]

    Mais si l’on leur dit, ce n’est pas toujours leur faute, le mal est souvent au-dessus de l’art :

    Non est in medico semper relevetur ut æger
    Interdum docta plus valet arte malum
    [54]

    Les railleurs n’écoutent point de raisons, ils veulent rire à quelque prix que ce soit ; mais attendons ces rieurs, et nous verrons dans la suite qu’ils donneront sujet de rire aux médecins à leur tour, par l’empressement qu’ils montreront pour obtenir et pratiquer leurs ordonnances[9][55]

  • “ Le légat [56] est en chemin, il sera accompagné de soixante gentilshommes italiens. Ce sont, à ce qu’on dit, autant de comtes ; ce ne sont pas des comtes de l’Empire, mais plutôt des comtes de la pomme de Charles Quint, [57] qui fit cinquante comtes de ceux qui pourraient ramasser une cinquantaine de pommes. ”

  • “ Deux hommes sont aussi morts depuis peu (déc. 1664) qui ont eu de la réputation par leurs livres, savoir Marcassus, [58] qui a fait l’histoire grecque et plusieurs romans, et Monsieur d’Ablancourt, [59] qui a traduit le Corneille Tacite, [60] le Lucien [61] et autres bons auteurs. J’apprends que M. Chapelain, [62] poète français, très savant et très honnête homme, qui a donné au public La Pucelle d’Orléans, a une pierre dans la vessie et qu’il se prépare à se faire tailler. [63] Monsieur le président de Thou [64] remarque, en parlant de Jo. Heurnius, [65] médecin de Leyde, [66] homme très habile, que c’est la maladie des hommes d’étude, misera ad libros assidue sedentium stipendia. ” [10]

  • Il n’y aura jamais aucun homme qui soit toujours athée : [67] s’il l’est dans ce monde, il ne le sera pas certainement en l’autre.

    Descendat tristem licet Atheus omnis in orcum,
    Nullus in inferno est Atheus, ante fuit
    [11][68]

    On se trouve puni d’une manière à reconnaître un Dieu pour auteur de la vengeance ; il valait bien mieux ne point contester son existence dans le temps qu’il était encore permis d’implorer sa miséricorde. Vous trouverez cette réflexion belle pour un médecin. On nous accuse nous autres de n’avoir pas beaucoup de religion, je ne sais qui sont les hommes qui en ont. Pour moi, je suis simple dans ma créance, aveugle dans ma foi, nullement superstitieux, plus rempli de faiblesse que de malice ; mon esprit ne se révolte point contre les vérités essentielles ; il n’y a que mon peste de cœur qui s’avise de temps en temps de vouloir contredire les maximes de morale qu’il n’a pas le courage de suivre. Je travaille pourtant tous les jours à le mettre à la raison. Plaise à Dieu de m’en rendre maître ! [12][69]

  • Voici une des meilleures épîtres dédicatoires que l’on puisse adresser à un prince, qui a bien d’autres choses à faire que de lire un panégyrique trop étendu. C’est Horace [70] qui parle à Auguste : [71]

    « Comme vous soutenez seul tout le poids de tant d’affaires, que vous défendez cet Empire par vos armes, que vous l’embellissez par le bon exemple de vos mœurs, et que vous le réformez par vos lois, je ferais un tort considérable au public si j’occupais par un long discours des moments qui lui sont infiniment précieux. »

    Quum tot sustineas et tanta negotia solus,
    Res Italas armis tuteris, moribus ornes,
    Legibus emendes, in publica commoda peccem,
    Si longo sermone morer tua tempora, Cæsar
    .

    Un auteur ne se croit pas responsable du temps qu’il fait employer dans la lecture de louanges insipides ; je voudrais qu’on supprimât cet usage, aussi bien que celui des mauvaises harangues. Ceux qui les font perdent un temps considérable, et en font aussi perdre beaucoup à ceux qui les écoutent. [13]

  • Pendant que je suis dans les réflexions, il ne m’en coûtera pas plus d’en faire quelqu’une, aussi bien allons-nous entrer dans un temps où la morale est de saison. Que je sais bon gré à Juvénal d’avoir ainsi parlé dans sa dixième Satire ! [72]

                              Si consilium vis,
    Permittes ipsis expendere numinibus quid
    Conveniat nobis, rebusque sit utile nostris ;
    Nam pro jucundis optissima quæque dabunt dii
    Charior est illis homo quam sibi
    .

    « Si vous voulez suivre mon conseil, laissez aux dieux à juger ce qui nous convient et ce qui nous est de plus avantageux. Au lieu des choses qui peuvent ne nous être qu’agréables, ils nous donneront les nécessaires : ils aiment plus l’homme que l’homme ne s’aime lui-même. »

    À vous l’avouer, je sens un grand plaisir en lisant une vérité si chrétienne, écrite par la plume d’un païen. Oui, les hommes ignorent l’art de régler leurs souhaits, ils se perdent dans de vastes projets, ils forment des demandes injustes et lassent le ciel par des vœux criminels. Ils mériteraient, pour être punis, que ce même ciel, dont ils contredisent les volontés équitables, permît l’exécution de leurs frivoles et mauvais désirs.

    L’homme n’a véritablement raison que de former trois souhaits : avoir de la santé, jouir d’un peu de bien, posséder une grande sagesse. Je me contenterais fort de cette dernière ; mais comme je suis né pour la guérison des malades, ma profession m’engage à travailler à me bien porter ; à l’égard des richesses, je les compte pour peu de chose. Vous diriez que je parle en philosophe : n’est-ce pas bien fait d’écrire ce que l’on pense. [14]

  • L’historien Sleidan [73] était originaire de la ville qui porte ce nom vers Cologne. [74] Sa famille était si obscure et sa naissance même, peut-on dire, si incertaine qu’on n’a point su comment s’appelait son père. Il étudia à Paris avec Messieurs Du Bellay, [75][76][77] qu’il accompagnait au collège, corrigeant leurs thèmes et portant leurs livres. Sa pauvreté ne fut pas un obstacle à son élévation, il parvint à des emplois très considérables. Son Histoire a été traduite en plusieurs langues. Quelques-uns l’accusent de mensonge, et prétendent même prouver qu’il y a mille faussetés dans cet ouvrage, j’aimerais autant dire qu’il n’y a pas un mot de vérité. D’autres le justifient de cette accusation et le mettent en parallèle avec Thucydide, [78] Xénophon [79] et Salluste. [80] On assure que Charles Quint, ayant lu son Histoire, dit : « Ou il y a quelqu’un de mes conseillers qui me trahit et qui découvre mes desseins à Sleidan, ou il faut qu’un esprit familier les lui apprenne. »

    La découverte mystérieuse des desseins des princes donne bien du prix à leur histoire ; mais il faut que cela soit fondé sur la vérité, et non sur l’imagination d’un historien qui affecte de deviner. [15]

  • Un professeur de philosophie en cette ville [81] se mit en tête d’enseigner publiquement la philosophie de Trismégiste. [82] Pour cela, il donna un traité De Ente sur les principes de ce très ancien philosophe. Il joignit à cela des extraits de tous les ouvrages qui lui sont attribués par quelques savants critiques. Il les fit imprimer pour l’usage de ses écoliers avec une préface très curieuse en faveur de ces ouvrages, afin que tout ce qu’il avait fait parût établi sur un fondement vrai et solide ; et n’oublia pas les raisons de Franciscus Patricius [83] pour combattre J. Goropius Becanus, [84] médecin et philosophe habile du siècle passé, qui avait assuré qu’il n’y avait jamais eu de Mercure Trismégiste. Ce Goropius Becanus n’est pas seul de ce sentiment. Ces disputes d’érudition me font de temps en temps passer de très agréables heures. [16]

  • Je ne sais pas où M. C.R. a trouvé que Tibulle [85] n’est pas du nombre des poètes galants. Il veut bien me permettre que je lui ajoute moins de foi là-dessus qu’à Ovide, [86] qui a dit :

    Donec erunt ignes arcusque Cupidinis arma,
    Discentur numeri, culte Tibulle, tui
    [17]

  • Le médecin de Montpellier [87] qui se fourre ici partout boit autant qu’il marche, il en fait gloire. [88] Je lui ai donné un parfait sujet de triompher en lui apprenant que Bacchus [89] était non seulement dieu du vin, mais encore médecin habile, parce qu’un jour les Athéniens ayant consulté l’oracle d’Apollon [90] sur la manière de subvenir à quelques besoins, il leur ordonna d’adorer un Bacchus médecin. Le bon homme va tant fêter Bacchus médecin qu’il fera souvent la copie de ce portrait que fait Lucrèce, livre iii :

    « Lorsque le vin, dit-il, par sa violence et sa subtilité, a pénétré jusque dans l’intérieur, de sorte que la fureur s’est répandue dans les veines, l’homme sent ses membres pesants, ses pieds chanceler ; ses jambes s’embarrassent, sa langue bégaye, son esprit est noyé, ses yeux semblent flotter dans cette liqueur : ensuite, viennent les cris, les sanglots et les querelles. »

                              Cum vini vis peneravit
    Acris, et in venas discessit diditus ardor,
    Consequitur gravitas membrorum, præpediuntur
    Crura vacillanti, tardescit lingua, madet mens,
    Nant oculi, clamor, singultus, jurgia gliscunt
    [18]

    Je crains que ce médecin buveur n’ajoute encore quelque chose à l’original car, avec le vin, il envie à jouer et à faire l’amour : où cela ne mène-t-il point un homme ?

    Dives eram dudum, fecerunt me tria nudum,
    Alea, vina, venus, per quæ sum factus egenus
    .

    Un de ces trois vices est capable de perdre un homme : que feraient tous les trois joints ensemble ? [19]

  • On a parlé aujourd’hui chez Monsieur le P.P. [91] d’un des plus jaloux hommes de Paris. Quelqu’un a dit qu’un de ces < sic pour : ses > prétendus rivaux lui avait envoyé ces deux vers d’Ovide (Amor. li. iii) :

    Dure vir, imposito teneræ custode puellæ,
    Nil agis, ingenio quoque tuenda suo
    .

    « Cruel mari, vous ne gagnez rien en donnant à votre femme un gardien perpétuel, chaque femme se doit garder par elle-même. »

    On a rapporté un trait d’Athénée : [92] c’est quand il dit que Cotys, roi de Thrace, [93] était si jaloux de sa femme qu’un jour, poussé par la fureur de cette passion, il la fit scier toute vive par le milieu du corps. Quoi qu’il en soit, on est convenu qu’un peu d’attention (sans pourtant faire semblant de rien) ne gâte rien dans la conduite d’une femme. La question serait jolie de savoir s’il entre plus de fureur dans la jalousie d’une femme, ou dans celle d’un homme. J’ai connu des jaloux de toute espèce, et j’ai eu beau pénétrer les causes de cette maladie, il ne m’a pas été possible d’y trouver un remède. L’homme a recours au fer, et la femme au poison ; celui-là n’a que des intervalles, celle-ci n’en a point ; la jalousie des hommes est subite, dure peu, n’est terrible que dans des moments ; la jalousie des femmes est une passion née avec elles, stable dans ses sentiments, furieuse dans ses suites. L’amour seul inspire la jalousie aux hommes ; tout en inspire aux femmes, l’amour, la haine, des intérêts de beauté ou de jeunesse. Un mari n’est jaloux que de sa femme ; une femme l’est et de son mari, et de ses amants, et de ses rivales, et d’elle-même ; elle craint que son mari ne plaise trop, elle appréhende de ne pas plaire assez ; et dans le même temps qu’elle veut arrêter un cœur dont elle redoute l’inconstance, elle donne le sien, prête à se désespérer si l’amant à qui elle l’offre en cherche d’autres. Je pousserais cette matière bien plus loin, mais il ne faut pas que j’en dise tant ; mon fils Carolus augurerait mal de ma jeunesse, il croirait que je l’aurais passée dans les galanteries, qui seraient d’un trop mauvais exemple pour un nouveau marié comme lui. [20]

  • Je viens de lire un testament bizarre, c’est celui d’un certain Martin Heimskerk, [94] peintre de Hollande fameux dans le dernier siècle. Il lègue de quoi marier tous les ans une fille du village d’où il était, à condition que le jour des noces, le marié et la mariée, avec tous les conviés, iraient danser sur sa fosse. On assure que cela s’exécute ponctuellement. [21]

  • La laideur fait quelquefois présumer la vertu où elle n’est pas, et la beauté a cela de funeste qu’on croit toutes les personnes qui jouissent de l’avantage d’être belles, on les croit, dis-je, capables de toutes les faiblesses qu’elles causent. Peut-être que je ne m’en explique pas assez nettement, et que je devais dire simplement qu’on croit rarement sages les personnes qui charment. Cette pensée est à peu près la même que celle de Properce, livre ii, élégie 31 : [95]

    Semper formosis fabula pœna fuit,

    « On a toujours fait des contes fâcheux des belles personnes », et on affecte, ce semble, de les mortifier en leur refusant le titre de vertueuses. [22]

  • Je m’étonne qu’on n’ait pas encore prouvé un moyen que donne Aristote [96] pour rendre douce l’eau de la mer : il dit qu’il faut faire plusieurs vaisseaux de cire, creux par dedans, les lier, de sorte qu’il n’y puisse entrer aucun vent, puis les tenir dans la mer un jour entier ; ensuite les retirer. Il assure qu’on trouvera dans ces vaisseaux de l’eau douce comme celle de la fontaine. La raison qu’il donne est que, la cire étant douce et poreuse, l’eau la peut pénétrer, de manière qu’il n’entre que la partie la plus subtile. [23][97]

  • Le jardinier de la maison de campagne de Monsieur D. T.L., pour empêcher que le fruit ne tombe des arbres, quelque vent qu’il fasse, attache à l’arbre certains mots de L’Iliade d’Homère [98] que le fils de son maître lui a autrefois appris. Cependant, il ne laisse pas, quand il fait grand vent pendant la nuit, d’aller le matin avec un grand panier ramasser tous les fruits qui sont tombés. Sur ce que je me moquais un jour de sa superstition, lui faisant remarquer qu’elle était inutile, il dit que sans sa précaution homérique, il en serait tombé bien davantage. L’esprit superstitieux ne se défait pas aisément de son erreur, je crains fort que cette superstition ne se perpétue dans sa famille. Son fils commence à faire comme lui et, apparemment, les petits-fils n’abandonneront pas cette coutume superstitieuse. [24][99]

  • “ La messe de minuit est cause que tout le monde parle de la comète (décembre 1664). [100] Elle a été vue de qui l’a voulu. Bien des gens seront enrhumés [101] pour avoir été sur le Pont-Neuf, [102] qui s’en apprendront < sic pour : prendront > à la comète. Pour moi, je ne crains rien de tout ce qu’on en prédit : il arrive assez de malheurs sans comète. C’est pourquoi je passe volontiers dans l’avis d’Erycius Puteanus [103] et d’autres savants hommes qui, sur l’autorité de l’Écriture Sainte, Ne craignez point les signes du ciel, prétendent que ces comètes, comme de simples météores, ne prédisent ni bien ni mal. ”

  • “ Hier, jour de saint Joseph, Monsieur Mathieu de Mourgues, [104] âgé de 82 ans, fit le panégyrique de ce saint dans les Incurables, [105] où il demeure. La reine [106] l’honora de sa présence. C’est lui qui, étant à Bruxelles, [107] écrivait pour elle < sic pour : la feue reine mère > [108] contre le cardinal de Richelieu. [109] Il a fait l’histoire de Louis xiii, il ne veut pas qu’on l’imprime de son vivant, il en a fait faire six copies qu’il a confiées à six de ses bons amis, qui ne manqueront pas d’exécuter ses intentions après sa mort. C’est ainsi que nous a été transmis<e> l’intention de Guichardin, [110] et que sa belle Histoire nous est demeurée. ”

  • “ L’on m’a assuré ce matin, 8e <de> mai 1665, que le Journal des Sçavans [111] est tout à fait condamné. Il est devenu sage, il ne courra plus les rues, Monsieur le Chancelier [112] en a redemandé le privilège, que M. de Sallo, [113] conseiller de la Cour, lui a renvoyé sur-le-champ. C’est lui qui en était l’inventeur et le directeur. On espère pourtant que le Journal sera rétabli, mais qu’on en donnera le soin à d’autres gens qui auront plus de retenue et moins d’intérêt. ” [25]

  • Un jeune homme, c’est le fils de M. T.C., travaille à faire une pièce sur ces quatre vers :

    Tyndaris [114] Iliadem fama super æthera vexit :
    Implet Odysseam [115] gloria Penelopes. [116]
    Penelopes-Helenæ [117] morientur nomina nunquam :
    Hæc quoniam voluit, noluit illa, rapi
    .

    Le parallèle est beau, je me promets qu’il sera bien traité. [26]

  • L’art notoire [118] est un art secret et magique pour devenir savant en peu de jours. Pour moi, je suis de l’avis d’Érasme [119] quand il dit qu’il ne connaît point d’autre art pour devenir habile que le soin et l’amour de l’étude : Ego aliam artem notoriam non novi quam curam, amorem, assiduitatem. Il montre dans un de ses Colloques le ridicule de cette science superstitieuse. Delrio [120] en a encore traité dans son livre de Disquisitiones magicæ, lib. 3, part. 2, q. 4, sect. 2[27]

  • “ On m’a dit qu’Isaac Casaubon [121] n’avait jamais vu Joseph Scaliger, et néanmoins, ces deux grands hommes s’écrivaient toutes les semaines. Casaubon eut plusieurs fois envie d’aller en Hollande pour y embrasser son bon ami, mais il arriva toujours quelque chose qui l’empêcha. Il avait mis dans une bourse de velours deux cents écus d’or pour son voyage. Scaliger le désirait et l’attendait fort, mais ce voyage ne se fit point. Ces deux bons amis, qui étaient les deux premiers hommes de leur temps, ne se sont jamais vus. Scaliger lui mandait qu’il lui avait fait préparer une belle chambre : Tui tamen etiam > erit arbitrii in media hyeme venire ; quam luculento foco expugnabimus, qui nunquam desinet sic pour : deficiet > in cubiculo, quod tibi adornabo : quod tamen nullum, præter te, ornamentum habebit. Ce sont les termes de Scaliger en ses Épîtres. ” [122]

  • “ Je suis toujours le bienvenu chez M. le premier président, [123] on y fait bonne chère, mais il faut se hâter à la mode des courtisans. Je ne suis pas accoutumé à ces soupers que Renaud de Beaume < sic pour : Beaune >, [124] archevêque de Bourges, appelle des soupers de promenade, cœnas ambulatorias. ” J’aime à faire quelque séjour à table ; surtout, j’y veux une compagnie familière, une conversation aisée, peu de mets, beaucoup de délicatesse, du vin à discrétion, en boire qu’à ma soif et ne manger qu’à mon appétit. Ceux qui sont capables de faire plus ne me conviennent pas. ” [28]

  • Fernel [125] a enseigné pendant deux ans la philosophie à Paris dans le Collège de Sainte-Barbe. [126] Il eut si grande passion pour les mathématiques qu’il pensa abandonner la médecine ; mais les avis de son beau-père, [127] qui était conseiller au Parlement de Paris, le portèrent à devenir si habile médecin qu’il fut le premier de ceux qui avaient soin de la santé du bon roi Henri ii[128] La mort de sa femme [129][130] lui donna tant de douleur qu’il mourut douze jours après elle. On dit qu’après sa mort, on trouva trente mille écus parmi ses livres. Je ne sais si une tendresse qui conduit à la mort ne tient pas un peu de la faiblesse. Il faut aimer sa femme ; mais mourir de ce qu’elle ne vit plus, certes ce n’est point là un trait de philosophe ni de médecin : la philosophie inspire du courage et de la force ; la médecine donne à l’âme une certaine dureté qui devrait, sinon la rendre insensible à ces accidents, du moins lui permettre de ne s’en point laisser abattre. Ne vous en déplaise, Monsieur Fernel, je ne vous reconnais point dans cette extrême complaisance : il fallait pleurer votre femme si elle était bonne, la chose est rare ; mais de vous aviser de mourir de douleur, voilà ce qui ne s’est jamais vu. [131] Au reste, ce désespoir vous immortalisera. [29]

  • Le Titien, [132] après avoir fait, sur la muraille du haut de l’autel < du > Salvatore de Venise, [133] une peinture qui représente l’Annonciation, mit au-dessous ces mots : Titianus fecit, fecit. Il voulut marquer par cette répétition qu’il croyait son ouvrage parfait ; le faciebat n’était pas alors de son goût. Il faut pardonner aux grands hommes la justice qu’ils osent quelquefois se rendre à eux-mêmes.

    Personne n’ignore son mérite. On est fort heureux de trouver des gens qui sachent précisément ce qu’ils valent et qui ne poussent point trop loin la bonne opinion d’eux-mêmes. [30]

  • Les temples qu’on bâtissait chez les Anciens en l’honneur d’Esculape étaient beaucoup plus grands que les autres ; et cela parce que les malades qui venaient demander à ce dieu la guérison de leurs maux étaient obligés d’y dormir, et par conséquent d’y loger ; de sorte qu’il fallait une étendue considérable pour le grand nombre de personnes qui d’ordinaire s’y trouvaient en même temps. [134][135]

    Un temple où l’on croit que la guérison peut s’obtenir est toujours plus fréquenté qu’un autre. Les hommes ne reconnaissent et ne ressentent que les maladies du corps ; les passions, les vices de l’âme, les défauts de l’esprit, la corruption du cœur, tout cela ne les inquiète point. Si j’avais un conseil à leur donner, ce serait de demander la guérison de ces maux, plutôt que de faire des pèlerinages où la dissipation a plus de part que la religion. Assurément, je deviendrai saint car je m’accoutume si fort à moraliser qu’il n’y a plus moyen que je puisse me passer d’être un homme de bien. [31]

  • Lactance [136] prétend, Instit. Divin. l. 3, c. 18, qu’Empédocle [137] se précipita dans le mont Gibel [138] afin de passer pour Dieu, ut, cum repente non apparuisset, abiisse ad deos crederetur[139] Il paraît, selon Diogène Laërce, que cela n’est pas vrai, car il assure que le tombeau de ce philosophe était à Mégare. [32][140]

  • “ Il y a ici un Italien qui dit avoir été mandé exprès pour un certain secret, qui est une terre composée, laquelle échauffe incontinent une chambre sans odeur et sans fumée. [141] J’en ai vu l’épreuve. On a ordonné qu’on en chaufferait le four et que l’on nous donnera à chacun un des petits pains qui s’y cuira. ”

  • “ Le Scaligerana [142] est un livre fort curieux, mais un peu dangereux. Voici de quelle manière il a été fait : un jeune homme de Champagne, né huguenot [143] et écolier de Genève, [144] prit à Paris des lettres de recommandation du grand Casaubon pour Joseph Scaliger, et partit pour la Hollande ; ce jeune homme, nommé Jean de Vassan, [145] était neveu de Messieurs Pithou, [146][147] grands amis de Scaliger, qui recevait toutes les semaines des visites de gens savants ; Jean de Vassan écoutait tout ce que disait Scaliger et l’écrivait avec exactitude. De là vient ce livre qui est aujourd’hui (en novembre 1666) dans la Bibliothèque du roi. [148] Jean de Vassan étant de retour fut nommé ministre, puis, par le moyen du cardinal Duperron [149] et d’une pension considérable, se fit catholique. [150] La pension n’allant pas bien, il résolut de prendre l’habit de feuillant[151] Avant que d’y entrer, il fit présent de ce manuscrit à MM. Dupuy. [152][153] Je l’ai connu et visité aux Feuillants, [154] où il est mort en 1647, fort vieux et presque en enfance. [155] Il y a dans le Scaligerana bien des mouvements d’esprit d’un Gascon échauffé et évaporé, dont on ne fait que rire. Il y en a d’autres qui sont fort hardis, et qui donnent de l’étonnement. Il y a aussi quelques articles et quelques points d’érudition qui ne sont point communs, car ce démon d’homme là savait tout. Plût à Dieu que je susse ce qu’il avait oublié. Il est mort en 1609, je n’avais que sept ans. ” [33]

  • Un conseil qu’Horace donne, l. 1, ep. 18, m’a été utile en bien des occasions. C’est quand, en parlant de ces gens avides à tout savoir, il dit :

    « Fuyez ceux qui sont curieux car, pour l’ordinaire, ils sont grands parleurs ; ces sortes de gens ont toujours les oreilles ouvertes ; or des oreilles toujours ouvertes sont peu propres à retenir les secrets qui leur sont confiés. »

    Percontatorem fugito, nam garrulus idem est,
    Nec retinent patulæ commissa fideliter aures
    .

    Je déteste les grands parleurs, et je ne comprends pas comment il y a des gens assez dociles et assez indulgents pour écouter tranquillement leurs longues histoires, leurs fausses confidences, leurs détails ennuyeux. Je voudrais qu’il fût permis d’imposer rudement silence à ces hommes indiscrets. Ma coutume avec eux est de ne pas dire un mot, et mon plaisir ne commence que lorsqu’ils disparaissent. [34]

  • “ Il y a quelque temps que mourut ici M. Hinselin, [156] maître de la Chambre aux deniers [157] (novembre 1666). Le bruit court que lui et un architecte, nommé de Verdun, [158] étaient morts en trois jours pour avoir mangé trop de cerneaux. [159] Cela fut aisément cru, mais un certain prêtre a déposé depuis peu que le valet de chambre [160] de M. Hinselin, étant au lit de la mort, lui avait confessé et donné charge de révéler, mais seulement une année après son décès, que c’était lui qui avait empoisonné son maître dans des cerneaux [161] pour jouir plus tôt d’un legs de quinze cents livres, qu’il lui avait fait par testament. ” Les maîtres ont grand tort de marquer tant de bonne volonté aux domestiques : c’est une tendresse impudente et une reconnaissance indiscrète que de leur témoigner le bien qu’on leur prépare ; si l’on donne, il faut le faire secrètement et qu’ils n’apprennent qu’après la mort les dons qu’on leur a faits, de peur qu’ils ne préviennent le temps et ne le hâtent par des desseins cruels. Je ne sais si c’est défiance en moi, mais je ne m’avise jamais de dire à un valet que je suis content de lui et qu’il le sera de moi ; car il pourrait arriver que, flatté par l’espérance d’une prompte récompense, il s’ennuierait de me voir vivre trop longtemps. Comme la médecine n’a point de préservatif contre cette manière de se défaire des gens et les envoyer en l’autre monde, je consulte la politique qui ne veut pas qu’on intéresse trop des âmes basses et avides de gain. [35]

  • On présente Esculape [162] sous la figure d’un serpent pour marquer la prudence que doit avoir le médecin ; ou sous la figure d’un dragon, pour signifier sa vigilance. On couvre sa tête d’un chapeau pour signe de sa liberté ; et chez les Grecs, on le dépeint chauve, [163] parce que le médecin ne doit point laisser échapper l’occasion. [164] Au reste, tout cela me paraît si tiré aux cheveux que je ne m’étonne pas qu’Esculape en soit chauve. Ce n’est pas tout, le coq et un chien lui sont encore consacrés, pour signifier sa vigilance. Il a une longue barbe, c’est que l’expérience produite par le grand nombre d’années fait la plus sûre habileté du médecin. Il porte un bâton noueux comme un sceptre, marque de l’autorité et des difficultés de la médecine. Il est nu jusqu’à la ceinture seulement, pour apprendre au médecin à avoir de la pudeur et à ménager celle de ses malades. Une pomme de pin est à son pied, c’est que les noyaux de la pomme de pin ont quelque vertu médicinale, ainsi qu’il est facile d’en juger par cette inscription au temple de ce dieu :

    Hisce diebus Cajo cuidam cæco oraculum <………>, comedes nucleos pini una cum melle per tres dies et convaluit[36][165][166][167][168][169]

  • Rishanger, [170] celui qui a continué l’Histoire de Mathieu Paris, [171] dit : Anno 1260, in Anglia qui dam Judæus cecidit in latrinas, sed quia tum erat sabbatum, non permisit se extrahi, quare moritur in fætore. Voilà une bien vilaine exactitude à célébrer le sabbat : [172] il se trouve ainsi tous les jours mille gens fidèles à pratiquer l’extérieur de la loi, tandis qu’ils négligent les choses les plus importantes et les devoirs les plus essentiels. Au reste, comme ce n’est point là mon affaire, je laisse aux prédicateurs le soin de cette censure. [37]

  • Pour ne pas s’enivrer en buvant, il faut prononcer dès les premiers coups qu’on boit un certain vers de L’Iliade d’Homère, disait Monsieur Q.L.F. ; et pour rendre la précaution plus sûre, il faut, ajoutai-je, mettre beaucoup d’eau dans son vin. [38][173]

  • “ On travaille (mai 1667) au quatrième tome de l’Histoire de l’Université de Paris[174] Il y en a déjà 60 feuilles de faites. Voilà un grand ouvrage qui donnera bien des lumières à la postérité. L’Université a depuis peu gagné un grand procès contre les prétentions du pape, [175] par les preuves qui ont été tirées du troisième tome. C’était pour le droit de nomination à quelques cures, comme il est arrivé depuis peu à la cure de Saint-Côme. ” [176]

  • “ J’entretins hier au soir Monsieur le premier président, qui m’y avait invité par lettre. Il me demanda si les Anciens avaient connu le sucre. [177] Je répondis que oui. Théophraste [178] en a parlé dans son fragment du miel, où il en fait de trois sortes : l’une qui est des fleurs, et c’est le miel commun ; l’autre de l’air, et c’est la maxime < sic pour : manne > des Arabes ; [179][180] et la troisième des roseaux, qui est le sucre. Pline [181] l’a aussi connu, et en parle sous le nom de sel des Indes. Galien [182] et Dioscoride [183] l’ont nommé Sacchar, < et > c’était en ce temps-là une chose très rare. Monsieur de Saumaise [184] en a fait d’autres remarques dans ses Exercications sur Solin[185]

  • “ Il nous est ici venu depuis peu, de Genève, un petit livre assez mal imprimé, Phagos sic pour : Pharos > medicorum Theophili Boneti[186] qui sont des lieux communs de médecine tirés des œuvres de feu M. de Bailleu < sic pour : Baillou >, [187] qui mourut ici l’an 1616, l’ancien de notre Compagnie. [188] Ce livre est excellent pour tout médecin qui veut raisonner et faire son métier avec science et avec autorité. ” [39]

  • Jacques Micylle [189] était un poète excellent qui a laissé plusieurs ouvrages dignes de lui, comme Varia Epigrammata Græca et Latina, Ratio examinandorum versuum, Euripidis vita, Annotationes in Ovidium. Il était de Strasbourg et mourut à Heidelberg [190] en 1558, âgé de 55 ans. On lui fait prononcer ces dernières paroles en mourant :

    Fata vocant, moriorque libens : valeatis amici,
    Regia siderei me vocat alta poli.
    At tu, Christe, novæ qui nobis gaudia vitæ
    Reddis, et in supera das regione locum :
    Huic abeunti animæ placidam largire quietem,
    Ne mihi sit precium mortis inane tui.
    Me liquor ille, tuo stillans e vulnere sancto,
    Abluat ; hos æstus, hanc levet ille sitim
    [40][191][192]

    Ce poète, à ce que l’on peut juger par le caractère qu’on lui donne et les sentiments qu’on lui fournit, avait plus de religion que bien des faiseurs de vers que je connais, gens illa admodum prava et impia. Pourquoi cela ? Je crois en avoir trouvé la raison : ils sont toujours parmi ces dieux de la fable, ils exposent leurs désordres, ils méprisent leur pouvoir imaginaire. Il est difficile de ne point tomber insensiblement dans l’impiété et dans la corruption quand on est obligé de décrire celle des fausses divinités ; et à force d’examiner ces dieux fabuleux, on s’accoutume à croire qu’il n’y en a point de véritable, ou à moins à craindre celui dont on ne s’embarrasse pas de contester l’existence. Les auteurs ne sont pas coupables de ces pernicieuses extrémités, oratot vir bonus dit notre maître Cicéron, < sic pour : Quintilien > [193] « la probité est le principal caractère de l’orateur » ; celui du poète est le mensonge, l’erreur, la superstition, l’idolâtrie, quelquefois l’athéisme.

    Les poètes latins sont plus impies que les nôtres, les poètes d’aujourd’hui ne sont que libertins, mais cela mène bientôt à l’impiété. [41][194]

    J’aime assez les gentillesses de nos poètes français, ils ont de beaux tours, qu’ils doivent à la lecture d’Ovide : il n’y en a pas un qui ne sache par cœur < son > De Arte amandi[195] et toutes les galanteries qu’on admire aujourd’hui sont puisées dans cette source.

    Je ne veux point mépriser les petits, je ne veux pas même les négliger, car ils peuvent devenir grands. Combien ai-je vu de gens fiers, obligés de faire la cour à des malheureux qu’ils avaient autrefois humiliés et dédaignés ? Il en est de ceux-ci comme d’un petit arbrisseau qui devient un grand arbre : « Quand il était jeune et faible, sa main pouvait < sic pour : leurs mains pouvaient > l’arracher et enlever ses racines ; peu à peu fortifié et devenu gros, il résiste aux secousses des plus forts. » Cette comparaison n’est pas de moi, elle est bien décrite par Ovide, dans le livre i des Remed. amor. : [196]

    Quæ præbet latas arbor spatiantibus umbras,
    Quo posita est primum tempore virga fuit ;
    Tum poterat manibus summa tellure revelli :
    Nunc stat in immensum viribus aucta suis
    [42]

  • “ Cicéron < sic pour : Térence > [197] a dit senectus ipsa morbus est ; mais l’auteur François [198] a encore dit autrement : L’an prochain, vieillesse sera maladie incurable, à cause des années passées. ” Il y a du burlesque et du plaisant, mais néanmoins du vrai dans cette pensée. La maladie est en effet incurable. Si on ôte du sang et de la bile, mais les rides et les années subsistent, la médecine ne rajeunit personne.

  • “ Joseph Scaliger [199] a dit quelque part de la Hollande à son bon ami Jean Douza, [200] in Epigrammate de Admirandis Hollandiæ :

    Hic mediis habitamus aquis, qui credere possit ?
    Et tamen hic nullæ Douza bibuntur aquæ
    . ”

    L’eau croupie des marais et l’eau salée de la mer ne se boivent pas comme l’eau de la Seine [201] et d’Arcueil : [202] ainsi on a le déplaisir d’être au milieu des eaux, sans pouvoir se donner le plaisir de boire. Ces messieurs les Hollandais sont de vrais tantales.

  • “ Le bonhomme Monsieur de La Chambre [203] est mort âgé de 76 ans (décembre 1669). C’est lui qui a si bien écrit des Passions, de l’Arc-en-ciel, de l’Amour d’inclination, de l’Accroissement du Nil, sur les Aphorismes d’Hippocrate[204] Il était un des premiers de l’Académie française, [205] sa doctrine lui méritait cette place éminente, plutôt que le grand crédit qu’il avait chez Monsieur le chancelier : il ne s’en servait que pour obliger tout le monde. ”

  • “ J’ai ouï dire à feu M. l’évêque du Bellay < sic pour : de Belley >, Messire Jean le Camus < sic pour : Jean-Pierre Camus >, [206] digne et savant prélat s’il en fût jamais, que Politica est ars non tam regendi quam fallendi homines. ” Il aura raison, et nos politiques en doivent convenir. À quoi aboutissent toutes leurs ruses, toutes leurs précautions, n’est-ce pas pour tromper ? J’avoue que souvent la tromperie est innocente, mais c’est toujours tromper. Quelquefois il arrive aussi qu’ils trompent, et grossièrement et criminellement. C’est leur affaire s’ils chargent leur conscience, et c’est la nôtre de prendre garde à ne point donner dans les panneaux que vous tend une subtilité intéressée. [43]

  • Curæ leves loquuntur : voilà la nature du chagrin des femmes, elles ont une douleur causeuse et babillarde, elles pleurent, elles soupirent, elles se plaignent ; marque que la douleur n’est jamais bien grande, c’est qu’elles parlent longtemps et qu’elles se consolent de bonne heure. Au contraire, curæ ingentes stupent[44][207] Ici, je reconnais le désespoir des hommes, il s’abattent, ils s’étonnent, ils sont consternés, les larmes ne viennent point au secours de leurs afflictions, ils s’interdisent jusqu’à la liberté de se plaindre ; et tout ce qui paraît au dehors chez les femmes pour effacer l’idée de leurs maux se réunit, s’assemble dans le cœur des hommes pour les tourmenter davantage et pour les jeter dans un étonnement et dans une abîme de tristesse.

    Artémise [208] voulut signaler sa douleur par un auguste monument : ce tombeau où étaient enfermées les cendres de Mausole [209] passa pour une seconde Merveille du monde ; six des plus fameux architectes avaient longtemps travaillé à la perfection de cet ouvrage qui devint le sujet d’une admiration universelle. Il n’y eut que le philosophe Anaxagore [210] qui dit froidement, quand il le vit : Voilà bien de l’argent changé en pierre[45] Cette métamorphose est aujourd’hui fort commune : il y a des hommes qui ne s’appliquent qu’à tirer l’or et l’argent du sein de la terre, d’autres hommes passent leur vie à l’y faire rentrer.

  • La philosophie est une science bien élevée, je l’avoue, mais peu de gens y sont propres. L’éloquence est admirable, il est vrai, mais elle nuit plus quelquefois qu’elle n’est utile. Il n’y a que la médecine dont tout le monde a besoin. J’ai parlé de la sorte aujourd’hui en présence de deux professeurs, l’un de philosophie et l’autre d’éloquence. « Vous parlez en médecin et en homme intéressé, m’ont-ils dit, votre sentiment est suspect. – Je parle, leur ai-je répondu, en professeur d’éloquence. C’est Quintilien qui m’a fourni l’opinion dont vous me croyez auteur : Sit Philosophia res summa, ad paucos pertinet ; sit Eloquentia res admirabilis, non pluribus tam prodest quam nocet ; sola est Medicina qua opus est omnibus. Cette autorité de Quintilien me rend bien fort et glorieux, elle donne autant de poids que de lustre à ma profession. Je cherche tous les moyens de l’anoblir ; et dès que je trouve dans les mains quelque trait favorable à la médecine, je ne manque pas pour ma propre satisfaction de l’écrire. Je veux que j’aurai < sic pour : je voudrais avoir > plus de temps à faire l’éloge de mon art ; mais comme je suis un peu vain, il faut que je commence par mettre mes malades dans la nécessité de faire mon éloge particulier. Pour cela, je n’ai qu’à les guérir promptement, facilement, gratuitement ; alors il n’y aura personne dans toutes les facultés de l’univers plus estimé que moi. Comment en venir là ? J’aimerais autant qu’on me condamnât de trouver la pierre philosophale. » [46][211][212]

  • Qu’il est fâcheux d’avoir des procès ! Le loisir que le métier de plaideur demande ne convient guère au temps qui me manque, et aux malades, dont le nombre est plus grand que jamais. Cependant, il faut bien se résoudre de défendre son bien de l’avidité d’un usurpateur. Je viens d’envoyer un placet à un de mes amis pour le présenter à mon rapporteur qui est des siens. J’accompagne ce placet, pour toute lettre, seulement de ces deux vers d’Ovide, Amor. li. i :

    Aspicias oculos mando, frontemque legentis :
    Ex tacito vultu scire futura licet
    .

    Quand celui à qui vous présenterez mon placet le lira, examinez bien, je vous prie, ses yeux et les mouvements de son visage, afin de connaître ce que j’en puis conjecturer ; car quoiqu’on dise que frons oculi, vultus, persæpe mentiuntur[213] il est vrai aussi que très souvent in facie legitur homo[47][214]

  • Alexandre le Grand [215] était grand en tout. Taxile, [216] roi des Indes, lui avait fait des présents très considérables ; Alexandre, qui n’aimait point à être surpassé, fit préparer un magnifique festin et, au milieu de cette riche et somptueuse débauche, il lui porta une santé de mille talents, c’est-à-dire d’environ six cent mille écus, qu’il lui fit donner sur-le-champ. [217] Il n’y a point de partisan qui n’eût pu faire raison d’une telle santé. Qu’est-ce que c’est, pour cette nation avide, qu’un million plus ou moins ? Je prévois que dans le siècle prochain on parlera d’un grand partisan qui aura consumé deux millions et qui, accusé de mille vols, ne sortira de la prison que par un tour de pilori, [218] et du pilori, rentrera dans un esclavage honteux. [48]

  • Est-il vrai, me demandait Monsieur D.B. que c’est une chose saine que de laver souvent ses mains ? Quelqu’un, répondis-je, l’a dit en ces termes : Si fore vis sanus, ablue sæpe manus. Si on mettait purus au lieu de sanus, je trouverais l’avis plus sûr. [49][219][220]

  • Un nommé Maccius [221] avait tant écrit qu’à force de manier la plume, il s’était fait des creux fort profonds aux pouces et à l’index de sa main droite. J’ai appris cette singularité de Nicius Eristereus < sic pour : Erythræus >. [50][222]

  • La formule de boire à la santé chez les Romains était celle-ci : Bene mihi, bene vobis, bene amicæ meæ, bene omnibus nobis, bene ei qui non invidit mihi, et qui nostro gaudio gaudet[51] Voilà bien des paroles ! Avant qu’un homme eût eu le temps de les dire, sa soif était passée, à moins que la rapidité avec laquelle cette formule se prononçait ne causât une nouvelle altération.

  • “ Étienne Pasquier [223] fit ces quatre vers sur les trois mariages de Théodore de Bèze, [224] ministre à Genève, qui y mourut l’an 1605 :

    Uxores ego tres vario sum tempore nactus,
    Cum juvenis, tum vir factus, et inde senex.
    Propter opus prima est validis mihi juncta sub annis,
    Altera propter opes, tertia propter opem.
     ”

    Cela n’aurait pas le même agrément en français : le jeu de mots opus, opes, opem fait ici fort bien. Au reste, je plains beaucoup un homme, surtout un homme de lettres, qui est obligé d’épouser une femme pour l’affranchir de la disette. Qu’il aura de reproches à essuyer de sa part, et qu’elle lui fera souvent sentir qu’elle est l’auteur de sa fortune !

  • “ Il m’est aujourd’hui (12 mai 1670) tombé entre les mains un livre imprimé à Lyon, intitulé Jacobi Primerosii de vulgi Erroribus in Medicinam[225] Il y a là-dedans de fort bonnes choses et bien curieuses, et très peu de mauvaises, sinon qu’il est trop hardi dans l’usage, ou plutôt dans l’abus des remèdes chimiques [226] comme antimoine, [227] laudanum, [228] etc. Cet auteur était natif de Bordeaux, fils d’un ministre écossais, [229] et qui avait étudié à Paris sous M. Seguin, [230] avec une pension que lui donnait le roi d’Angleterre, Jacques, [231] le roi du savoir. ” [52]
  • On tire de Monsieur L.C. tout ce qu’on veut, pourvu qu’on sache s’accommoder à son faible, ou plutôt à sa passion dominante. Il est du nombre de ceux dont parle un flatteur dans Térence, [232] en cette sorte :

    Est genus hominum, qui esse primos se omnium rerum volunt
    Nec sunt ; hos consector, hisce ego non paro me, ut rideant,
    Sed eis ultro arrideo, et eorum ingenia admiror simul.
    Quidquid dicunt laudo ; id rursum si negant, laudo id quoque.
    Negat quis ? Nego ; ait ? Aio. Postremo imperavi egomet mihi
    Omnia assentari. Is quæstus nunc est multo uberrimus
    .

    Les sottes gens qui se laissent ainsi prendre par les oreilles, ce sont des espèces de cruches que chacun peut prendre par l’anse, et les porter où il veut. Cependant, dans l’usage du monde, il faut mettre cette complaisance : flatter, approuver et admirer. C’est là le vrai lieu de la société. Voulez-vous rompre en visière aux gens ? l’honnêteté ne le permet pas. Tant pis pour ceux qui veulent être flattés mal à propos. [53]

  • C.E. portait une envie cruelle à C.S., il le déchirait partout. Depuis quelques jours, il en dit du bien, j’en viens d’apprendre la raison : c’est que C.S. est mort, l’envie ne trouve plus rien à mordre.

    Pascitur in vivis livor, post fata quiescit,
    Cum suus ex merito quemque tuetur honos.
    Ovid. Amor. li. i
    [54]

  • Votre femme est à sa toilette : ne vous en plaignez pas, n’en dites mot, c’est son affaire, c’est son métier, et de tout temps ç’a été la principale occupation des femmes, et nosti mores mulierum, dum moliuntur, dum comuntur, annus est, c’est la pensée de Térence. [233] De son temps, les femmes ne s’appliquaient qu’à se friser, à s’ajuster, aujourd’hui elles font peut-être quelque chose de pis. N’est-ce point la faute des lois et de la coutume, qui les éloignent de la connaissance des affaires et de l’étude des sciences ? [55]

  • Il est impossible de porter la colère contre un auteur plus loin que Jules Scaliger [234] l’a portée contre Érasme : [235] il le traite de bête, d’ivrogne, de parasite, de bourreau, d’avare, d’arrogant, de fou, etc. Et tout cela parce qu’Érasme condamnait ceux qui imitaient si scrupuleusement Cicéron [236] qu’ils ne voulaient se servir que de ses mots et de ses phrases. Jules Scaliger répara dans la suite son emportement autant qu’il put. [56]

    Tous les savants conviennent que ce Scaliger était de l’illustre famille des Scaliger, princes de Vérone. [237] Il n’y a qu’un certain Augustin Niphus [238] qui, pour se venger de ce que cet excellent auteur n’avait pas parlé de son aïeul, Niphus, [239] aussi favorablement qu’il le désirait, inventa cette fable sur sa généalogie : il dit qu’il était fils d’un maître d’école de Vérone, appelé Benoît Burden, lequel étant allé demeurer à Venise, se fit appeler Scaliger, à cause qu’il avait une échelle pour enseigner. Il y en a qui attribuent l’invention de cette fable à Melchior Guilandin, [240] qui la publia par ressentiment de ce que Scaliger avait fait remarquer des fautes dans ses commentaires sur le traité < sic pour : les chapitres > de Pline de Papyro[57]

    Les jalousies des auteurs produisent de terribles divorces. L’invective ne manque jamais de succéder à leur dépit : ce sont ces maudites guerres personnelles qui font tant de tort à la république des lettres. Pour une critique ingénieuse qui paraît, il y en a cent qui sont insipides, mauvaises, pitoyables ; et pendant qu’on s’amuse à les faire, on néglige d’autres ouvrages qui seraient meilleurs, plus utiles et moins scandaleux.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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