À André Falconet, le 19 décembre 1659, note 11.
Note [11]

Aumale (Histoire des princes de Condé, tome vii, pages 118‑126) :

« Le 29 décembre 1659, Condé quittait Bruxelles au bruit du canon, escorté par le vice-roi et les principaux seigneurs de la cour, au milieu des témoignages universels d’un respect affectueux. Les derniers temps du séjour avaient été fort brillants.

[…] Quelque amertume s’était mêlée à ces réjouissances : les créanciers affluaient, pressants, portant partout d’incessantes sollicitations ; leur nombre, leur attitude laissaient entrevoir une longue perspective de difficultés.

[…] De bonnes paroles et quelques gages vaguement donnés sur les premiers paiements attendus d’Espagne firent prendre patience aux créanciers. Six semaines après la signature du traité, {a} M. le Prince avait pu se séparer de ces alliés qui lui avaient été fidèles, de cette noblesse, de tout ce peuple dont la cordialité ne s’était jamais démentie. Mazarin avait peut-être rêvé un départ moins grave, moins digne, plus précipité, un empressement qui désignât clairement le premier ministre français comme le seul auteur de la paix et le bienfaiteur de Condé. Selon lui, M. le Prince, dans l’expression de sa reconnaissance, devait parler moins du roi que du cardinal ; surtout, il devait s’abstenir de toute allusion à la part que lui-même, Condé, avait prise au grand événement qui venait de s’accomplir. Quand on sut en quels termes M. le Prince avait cru devoir annoncer au pape le “ changement de sa fortune ” et la fin de la guerre, Mazarin ne cacha pas un assez vif mécontentement. Il aurait même désiré, semble-t-il, que Condé, pressé de témoigner sa gratitude, se mît au-dessus des règles et des formes, et sans passeport, sans suite, prît la poste à la première nouvelle de la paix, traversant la France incognito, presque déguisé, pour venir à Toulouse, non pas embrasser les genoux du roi son maître, mais se jeter aux pieds du ministre qui lui rouvrait les portes de la patrie. C’est du moins l’avis que, des frontières mêmes d’Espagne, Lenet formulait dans une dépêche en clair ; loin d’envelopper cette démarche d’aucun mystère, il avait communiqué son plan à M. de Longueville et à d’autres. Quelque étourderie qu’on prête à un négociateur aussi éprouvé, il est difficile d’admettre qu’il eût ainsi agi de son chef et fait tant de bruit s’il n’y avait été plus ou moins ouvertement encouragé par le cardinal. Condé blâma Lenet et rejeta son ouverture : “ Si j’avais voulu faire une démarche comme celle-là, je l’aurais faite il y a six mois ; mais Dieu merci, je n’ai pas pris ce chemin-là pour sortir d’affaire et je ne le veux pas prendre. Je ferai toujours assurément les choses de bonne grâce, mais aussi ne les ferai-je jamais avec bassesse et garderai toujours le décorum comme doit le faire une personne de ma condition. Il y a en toutes choses des mesures à garder, au delà desquelles ce que l’on ferait ne passerait pas pour galanterie, mais bien pour une faiblesse digne de blâme. ” C’est donc Guitaut qui avait porté à la cour de France les lettres courtes et dignes dans lesquelles Condé protestait de son repentir, de sa fidélité au roi et de sa ferme résolution de bien vivre avec le premier ministre de Sa Majesté. Guitaut venait de rapporter toutes les décisions relatives aux troupes, ainsi que les passeports demandés par M. le Prince pour ses amis. Marchin seul refusa d’en profiter ; Liégeois, mécontent, malade, ne se voyant plus guère d’avenir en France, il avait “ fait son arrangement avec M. don Luis ”. Après la solennité inévitable du départ, Condé voulut rentrer en France aussi simplement que possible. Accompagné de son fils, “ il prit le chemin d’Avesnes pour éviter, en Flandre comme en France, les compliments, les salves, les grandes villes ”.

[…] Le 10 janvier, M. le Prince “ partit {b} en relais de carrosse pour la cour ” ; il avait dans sa voiture le premier de ses lieutenants-généraux, son cousin Bouteville, et ses deux premiers gentilshommes, Coligny et Guitaut, dont la rivalité ne dut pas ajouter à l’agrément du voyage. Une chose préoccupait Condé : rencontrerait-il son frère {c} à la cour ? Comment se passerait l’entrevue ? Il s’en était ouvert à Longueville. Tout alla pour le mieux du monde : quittant l’antichambre de son oncle Mazarin, le prince de Conti s’avança jusqu’à Lambesc ; on se rencontra par les chemins ; on s’embrassa sans s’expliquer ; l’intimité ne reparut pas, mais les rapports restèrent convenables. Le maréchal de Gramont était là aussi sur cette poudreuse route de Provence ; cette fois l’accolade fut chaude.

[…] Enfin, le 27 janvier, Condé entrait à Aix et montait chez le cardinal. Quelle fut la forme de l’entrevue ? “ Je réglerai ma manière d’agir sur celle que M. le Prince tiendra avec moi… Je lui donnerai la main chez moi, mais je prétends l’avoir partout ailleurs ”, écrivait encore Mazarin à Lionne en se livrant à une longue dissertation sur la préséance des cardinaux ; victorieux et tout-puissant, il tenait à reprendre le terrain d’étiquette qu’il avait jadis abandonné ; nous ignorons comment fut définitivement réglée cette grave question. Le cardinal était sur ses gardes ; il s’était montré médiocrement satisfait des lettres de Condé, les trouvant seulement “ assez civiles ”. Cependant, le langage et l’attitude lui parurent corrects et le premier prince du sang fut introduit “ dans la chambre de la reine où il présenta ses respects à Leurs Majestés ”. C’est sous cette forme, qui pouvait s’appliquer à un retour de voyage, que la nouvelle était donnée à toute la France par le sieur Renaudot ; et la même Gazette annonça que, dès le lendemain, M. le Prince avait dîné chez Son Éminence. Toute la cour était en liesse ; le 4 février, elle partait pour Toulon et Condé prenait le chemin de Paris. Il s’en fut droit à sa maison de Saint-Maur (21 février). Là il retrouva même affluence qu’à la veille du départ neuf ans plus tôt, mais d’autres visages ou du moins un esprit bien différent dans la foule des visiteurs : anciens adversaires plus ou moins invétérés, amis restés de tout temps attachés à sa cause, d’autres heureux de renouer des liens un moment brisés. »


  1. Paix des Pyrénées.

  2. De Coulommiers.

  3. Le prince de Conti.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 décembre 1659, note 11.

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(Consulté le 24/04/2024)

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