À Charles Spon, le 30 septembre 1650, note 1.
Note [1]

V. note [56], lettre 242, pour la trêve conclue à Bordeaux. L’aveuglement de Guy Patin contre Mazarin en faisait un piètre devin : le parti du roi allait s’allier le parlement de Bordeaux contre les ducs et la princesse de Condé, et gagner la partie dans les jours qui suivirent l’écriture de ces lignes.

Le feu n’en était pas éteint pour autant. Au contraire, allait se constituer l’Ormée qui donna à la Fronde bordelaise un caractère unique de sédition vraiment révolutionnaire dont le P. Berthod a bien expliqué la genèse et le développement (Mémoires, pages 617‑618) :

« Le roi ayant fait grâce aux Bordelais en l’année 1650, dans laquelle il leur donnait une amnistie générale de leurs révoltes, il leur promit un autre gouverneur que M. d’Épernon ; mais comme la cour différait de satisfaire à ce dernier article, les frondeurs crurent que Sa Majesté le continuerait et cette pensée les obligea de faire faire diverses assemblées au menu peuple ; lequel s’étant un jour attroupé sur les fossés de l’hôtel de ville, donna sujet aux jurats de faire dire à cette canaille qu’elle ne pouvait s’assembler sans la permission des magistrats et que s’ils ne se retiraient, on tirerait sur eux. L’un des plus factieux dit à cette troupe : “ Allons à l’Ormière, nous serons en liberté. ”

Cette Ormière est une butte de terre élevée et aplanie, proche le château du Hâ, sur laquelle sont plantés quantité d’ormes pour servir de promenade. Ils allèrent donc sous ces ormes et cette assemblée grossit si horriblement qu’en moins de deux heures il s’y trouva plus de trois mille personnes, qui ne parlaient que de poignarder, de massacrer et de jeter dans la rivière les épernonistes et les mazarins, et qu’il fallait avoir un autre gouverneur que M. d’Épernon.

Sur cela, {a} le parlement s’assembla et résolut qu’on enverrait en diligence vers le roi un nommé Cazenave qui, pour rendre son voyage plus spécieux, {b} fit croire à la reine que Bordeaux était tout en feu, et le peuple prêt à se révolter et à se couper la gorge. Sa Majesté fit assembler le Conseil, dans lequel, par accommodement, on leur donna M. le prince de Condé pour gouverneur, à la charge qu’il donnerait son gouvernement de Bourgogne à M. d’Épernon pour celui de Guyenne. Après les expéditions faites, le courrier s’en retourna à Bordeaux où, dès qu’il y arriva, ce furent des réjouissances et des festins publics par les frondeurs et par les ormistes, qui couraient dans les rues avec des bouteilles et des lauriers pour faire boire ceux de leur parti auxquels M. le Prince avait écrit des lettres d’amitié et de civilité.

Dans ce même temps, il se forma dans le parlement de la grande Fronde une autre petite Fronde {c} qu’on attacha en forme de couronne sur les portes de ceux qui avaient frondé. L’Ormée profitant de cette division, prit de nouvelles forces, augmenta son parti et plusieurs de la grande Fronde s’étant mis parmi cette troupe, la faisaient agir selon leur caprice. Dès lors, on commença de chasser les serviteurs du roi et pour cela, on établit une chambre d’expulsion. Le parlement voyant qu’on empiétait sur son autorité, donna arrêt par lequel il défendait ces assemblées. Les ormistes l’arrachèrent des mains de l’huissier qui le voulait publier, ils assiégèrent le Palais où le prince de Conti étant allé, fit retirer la bourgeoisie et chassa ensuite quelques conseillers de la petite Fronde.

Ces conseillers de la petite Fronde se voyant maltraités par l’Ormée, soulevèrent le quartier du Chapeau-Rouge, {d} ils s’armèrent les uns contre les autres ; mais le prince de Conti, Mme la Princesse, Mme de Longueville et le duc d’Enghien s’étant promenés par les rues, calmèrent cette populace et rappelèrent des conseillers de la petite Fronde qui promirent de les servir et de défendre les assemblées. Quelque temps après, {e} l’Ormée s’assembla, se saisit de l’hôtel de ville, en tira du canon et marcha au Chapeau-Rouge. Les bourgeois de ce quartier-là se barricadèrent et se défendirent ; on se battit tout le long du jour ; l’Ormée poussa ceux du Chapeau-Rouge, brûla leurs maisons et demeura victorieuse.

Le prince de Conti l’établit plus fortement, {f} s’en déclara chef, chassa ceux qui lui étaient suspects, et fit changer d’état et de forme à la ville. L’Ormée se voyant appuyée d’un chef de telle importance, établit une Chambre de justice qui était composée de bourreliers, corroyeurs, pâtissiers, cordonniers, menuisiers, gentilshommes, apothicaires, violons et notaires, procureurs, et de toutes sortes de gens qui présidaient chacun leur jour et donnaient des arrêts qui étaient exécutés souverainement. » {g}


  1. Vers octobre 1651.

  2. Éblouissant.

  3. Ces deux frondes étaient rivales mais, l’une comme l’autre, favorables aux princes.

  4. Quartier du centre de Bordeaux qui longe au sud l’actuel opéra et aboutit sur l’actuel quai du maréchal Liautey.

  5. Juin 1652.

  6. En décembre 1652.

  7. Ces « beaux juges » sévirent avec plus ou moins de crédit parmi la population jusqu’à la fin de la Fronde bordelaise en août 1653.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 30 septembre 1650, note 1.

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(Consulté le 25/04/2024)

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