À Charles Spon, le 16 avril 1645, note 11.
Note [11]

Jan Baptist Van Helmont (Iohannes Baptistus Helmontius, Bruxelles 1577-Vilvorde 30 décembre 1644) appartenait à une famille noble des Flandres. Il avait fait de brillantes études de philosophie et de théologie à Louvain, mais respecta sa promesse de ne jamais solliciter les dignités académiques qui lui paraissaient des futilités propres seulement à flatter l’orgueil et la vanité. Dans la même idée, il abandonna toutes les richesses qui lui venaient de ses parents pour se consacrer entièrement aux recherches alchimiques, tout en refusant d’accepter ses composantes magiques fort en vogue à l’époque. Il s’était initié avec ardeur à la médecine dans la seule intention de la pratiquer charitablement, mais il se dégoûta des incohérences et des limitations de l’hippocratisme, et plus encore de l’humorisme galénique : il fut un des premiers, sinon le tout premier à nier l’existence de l’atrabile (v. notule {a}, note [17], lettre latine 87). Ayant fondé une famille, il se retira dans une terre près de Vilvorde où il s’occupa jusqu’à sa mort d’opérations chimiques et de théories sur l’organisation physique et mentale du genre humain. Pendant près de 30 ans, il ne quitta pas son laboratoire, tout en recevant des quantités de malades qu’il soignait avec ses principes et ses remèdes, et en refusant tous les honneurs dont divers souverains voulurent le parer.

Van Helmont fut l’un des principaux fondateurs de la médecine chimique (chimiatrie) ; nous lui devons, parmi bien d’autres observations, le mot et la notion de gaz. Réduisant en miettes le dogme des quatre humeurs (v. notule {a}, note [17], lettre latine 87), son système médical et physiologique était un développement de l’archée (v. note [14], lettre latine 98) de Paracelse à laquelle il tenta de donner un substrat anatomique : une archée particulière réside dans chacun des organes ; toutes sont soumises au gouvernement d’une archée universelle qui trône dans le cardia, orifice supérieur de l’estomac, d’où elle envoie ses ordres à l’ensemble du corps humain ; son gouvernement bien tempéré procure la santé, mais ses caprices et ses dérèglements sont la source des maladies. Esprit révolutionnaire, mais bien moins désordonné que Paracelse, Van Helmont ne pouvait que révulser Guy Patin, comme bien d’autres médecins de son temps. Toutefois, si on en retire le mysticisme outrancier, son œuvre fort originale a fourni certaines des bases sur lesquelles la médecine et la physiologie modernes se sont fondées (J. in Panckoucke).

Son livre le plus fameux est intitulé Ortus medicinæ… [Naissance de la médecine…] (Amsterdam, Louis Elsevier, 1648, in‑4o de 800 pages pour la première d’un très grand nombre d’éditions, v. note [4], lettre 340).

Sprengel (tome v, page 25) :

« Guy Patin assure que Van Helmont, victime de l’horreur que lui inspirait la saignée, mourut frénétique dans une pleurésie dont il était atteint ; mais le récit de François Mercurius [son fils] prouve que cette anecdote est fausse : Van Helmont mourut en pleine connaissance, après avoir chargé son fils de publier ses écrits. »

Dans le paragraphe intitulé Le médecin des trois S [v. note [2] de la consultation 1] contre le médecin de l’archée, Alexandrian a consacré les pages 318‑327 de son chapitre vi (La médecine hermétique et la thaumaturgie) à la défense de Van Helmont contre les attaques de Patin, mais sans hésiter à piper grossièrement ses dés :

« Van Helmont n’est pas un suiveur de Paracelse, dont il s’écarte sur bien des points. Daremberg, qui les a étudiés tous deux, le préfère même à son prédécesseur : “ C’était, comme Paracelse, un mystique, mais plus savant ; un ennemi de la tradition, mais plus érudit ; un empirique, mais plus clinicien, plus observateur ; un polémiste violent, mais plus gentilhomme. ” {a} Cet homme, persécuté par les fanatiques, parsemait ses livres d’effusions religieuses afin d’échapper au bûcher en témoignant de sa piété. Comme avant lui Galien ou Cardan, il prétendait que des songes prophétiques lui avaient dicté certaines de ses opinions. On doit se souvenir qu’il vivait au temps de Descartes qui faisait de la médecine, avec la mécanique et la morale, une des trois branches de la philosophie ; si Descartes, au moyen de “ la raison naturelle toute pure ”, localisait dans “ la petite glande nommée conarium ” (autrement dit l’épiphyse) {b} le siège de l’âme, discutait en 1640 avec Lazare Meyssonnier, médecin de Lyon, “ sur l’effigie des petits chiens qu’on dit paraître dans l’urine de ceux qui ont été mordus par des chiens enragés ”, {c} on ne doit pas s’étonner des bizarreries de Van Helmont mêlées à ses vues générales. […]

Guy Patin, avec tout son bon sens, n’a pas fait avancer la science d’un pas. Au contraire, l’excentrique Van Helmont ne tarda pas à être réhabilité : en 1670, ses œuvres traduites en français reçurent l’approbation de la Faculté de médecine de Paris, qui y reconnut “ des bons préceptes pour servir à la santé du corps humain ”. {d} On vit en lui un précurseur à cause de ses traités sur la lithiase et sur les fièvres. Bordeu s’inspira de la théorie des archées quand il parla des “ centres de vie ”, et Broussais, reprenant l’opinion de Van Helmont disant qu’il ne connaissait pas la peste ou l’épilepsie, mais des pestiférés ou des épileptiques, déclara après lui : “ Il n’y a pas de maladies, il n’y a que des malades. ” {e} En 1866, l’Académie de médecine de Bruxelles mit au concours un éloge de Van Helmont, devenu une gloire nationale de la Belgique, comme à la même époque la Suisse honorait la mémoire de Paracelse. Les deux penseurs solitaires, bêtes noires de Guy Patin, triophaient de leur contempteur qui n’est plus qu’un exemple d’intolérance. »


  1. Charles Daremberg : Histoire des sciences médicales comprenant l’anatomie, la physiologie, la médecine, la chirurgie et les doctrines de pathologie générale. Tome premier, depuis les temps historiques jusqu’à Harvey (Paris, Jean-Baptiste Baillière et fils, Paris, 1870, in‑8o), chapitre xvii, Van Helmont, pages 47‑1472. Alexandrian a omis de citer la fin du paragraphe :

    « Van Helmont, quoiqu’il s’en défende et quoi qu’on en dise, emprunte beaucoup de détails et l’idée générale à Paracelse, qu’il dénigre plus qu’il ne le loue. Van Helmont n’a pas imaginé les rouages de son système, mais il a su en faire une machine plus régulière, moins ridicule que celle de Paracelse, car il y a entremêlé quelques connaissances plus exactes qui ont servi, pour ainsi dire, de liens et de moteur. Il n’a pas réformé la médecine, mais seulement allégé et épuré la chimiatrie. Je suis bien sûr que parmi les nombreux panégyristes actuels de Van Helmont, il n’y en a pas un, s’il est médecin et s’il suit attentivement le mouvement de la science, qui voulût signer aucun des écrits de Van Helmont, même le meilleur. »

  2. V. note [9], de la lettre non datée (début 1651) de Samuel Sorbière.

  3. Citation tronquée de la lettre lxiii de Descartes à un destinataire inconnu, sans lieu, le 29 janvier 1640 (Œuvres philosophiques de Descartes… par Adolphe Garnier, Paris, L. Hachette, 1835, in‑8o, pages 281‑282) :

    « Mais pour ces effigies de petits chiens qu’on dit paraître dans l’urine de ceux qui ont été mordus par des chiens enragés, je vous avoue que j’ai toujours cru que ce fût une fable, et que si vous ne m’assurez de les avoir vues bien distinctes et bien formées, j’aurai encore maintenant de la peine à les croire, bien que, s’il est vrai qu’elles se voient, la cause en puisse en quelque façon être rendue ainsi que celle des marques que les enfants reçoivent des envies de leurs mères. »

  4. Les Œuvres de Jean Baptiste Van Helmont, traitant des principes de médecine et physique, pour la guérison assurée des maladies ; de la traduction de M. Jean Le Conte, docteur médecin (Lyon, Jean-Antoine Huguetan et Guillaume Barbier, 1671, in‑4o, correspondant au seul Ortus medicinæ), avec Approbations des docteurs de la Faculté de Paris signées par deux obscurs Lyonnais, un docteur de Sorbonne dénommé Arroy, et un médecin dénommé E. Vial, « docteur de Paris » ; Patin n’a pas mentionné cet ouvrage dans ses lettres.

  5. Théophile de Bordeu (1722-1776) fut un tenant du vitalisme (explication des phénomènes physiologiques et pathologiques par l’influence du principe vital), et François Broussais (1772-1838), l’éphémère champion de l’inflammation (v. note [6], lettre latine 412) et de la saignée (sangsues), qu’il considérait respectivement comme l’explication et le remède de tous les maux.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 avril 1645, note 11.

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(Consulté le 20/04/2024)

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