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Ana de Guy Patin :
Introduction de René Pintard au Grotiana  >

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : Introduction de René Pintard au Grotiana

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8222

(Consulté le 20/04/2024)

 

René Pintard [1] a donné la première édition complète du Grotiana[1] En hommage à son remarquable talent critique et à la qualité de ses recherches, je reprends ici son commentaire introductif (Pintard a, pages 59‑61).

« […] les ana de Guy Patin ne rassemblent pas des traits cueillis au hasard, mais les fruits de conversations patientes et précises, menées avec le désir persévérant de s’instruire. [2]

On peut le vérifier par exemple dans le Grotiana, que nous reproduisons plus loin intégralement. C’est au domicile même de l’ambassadeur qu’ont eu lieu les entretiens d’où Guy Patin a tiré les détails qu’il rapporte. [3][2] Le médecin est venu, sans nul doute, muni de ces “ billets ” avec lesquels Godefroi Hermant [3] le voyait aborder les doctes “ pour s’éclaircir avec eux de 5 ou 6 questions ”, [4] et c’est grâce à eux qu’il a pu se rappeler tant de noms propres, ou tant de dates. Il a mis aussitôt son interlocuteur sur le propos des grands humanistes qui ont brillé en Hollande, comme Joseph Scaliger. [4] Un mot de Grotius, sur la responsabilité des jésuites dans certaines attaques contre Scaliger, a fait un instant dévier la conversation sur la Compagnie, [5] mais elle est vite revenue à son objet premier et elle s’est longuement fixée sur Juste Lipse. [5][6] Est-ce quelques instants plus tard, ou un autre jour, qu’il a été question des juifs, [7] de la Bible, de Job, [8] puis du cardinal Richelieu ? [9] Cette fois, Guy Patin a dit son mot, en citant une épigramme contre Richelieu, et Grotius lui a répondu par son appréciation personnelle. [6] Même intervention, un peu après, au sujet de Jérémie Ferrier, [10] puis d’Érasme,  [7][11] et répliques variées de Grotius : nul doute que ce ne soient les péripéties véritables d’un entretien authentique que le médecin a relatées, le soir, sur les pages de ses cahiers.

S’étonne-t-on que, plus loin, la discussion saute brusquement du prince d’Anhalt [12] aux livres du P. Petau ? [8][13] “ Comme je visitai un jour ce M. Grotius, raconte Patin dans une de ses lettres, je vis ces trois tomes sur la table ; je lui en demandai son avis. Il me répondit sur-le-champ : le P. Petau, qui est mon ami, me les a donnés, je les ai lus tout entiers. C’est un étrange fatras, cela n’est point de la théologie ; il n’y a là-dedans qu’une chose de bien, c’est que l’auteur entend bien le grec, lequel y est fidèlement traduit. ” [9] Et voilà une nouvelle version du jugement de Grotius, un peu trop appuyée peut-être, mais accompagnée de l’indication des circonstances où il a été prononcé. Elle nous permet d’évoquer d’autres scènes analogues, et d’abord d’en imaginer le cadre avec exactitude. Ce n’est pas dans un salon que le médecin et ses amis échangent, avec la légèreté des allusions mondaines, des reparties rapides : ils sont réunis dans l’“ étude ” de l’un d’entre eux, parmi ses livres ; c’est de belles-lettres et d’histoire qu’ils s’enquièrent l’un auprès de l’autre, sérieusement ; viennent-ils à mentionner un texte d’un auteur, ils vont rechercher la citation dans ses œuvres, ils en vérifient la référence, que les mémoires ou les tablettes de Guy Patin notent presque toujours avec précision ; l’un après l’autre, ainsi, ils confrontent et confirment réciproquement leurs souvenirs, qui seront, le soir même, consignés dans les précieux cahiers : de là le médecin les tirera, quelque jour, pour en faire part à l’un de ses fidèles correspondants.

Sans nul doute, il pourra, à la longue, sous l’influence de ses préjugés et de ses manies, déformer ces souvenirs, durcir ces opinions ; mais sur le moment même, il les enregistre avec une parfaite loyauté. Avant même, par exemple, qu’il ait vu Grotius, il a eu vent de ses projets de conciliation entre les Églises, et il les a jugés chimériques : cela ne l’empêche pas de transcrire le témoignage sympathique que Grotius porte sur l’entreprise de son précurseur, G. Cassander. [10][14] Bientôt après, de même, il fera sans bienveillance, dans ses lettres, allusion au double penchant du Hollandais pour le socinianisme [15] et pour le catholicisme : il laisse néanmoins, dans le Grotiana, son ami exprimer tout au long sa condamnation des réformateurs qui ont quitté l’Église et des réformés qui ne veulent pas y entrer, et il reproduit, sans y mêler ses propres sévérités, d’anodines remarques sur Lælius et Fauste Socin. [11][16] Sa partialité pour Jansenius [17] et les jansénistes ne le détourne pas davantage de citer les réserves que fait Grotius sur l’Augustinus [18] et sa théologie prédestinatienne. [12][19] Ainsi l’étroite communauté de sentiments qui rapproche les deux hommes en d’autres domaines – haine des ordres religieux, hostilité à l’égard de l’autorité papale, condamnation vigoureuse des abus ecclésiastiques, souhait d’une religion amendée et simplifiée – n’empêche pas Patin d’accuser honnêtement leurs divergences ; ailleurs, il dira, âprement s’il le veut, ce qu’il pense ; pour le moment, il ne s’agit pour lui que d’écouter. »


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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