À Claude II Belin, le 15 mai 1643, note 1.
Note [1]

Marie Dubois de Lestoumières, l’un des valets de chambre de Louis xiii, a laissé un Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à la mort de Louis xiii (in Niderst, pages 88‑95) :

« Le dimanche 10, {a} le roi fut très mal et lorsque l’on le voulut presser {b} des aliments, qui était une gelée fondue dans un certain verre qui avait un grand bec courbé, de façon qu’il pouvait prendre de la nourriture sans qu’il fallût lui lever la tête, tout le monde le pressait d’en prendre pour prolonger sa vie et pour espérer toujours quelque soulagement ; et il leur disait “ Hé ! obligez-moi de me laisser mourir en patience ”.

[…] Sur les six heures du soir, le roi sommeillant s’éveille en sursaut, s’adresse à M. le Prince {c} qui était alors dans la ruelle {d} et lui dit “ Je rêvais que votre fils, le duc d’Enghien, était venu aux mains avec les ennemis ; que le combat était fort rude et opiniâtre et que la victoire a longtemps balancé ; mais qu’après un rude combat, elle est demeurée aux nôtres qui sont restés maîtres de la bataille ”. C’est la prophétie du gain de la bataille de Rocroi, qui se fit dans le même temps, {e} ayant entendu ces paroles de la bouche du roi. Sur les dix heures du soir, le roi était assoupi ; les médecins le trouvèrent froid et quelques-uns d’entre eux crurent que c’était le froid de la mort ; ce qui donna frayeur à tout le monde.

[…] Sur les trois à quatre heures après minuit, il se plaignit d’une douleur de côté gauche ; elle était si violente qu’il dit “ Si j’avais ma toux ordinaire avec cette douleur, je mourrais tout présentement, n’ayant pas la force de supporter les deux ; mais c’est Dieu qui ne le veut pas ”. Il était sujet à une certaine toux sèche qui le tourmentait beaucoup. Nous fîmes chauffer du lait et le mîmes dans des vessies de porc, et le posions sur sa douleur. Après, il dit que cette douleur s’élargissait, et continuait de s’en plaindre ; il lui prit ensuite un vomissement où j’eus l’honneur de lui tenir la tête, comme m’étant trouvé le plus près de sa personne ; je courais à la partie la plus pressée. Le reste du jour fut très difficile et très mauvais. Le roi, néanmoins, priait toujours Dieu et travaillait avec ses ministres. Il fit longtemps écrire sous lui {f} M. de Chavigny. Le lundi 11, il fut désespéré de tous les hommes, il sentait de grandes douleurs et ne pouvait rien prendre ; il passa ainsi le jour, chacun pleurait et se plaignait les uns aux autres. Enfin, il prit son orge mondée qui pourtant ne lui ôta pas sa toux ; delà, à deux heures, il prit son petit-lait qui la lui ôta et le fit un peu dormir ; mais bientôt après, ses douleurs de ventre lui redoublèrent et nous lui appliquâmes des vessies de porc avec le lait. Tout ce jour fut très mauvais. Le mardi 12 fut très mauvais et on croyait qu’il ne passerait pas la nuit.

[…] Le mercredi 13 fut mauvais. Le roi ne pouvait prendre d’aliments. Tout le jour se passa dans les méditations et pensées de la mort.

[…] La reine ne bougea du chevet de son lit et elle ne s’en éloignait que lorsqu’il fallait changer de bassin au roi, qui en gardait toujours sous lui. Nous lui avions fait un trou au premier des matelas, de la grandeur d’un bassin avec un bourrelet fort large, de sorte que cela ne l’incommodait point. Il y avait dans les selles force pus du lait qu’il avait dans le corps et tout faisait une puanteur si horrible que cela faisait quasi mal au cœur ; et ce qui m’étonnait le plus, c’est que la reine ne bougeait du chevet de son lit, duquel il sortait des exhalaisons très mauvaises ; mais sa vertu était si grande, ainsi que l’affection qu’elle avait pour le roi, qu’elle n’en témoignait rien du tout, quoiqu’elle soit une des plus propres personnes qui ait jamais été au monde. Le roi, qui était aussi fort propre, lui disait fort souvent “ Madame, n’approchez pas si près de moi, il sent trop mauvais dans mon lit ”.

[…] Le soir, le roi […] rêvait dans son sommeil et parlait dans ses rêveries par des mots interrompus, dont j’entendis quelques-uns, entre autres < au sujet > de M. de Souvré et souvent, de ses médecins. Il avait tout à fait dans l’esprit qu’il avait dit quelque chose à M. Vautier, {g} l’un d’eux, et après ses rêveries et son sommeil passé, il me demanda où il était. Je lui dis “ Sire, il n’ose se montrer ; il a peur que Votre Majesté ne soit en colère contre lui ”. Alors le roi dit “ Faites-le moi venir ”. Sitôt qu’il le vit, il lui tendit la main et lui parla. Il avait peur de l’avoir fâché ; comme sa maladie était longue, il disait quelquefois quelque chose qui fâchait ; mais un quart d’heure après il vous faisait revenir, vous faisant voir qu’il n’avait pas eu dessein de vous choquer, et vous disait quelques paroles obligeantes.

[…] < Le matin du jeudi 14, > le roi fut pressé par ceux qui étaient auprès de lui pour l’obliger à prendre son petit-lait dans un verre fait exprès. Il voulut pourtant qu’on le soulevât un peu de dessus ses oreillers ; ce que nous fîmes, Desnoyers et moi ; et comme il fut un peu contraint, il perdit l’haleine et pensa rendre l’esprit entre nos bras. Nous en étant aperçus, nous le remîmes en diligence et en douceur sur ses oreillers. Il y fut longtemps sans pouvoir parler et puis il dit “ S’ils ne m’eussent bientôt remis, je rendais l’esprit ” ; et alors il appela ses médecins et leur demanda s’ils croyaient qu’il pût encore aller jusqu’au lendemain, disant que le vendredi lui avait toujours été heureux ; qu’il avait ce jour-là entrepris des attaques qu’il avait emportées ; qu’il avait même ce jour-là gagné des batailles ; que ç’avait été son jour heureux et qu’il avait toujours cru mourir ce même jour-là. Les médecins, après l’avoir fort considéré et touché lui dirent qu’ils n’étaient pas assurés qu’il pût aller jusqu’au lendemain, en ce que son redoublement avait coutume de venir sur les deux heures après midi et que, s’il était grand, il l’emporterait, et qu’il n’avait pas assez de force pour y résister. Alors le roi leva les yeux au ciel et pria longtemps Dieu avec ferveur ; puis il dit tout haut “ Dieu soit loué ” et reprit avec vigueur “ Mon Dieu, votre volonté soit faite ”, et appela M. de Meaux {h} et lui dit “ Il est temps de faire mes adieux ”

[…] après il demanda à faire de l’eau : {i} il ne pouvait plus se servir de ses mains, la chaleur commençait à se retirer, tellement que j’eus l’honneur de le servir et de lui en faire faire dans un certain verre fait exprès, qui est un peu gros comme une bouteille plate par en bas, et un col un peu gros et large courbé, de sorte que l’on peut faire de l’eau sans se hausser ni remuer. Ce fut le roi lui-même qui s’avisa de cette commodité et de celle des biguiers avec lesquels il prenait de la nourriture.
[…] Le roi appela M. Bouvard et lui dit “ Touchez-moi et me dites votre sentiment ” ; ce que fit M. Bouvard, les larmes aux yeux ; il lui dit ces mêmes paroles “ Sire, je crois que ce sera bientôt que Dieu délivrera Votre Majesté ; je ne trouve plus de pouls ”. Le roi leva les yeux au ciel et dit tout haut “ Mon Dieu, recevez-moi à miséricorde ” ; et s’adressant à tous, il reprit “ Prions Dieu ” ; et regardant M. de Meaux, il lui dit “ Vous verrez bien lorsqu’il faudra lire les prières de l’agonie. Je les ai toutes marquées ”. C’était un grand livre dans lequel M. de Meaux lisait les prières. Tout le monde priait et pleurait. La reine et toute la cour étaient dans la chambre du roi. Les rideaux de son lit étaient ouverts, et la chambre était si pleine qu’on s’y étouffait et hors les officiers de la chambre, les autres étaient tous des personnes de qualité, princes, princesses, chevaliers de l’Ordre et grands seigneurs.

[…] Le roi était dans l’agonie, il ne parlait ni n’entendait. Tout le monde était en prières et nous voyions peu à peu les esprits de la vie se retirer. Il commença à ne plus remuer les bras ni les jambes et on ne vit plus remuer le petit ventre. {j} Toutes ses parties se mouraient les unes après les autres et le roi agonisait fort doucement.
[…] Le roi diminuait à vue et ses hoquets étaient de loin à loin les uns des autres ; de sorte qu’on le croyait passé lorsque, quelque peu de temps après, il jeta le dernier à deux heures trois quarts après-midi, le jeudi 14e de mai 1643, jour de l’Ascension, au bout de 33 ans de son règne, à une heure près. M. de Lisieux {k} lui donna de l’eau bénite et lui ferma les yeux qui étaient demeurés fixes dans le ciel.

[…] M. de Liancourt […] était là présent, auquel je m’adressai, et lui dis que s’il trouvait à propos que tout le monde se retirât pour un moment, nous ôterions un bassin qui était sous le roi, dans lequel il y avait de la matière si âcre et si mauvaise qu’elle ne tarderait pas à corrompre la chair du roi ; que de plus, nous raccommoderions son lit et le mettrions plus proprement ; qu’il avait commandé durant sa maladie qu’on ne le laissât pas salement après sa mort. M. de Liancourt trouva fort à propos ce que je disais, il commanda que l’on se retirât pour un temps. Mes compagnons et moi lui raccommodâmes son lit et le remîmes fort proprement dessus, couvert de son drap et de sa couverture, le visage découvert. Nous lui ôtâmes le mouchoir dont nous lui avions bandé la tête et le menton pour lui faire tenir la bouche fermée, et nous lui croisâmes les bras sur son estomac et lui remîmes un petit crucifix de cuivre fort bien fait, monté sur une petite croix d’ébène, que Mlle Filandre avait prêté. Le roi le tenait dans sa main droite.

[…] Le lendemain, sur les neuf heures du matin, on ouvrit le corps du roi, ce que je n’avais point de curiosité de voir, mais un garçon de la chambre me dit que M. de Souvré me demandait. Il était présent à l’ouverture, de sorte que je jetai la vue sur ce triste spectacle. Je vis le corps du roi, qui m’avait été si précieux, étendu sur la table en la galerie, le coffre {l} tout ouvert ; et proche de là, sur un billard, dans des bassins, les entrailles, les boyaux dans l’un, le foie, la rate et le cœur dans l’autre. Je vis un de ses boyaux percés, le bas mésentère {m} quasi pourri ; dans le haut mésentère un ulcère et quantité de vers qu’on lui avait aussi trouvés ; le foie assez beau, pourtant un peu pâle ; la rate belle et les poumons assez sains, et le cœur fort beau. Je vis dans ce corps qu’il y venait encore un ver dans les reins. »


  1. Le 10 mai 1643.

  2. Engager à absorber.

  3. Henri ii de Condé.

  4. V. note [4] du Faux Patiniana II‑4.

  5. Le 19 mai.

  6. Sous sa dictée.

  7. François Vautier, premier médecin du roi (v. note [26], lettre 117).

  8. Dominique Séguier, évêque de Meaux.

  9. À pisser.

  10. L’épigastre.

  11. Philippe de Cospéan, évêque de Lisieux (v. note [9], lettre 92).

  12. Le tronc.

  13. V. note [4], lettre 69.

Levantal a transcrit l’acte de sépulture du roi :

« Le 14e jour de mai 1643, fête de l’Ascension de Notre Seigneur, à deux heures après midi, au grand regret, perte, et trop tôt pour le bien de toute la France, après une longue et langoureuse maladie, mourut dans le château neuf de Saint-Germain-en-Laye, très puissant, et très victorieux et très chrétien prince Louis de Bourbon, treizième du nom, surnommé le Juste, fils aîné de l’Église, après avoir reçu pendant ladite maladie les saints sacrements de pénitence, Eucharistie et extrême-onction avec une très grande et très exemplaire dévotion, âgé de quarante-deux ans, sept mois, dix-sept jours, ayant régné heureusement trente-trois ans entiers tout juste, roi de France et de Navarre, laissant pour successeur en sa place très illustre prince Louis de Bourbon quatorzième du nom, surnommé Dieudonné, son fils aîné, dauphin de France, âgé de quatre ans, huit mois, neuf jours seulement, qui fut tout aussitôt conduit en la chapelle du vieux château où il fut honoré et proclamé pour roi par la reine régente sa mère premièrement, puis ensuite par MM. les ducs d’Anjou, son frère unique, d’Orléans, son oncle, M. le Prince et généralement par tous les autres princes, prélats, seigneurs et officiers étant pour lors en cour en fort grand nombre, avec toutes les protestations de service et obéissance dues à Sa Majesté. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 15 mai 1643, note 1.

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(Consulté le 24/04/2024)

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