À Charles Spon, le 8 juin 1655, note 1.
Note [1]

La sanguification (aujourd’hui désignée par son synonyme dérivé du grec, hématopoïèse) est la manière dont se forme le sang. L’idée dominante alors était qu’il provenait de la transformation des aliments, après leur digestion en chyle (v. notes [26], lettre 152, et [1] du Traité de la Conservation de santé, chapitre vii). Jean ii Riolan, fidèle à la pensée des anciens, croyait la sanguification opérée directement par le foie. Prolongeant la découverte des chylifères (vaisseaux lactés) du mésentère par l’Italien Gaspare Aselli (1622, v. note [10], lettre 15), le Français Jean Pecquet (1647, v. note [15], lettre 280) démontra le transport du chyle dans la veine subclavière par la voie du canal thoracique et attribua (toujours à tort) la sanguification au cœur. On ignorait alors l’existence des cellules du sang (globules blancs et surtout globules rouges) qui forment presque la moitié de sa masse et qui sont élaborées dans la moelle des os (v. notule {f}, note [5], lettre latine 369). Au foie demeure néanmoins la fonction essentielle de produire les protéines du plasma (partie liquide du sang, v. note [33], lettre latine 4).

Le livre dont parlait ici Guy Patin devait être le Clypeus [Bouclier] de l’énigmatique Guillaume de Hénaut, adressé à Jacques Mentel, dont l’impression s’achevait alors à Rouen (v. note [6], lettre 14). L’auteur (probablement Mentel lui-même) consacre en effet la plus grande partie de son traité à déduire fort pertinemment que le chyle ne peut se transformer en sang dans le foie ou la rate (car il ne s’y recueille pas directement), non plus que dans le cœur (car il y séjourne trop brièvement) : il estime qu’il y faut un organe richement vascularisé où le chyle peut stagner durablement, mais sans parvenir à déterminer celui qui satisfait pleinement ces deux conditions. La prétendue lettre de Hénaut à Mentel, datée de Rouen le le 25 juin 1655, se conclut sur ce propos, mais sans vraiment y croire (pages 69‑70) :

Etsi etiam tela in cor coniecta ei forte affixa fuerint, dum ea nemo extraheret, media tamen penetralia subire non potuerunt. Immo ea nixu non inutili retorsimus. Ruit igitur alto a culmine nimis obsoleta tyrannis hepatis, ab omni, ut opinor, alterius auxilio destituta ; nam si pergama dextra deffendi possent, etiam hac deffensa fuissent.

Cor ergo imperio suo, a quo nimis diu exulabat, iam restituitur ; longo, et improbo pugnæ labore licet fatigatum vires suas refocillat, vivit, vincit, triumphat, et sanguinem, quo partes corporis omnes sibi suditas munificentissimis suis sumptibus sustente, e chylo conficit, et inposterum conficiet. Si quam amat hæc victoria laudem, hanc totam tibi uni acceptam refero : tu enim e tripode, divino quodam numine afflatus, mihi robur, et audaciam inspirasti, firmasti animum, victricibus his me cinxisti olim armis. Vive ergo cordi, Vir Nobilissime, ut cor ad multos annos tibi vivat, et posteris. In huius rei memoriam perpetuam accipe, preco, hoc immortale trophæum, quod ex amplis hepatis spoliis erigo, et celeberrimo nomini tuo toto animo dedico.

[Bien que les traits qu’on a lancés contre le cœur aient pu l’atteindre et même si personne ne les en retirera jamais, ils n’ont pu pénétrer jusque dans ses parties les plus profondes. Notre riposte n’a pourtant pas été inutile : voilà la tyrannie du foie précipitée du haut de son sommet et, je pense, privée de tout secours extérieur car « si un bras secourable pouvait défendre Pergame, le mien aussi l’aurait défendue ». {a}

Voilà donc le cœur rétabli dans son empire, d’où on l’avait trop longtemps banni. Bien qu’épuisé par le long et ingrat effort du combat, il récupère ses forces, il vit, il vainc, il triomphe : il transforme et transformera dorénavant le chyle en ce sang qu’à ses très généreux dépens, il distribue à toutes les parties du corps qui lui sont soumises. Si cette victoire mérite la louange, c’est à vous seul que j’en attribue entièrement la paternité : {b} du haut du trépied, {c} enflé par quelque volonté divine, c’est vous qui m’avez jadis inspiré la force et l’audace, qui avez raffermi mon courage, qui m’avez ceint des armes triomphantes. Vive donc le cœur, très noble Monsieur ! et qu’il vive de nombreuses années tant pour vous que pour votre postérité. Recevez, je vous prie, cet immortel trophée en souvenir perpétuel de cette découverte, que j’érige sur les ruines éparses du foie, et que je dédie de toute mon âme à votre immense renom].


  1. Virgile sur la défaite de Troie, v. note [36], lettre 297.

  2. Tout le Clypeus vise à montrer que c’est à Mentel que revient le mérite d’avoir découvert le circuit du chyle, mais d’avoir laissé à Pecquet l’avantage de la première publication qui l’a décrit : v. note [6], lettre latine 369.

  3. V. note [8] lettre de Christiane Utenbogard, datée du 21 août 1656.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 juin 1655, note 1.

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(Consulté le 25/04/2024)

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