À Charles Spon, le 28 janvier 1653, note 11.
Note [11]

« Il n’y a là rien de fâcheux ; en cela, il est en effet tout loyolitique. »

Je n’ai trouvé dans aucun catalogue bibliographique (incluant Sommervogel) l’édition de cet éloge paru en 1652 ; mais il a été réimprimé dans les Petri Labbé e Societate Iesu, Elogia Sacra, Theologica et Philosophica, Regia, Eminentia, Illustria, Historica, Poetica, Miscellanea [Éloges sacrés, théologiques et philosophiques, royaux, éminents, illustres, historiques,poétiques, mélangés de Pierre Labbé (v. note [20], lettre 75), de la Compagnie de Jésus] (Grenoble, Philippe Charvys, 1664, in‑4o, pages 249‑250). Puisque, dans sa phrase suivante, Guy Patin nous en met l’eau à la bouche, le voici :

Elogium funebre
D. Francisci Vautier,
Primarii Medici Regii.

sta aviator ubi stetit illustris medicus.

Irata mors quod illustres sibi prædas eriperet,
Perculit hominem ignoto morbo ne medicina sanaret :
Fuit diu primus Medicus antequam esset primarius ;

Repræsentavit Aulæ antiquam medicinam et addidit novam :
Creditus est cum eo redire Hippocrates, et Galenus,
Utriusque discipulus, utriusque Magister,
Invenit aliquid quod Græciam latuit, et quod Roma nescivit :

Addidit politicam Medicinæ, ut bis Medicus esset ;
Sanaverat Reginam Matrem si Medico credidisset,
Erupit sæpe in has voces, Cur tibi Vauteri non credidi ?

Timuere hunc Reginæ Medicum qui Reginam timebant :
Inclusus est carcere Regio, non quia nocuerat,
Sed ne noceret,
Et reus sine crimine,
Luit pœnas culpæ futuræ, et nondum suæ ;

In eo secessu meditatus novam artem medicinæ ;
Et stellas et gemmas, et pene omnem naturam Medicam fecit,
Et debuit esse naturæ Medicus ut esset Regius.

Postulatus extra Galliam a Regina matre,
Exivit ut iret, atque ideo non ivit quia exiverat ;
Mysterium fuit carcer, et libertas ænigma.

Expetitus a Ludovico Iusto moribundo,
Sanaverat morbum, si curare cœpisset :

Electus in Medicum primarium qui primus iam erat ;
Brevi ostendit in filio quid in Patre fecisset ;
Servavit utrique vitam privatam, et publicam,
Facturus immortales si arti natura respondisset :

Irita mors homini immortalitem cogitanti,
Dum Regem balneo admovet nec reformidat solem,
Perculit obvium caput tot telis quot radiis,
Et ne ardor sanabilis esset, venenum febri admiscuit :

Sensit insidias vir sagax et curare neglexit ;
Arbitratus ardorem pretiosum quem pro Rege conciperet ;
Passus est Solem etiam lædentem ne Regem desereret :

Nec impune mors vicit, nec sine certamine,
Superaverat illam nisi intra Mesenterium latuisset :

Ne imparatus æternum iter susciperet,
Sacramentis Christianis, et divino Viatico auctus,
Decem dierum itinere ad æternitatem pervenit :

Abi viator.

Et disce nullum Aphorismum veriorem esse :
Morimur tempori, et nascimur æternitati
.

[Éloge funèbre de M. François Vautier, premier médecin du roi.
Arrête-toi voyageur là où s’est arrêté un illustre médecin.

Courroucée, la mort qui arrache à elle des proies illustres, a terrassé un homme d’un mal inconnu que la médecine ne savait guérir. {a} Il fut le premier des médecins avant d’être premier médecin ; {b} il a exercé l’ancienne médecine à la cour et y a ajouté la nouvelle ; avec lui, on a cru voir revenir Hippocrate et Galien ; il a été leur disciple, il a été leur maître, il a trouvé ce que la Grèce n’a pas connu et ce que Rome a ignoré. Il a ajouté la politique à la médecine, de sorte qu’il fut deux fois médecin. Il aurait guéri la reine mère {c} si elle avait eu confiance dans le médecin ; souvent elle s’écria. : « Pourquoi, Vautier, n’ai-je pas cru en vous ? »

Ceux qui avaient craint la reine ont craint ce médecin de la reine. On l’a embastillé : non parce qu’il avait causé du tort, mais pour n’en pas causer ; et accusé sans crime, il a subi le châtiment d’une faute future, mais qui n’était pas encore sienne. Dans cette réclusion, il a médité sur le nouvel art de médecine ; il a engendré et des étoiles et des gemmes, et presque toute la nature médicale ; et il a dû être le médecin de la nature pour devenir celui du roi.

La reine mère l’ayant appelé hors de France, il se serait exilé pour y aller, mais n’y est pas allé parce qu’on l’avait exilé ; sa prison fut un mystère et sa liberté une énigme. {d}

Appelé au chevet au chevet de Louis le Juste {e} moribond, il eût guéri son mal s’il avait entrepris de le soigner.

Nommé premier médecin, lui qui était déjà le premier d’entre eux, il a rapidement procuré au fils {f} ce qu’il avait fait au père ; de tous deux, il a préservé la vie privée et publique, il les eût rendu immortels si la nature avait répondu à son art.

L’homme qui songe à l’immortalité met la mort en colère : tandis qu’elle amène le roi au bain, il n’appréhende pas le soleil ; il a frappé sa tête exposée tant à ses traits qu’à ses rayons ; {g} et pour que l’ardeur soit incurable, il a mêlé un poison à la fièvre.

Le sagace Vautier comprit le piège et se garda bien d’y remédier, ayant jugé qu’il devait comprendre la fièvre comme étant d’un grand prix pour le roi ; il a admis que le soleil avait meurtri le roi pour ne plus l’abandonner.

Mais la mort n’a pas gagné impunément, ni sans combat ; il l’eût dominée si elle ne s’était pas tapie dans le mésentère. {h} Pour que le roi n’entreprît pas le voyage éternel sans y être préparé, c’est muni des sacrements chrétiens et du divin viatique {i} que, dix jours plus tard, il s’est engagé sur le chemin de l’éternité.
Passe ton chemin, voyageur.

Apprends que nul aphorisme n’est plus vrai que celui-ci :

« Au moment où nous mourons, nous naissons pour l’éternité »].


  1. François Vautier, né en 1580 (v. note [26], lettre 117), mourut le 4 juillet 1652 « dans son lit, d’une fièvre continue maligne » (lettre de Guy Patin à Charles Spon, datée du lendemain).

  2. Vautier fut nommé premier médecin de Louis xiv en mai 1646.

  3. Marie de Médicis.

  4. Emprisonnement de Vautier à la Bastille, sur ordre de Richelieu, de 1630 à 1642 (v. note [35], lettre 117).

    « Le roi souhaitait que la reine, sa mère, qu’il avait laissée à Compiègne, se rendît à Moulins pour y rester ; et dans ce cas, il était résolu de lui renvoyer Vautier qu’elle demandait avec empressement. Mais quand il s’aperçut qu’elle s’obstinait à demeurer à Compiègne et qu’elle semblait même décidée à y prolonger son séjour, il donna ordre de transférer Vautier à la Bastille, pour couper plus sûrement tout ce qu’on supposait de communication entre ce médecin et la reine. Celle-ci sortit ensuite du royaume et se retira en Flandre, où elle demanda souvent qu’on lui renvoyât Vautier ; mais avec plus d’instance en 1633, pendant le cours d’une fièvre continue qui dura quarante jours et qui la mit en danger. Le roi, qui en fut informé, dit le P. Griffet dans son Histoire de Louis xiii, “ fit partir les sieurs [Nicolas] Piètre et [Jean ii] Riolan, fameux médecins de Paris, pour l’assister dans cette maladie ; mais elle fit mander qu’elle avait besoin des conseils de Vautier, qui était toujours à la Bastille. On lui permit de le consulter par écrit, et on refusa de le lui envoyer. Vautier fut ainsi consulté ; mais il ne voulut pas donner son avis, disant qu’il fallait absolument qu’il vît la reine mère pour pouvoir juger de son mal et des remèdes capables de la soulager. Peut-être espérait-il qu’on serait obligé à la fin de le tirer de la Bastille ; mais on aima mieux que la reine se passât de ses avis, par rapport à sa santé, que la mettre à portée de suivre aveuglément les conseils pernicieux qu’il aurait pu lui donner pour sa conduite < politique > ” [v. note [4], lettre 61]. Le procédé de la cour fait voir ce qu’on y pensait sur le compte de Vautier, et combien on se méfiait de son caractère intriguant ; car malgré que la reine eût réitéré plusieurs fois les mêmes demandes, elles ne furent pas mieux écoutées ; et son médecin resta à la Bastille près de douze ans, c’est-à-dire jusqu’à la mort du cardinal de Richelieu en < décembre > 1642. Il reparut alors à la cour, et il y reparut avec une considération qui lui procura, au bout de peu d’années, la place de premier médecin de Louis xiv » (Éloy, tome 4, pages 486‑487).

  5. Louis xiii.

  6. Louis xiv.

  7. Les Mémoires (1676) de Bénédict-Louis Pontis (1593-1670), cité par Niderst (page 95), expliquent ce passage : « S’étant mis un jour au soleil qui entrait par une fenêtre de sa chambre pour s’échauffer, comme je vins le saluer sans prendre garde à cela, j’allai justement me placer ensuite devant la fenêtre , sur quoi le roi me dit assez agréablement : “ Hé, Pontis, ne m’ôte pas ce que tu ne saurais donner. ” Je ne compris point ce que Sa Majesté me voulait dire, et en étant fort en peine, je demeurais toujours à la même place. Alors M. le comte de Termes me dit que c’était le soleil que j’ôtais au roi, et je me retirai à l’heure même. »

  8. V. l’autopsie de Louis xiii, note [5], lettre 86.

  9. V. note [15], lettre 251.

Le legs de François Vautier contribua à la construction de la chapelle du collège des jésuites en Arles, dédiée à saint Joseph, dont la première pierre fut posée le 4 août 1654. François Adhémar de Monteil de Grignan, archevêque d’Arles, la bénit et y dit une première messe le 19 février 1661.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 28 janvier 1653, note 11.

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(Consulté le 19/04/2024)

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