Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 11.
Note [11]

V. note [2], lettre 581, pour l’Histoire des plus illustres favoris anciens et modernes (Leyde, 1659) par Pierre Dupuy (mort en 1651, v. note [5], lettre 181) était manuscrite et incomplète (Gallica) à la date de rédaction présumée du Patiniana, mais devait être bien connue de ceux qui fréquentaient l’académie putéane (v. la même note [5]), foyer du libertinage érudit parisien, tels Gabriel Naudé et Guy Patin.

Rédigée par Michel i de Marillac (v. note [45], lettre 216) et longue de 120 pages, la Relation exacte du lugubre assassinat du maréchal d’Ancre Concino Concini, le 24 avril 1617 à Paris, sur l’ordre de Louis xiii (v. note [8], lettre 89) occupe la fin de l’ouvrage. Le récit concernant le père Hilaire de Grenoble, ancien capucin dont le patronyme séculier était Du ou Le Travail se lit aux pages 71‑72

« Le mardi 2 mai, il y eut conseil à l’accoutumée […].

Le soir, sur les huit ou neuf heures, on fit emprisonner Le Travail, prêtre séculier du Dauphiné, ci-devant capucin nommé le Père Hilaire, délateur ou instigateur {a} du cardinal Monopoli à l’Inquisition de Rome ; {b} et ce fut pour une entreprise abominable qu’il avait eue sur la personne de la reine mère, {c} laquelle il voulut faire mourir d’une maladie douce, ce disait-il ; et s’il ne s’en pouvait assurer, la tuer plutôt d’un coup de pistolet, quand {d} il devrait être roué et tiré à quatre chevaux, {e} se promettant qu’il la pourrait faire traîner par le peuple comme le maréchal ; tant sa rage était exorbitante. Il s’en ouvrit au marquis de Bressieux, {f} à Monsieur de Luynes {g} et à un nommé L’Espinette ; lesquels en ayant averti le roi et la reine, le firent aussitôt suivre, observer et surprendre chez lui, à mesure qu’il en parlait au dit Bressieux, qui s’y était transporté par commandement exprès du roi et de la reine. Ce fut le chevalier du guet qui le prit et le mena au For l’Évêque, {h} d’où il fut traduit le lendemain de grand matin dans la Conciergerie du Palais, ayant été renvoyé au Parlement pour lui faire son procès. Il s’était ingéré dans l’entreprise contre le maréchal d’Ancre avec tel artifice qu’on avait été contraint de lui en faire part. {i} Car ayant proposé à Monsieur de Luynes qu’il pouvait se défaire du maréchal lui seul, se promenant dans le Louvre un jour que le roi serait à la chasse, et qu’il ferait en sorte que personne n’en saurait rien de vingt-quatre heures – ce qui le faisait bien soupçonner de magie –, il fut si effronté que de le dire au roi. On lui fit réponse que l’affaire était si importante qu’il y fallait bien penser, et tâcha-t-on de s’en défaire ; mais il y revint avec telle importunité et telle impudence qu’il dit que Luynes lui en avait fait la proposition. Enfin, il les mit en telle bredouille {j} qu’ils se laissèrent aller de lui découvrir l’entreprise, qu’ils ont depuis exécutée, afin de le tenir cependant en haleine. {k} Fâché donc de n’y avoir contribué, ce qu’il s’était imaginé, et de n’avoir eu l’honneur, lui seul, en son particulier, il voulut se signaler par cette insigne méchanceté, s’étant adressé d’une part au dit Bressieux, et après des serments exécrables pour le secret, donnant son âme à tous les diables, et sur sa part de paradis, après avoir dit que pour servir cet État il s’était fait capucin, puis huguenot, et enfin prêtre séculier ; qu’il était ruiné à cause de sa charge qu’il avait chèrement achetée ; qu’il n’en pouvait rien espérer du roi tant que la reine mère subsisterait, parce qu’on se défierait de lui ; ni de la reine mère, parce que c’était une ingrate princesse qui ne faisait rien pour les siens ; et que l’aidant à s’en défaire, par le moyen de quelque serviteur domestique, qui pourrait donner le boucon, {l} ou de quelques soldats de ses gardes, qu’il y pourrait introduire, il se rendrait recommandable au roi et en aurait toute sorte d’avancement ; parce que, disait-il, sans cela tout était perdu ; et que ce serait la bonne fortune de la France s’il le voulait croire ; et d’autre part, ayant dit au sieur de Luynes qu’il était irréconciliable avec ladite reine, qu’elle était italienne, qu’il était impossible qu’elle perdît le ressentiment de ce qui s’était passé ; que si lui ne l’empêchait de subsister, elle l’empêcherait lui, et le perdrait enfin :: qu’étant mère, elle se remettrait bien avec le roi, ou ferait quelque chose de pis, comme la reine Catherine, laquelle il disait avoir fait empoisonner le roi Charles son fils, {m} et autres choses semblables. » {n}


  1. Dénonciateur : « Un accusé poursuivi à la requête du procureur du roi, quand il est absous, a droit de l’obliger à nommer son instigateur, pour le faire condamner en ses dommages et intérêts » (Furetière).

  2. V. infra la lettre du cardinal d’Ossat.

  3. Marie de Médicis que certains religieux soupçonnaient (entre autres) d’avoir fomenté l’assassinat de Henri iv, avec la complicité du maréchal d’Ancre (Concino Concini, son supposé amant), des Guise et des jésuites.

  4. Quand bien même.

  5. Précisément ce qui finit par arriver arriver au P. Hilaire.

  6. Louis de Grolée de Mévouillon, marquis de Bressieux (en Dauphiné) depuis 1612, premier écuyer de Marie de Médicis.

  7. Le duc Charles de Luynes, qui hérita du marquisat d’Ancre et le renomma d’Albert (v. note [15], lettre 205).

  8. V. notes [53] du Borboniana 4 manuscrit pour le chevalier du guet, et [46], lettre 413, pour le For l’Évêque.

  9. Il s’était tant ingéré dans le projet contre le maréchal d’Ancre qu’on avait été contraint de l’y inclure.

  10. En tel désordre.

  11. Pour l’amuser en attendant l’exécution du complot contre Concini.

  12. Le poison.

  13. Charles ix, fils de Catherine de Médicis.

  14. Le récit de Marillac ne fait pas état de la sentence du Parlement, le 11 mai, suivie de l’exécution du P. Hilaire.

Bernard Dompner a reconstitué le passé biographique du P. Hilaire dans son Enquête au pays des frères des anges : les capucins de la province de Lyon aux xviie et xviiie siècles (Université de Saint-Étienne, 1993, pages 143‑144) :

« Né de parents hérétiques, ce religieux – dont le patronyme était Travail – étudia d’abord à Genève, puis à Padoue, où il se convertit. Entré dans l’Ordre à Chambéry, le père Hilaire se distingua par ses aptitudes intellectuelles : non moins doué en latin qu’en italien, il acquit de solides connaissances en droit canon, casuistique et controverse. “ Mais comme il avait son naturel toujours enclin à la liberté, peu à peu après sa profession, il s’émancipa facilement, faisant guère ou peu de compte de l’obédience, écrivant lettres sans licence, fuyant tant qu’il pouvait le chœur, l’oraison et la communauté des frères, recherchant de prendre eaux, bains et diètes sous couleur de quelque indisposition qu’il disait avoir. ” {a} À plusieurs reprises, il va à Rome où il intrigue en faveur de l’Espagne. À plusieurs reprises aussi, il est jeté en prison sur ordre du nonce ou de ses supérieurs. En général, il profite de complicités et s’échappe. Au cours de l’un de ses séjours italiens, il obtient la mise en accusation devant l’Inquisition du cardinal Monopoli, ancien général de l’Ordre. Après un premier repentir qui lui valut l’absolution de ses fautes par le chapitre provincial de 1605, il se montra plus libertin et revêche que devant. Gyrovague, {b} il fréquentait davantage les maisons nobles et les villes d’eaux que les couvents. Traduit une nouvelle fois devant le chapitre provincial à qui il promit “ qu’il ferait merveilles pour son amendement et qu’il mourrait saint ”, il ne changea nullement son mode de vie et fut finalement chassé en 1611. »


  1. Citation des Annales capitulaires des capucins, que B. Dompner a extraite de Théotime de Saint-Just, Les capucins de l’ancienne province de Lyon (1575-1660) (Saint-Étienne, Petit messager de saint François, 1951, tome 1, pages 119-126).

  2. Vagabond : gyrovague était le nom qu’on donnait, « dans les premiers temps de l’établissement du monachisme, à des moines qui passaient leur vie à courir de province en province, de cellule en cellule, ne restant que trois ou quatre jours dans le même endroit, et vivant d’aumônes » (Littré DLF).

Dans ses Lettres, le cardinal d’Ossat (v. note [9], lettre 37) a copieusement parlé des exactions du P. Hilaire à Rome en 1601 (Paris, Joseph Bouillerot, 1624, in‑12). Il y est question du cardinal Monopoli dans la lettre ccliv à Nicolas i de Neufville, seigneur de Villeroy (v. note [5] du Borboniana 8 manuscrit), datée de Rome, le 22 février 1601 (livre septième, ccliv, pages 629‑631) :

« Un capucin appelé frère Hilaire de Grenoble vint à moi le septième de ce mois, et me rendit une lettre de la main du roi, {a} du dix-neuvième d’octobre, par laquelle Sa Majesté me commandait de toute son affection de vouloir embrasser les affaires dont il me parlerait, à ce qu’il peut traiter tant avec Sa Sainteté {b} qu’avec le sacré Collège des cardinaux et autres prélats, qui sont les mêmes paroles de ladite lettre. […] Quand il estima avoir bien fondé envers moi, par ce que dessus, l’autorité qu’il avait auprès du roi, il me dit qu’il y avait quelques capucins italiens en France, soupçonnés d’avoir voulu tuer le roi, et que Sa Majesté désirait qu’ils sortissent du royaume, et qu’il voulait faire cela avec Monsieur le cardinal Sainte-Séverine, {c} protecteur de leur Ordre, sans en parler au pape, pour ne scandaliser sa religion, puisque la volonté du roi se pouvait accomplir à moins. Je lui répondis là-dessus qu’il n’aurait pas grande peine à cela ; que le pape et les généraux des ordres nous avaient toujours dit et écrit que, s’il y avait quelques religieux qui ne plussent au roi, ils les feraient incontinent sortir hors du royaume en les nommant, sans aucune expression de cause, de laquelle ils ne s’enquerraient nullement. En une chose s’arrêta-t-il plus qu’à nulle autre, et s’y échauffa terriblement, c’est qu’il avait entendu que le pape voulait faire cardinal le père Monopoli, capucin, que vous avez vu avec Monsieur le cardinal Aldobrandin, {d} et que si cela advenait, ce serait la ruine de leur ordre ; et fut longtemps à mépriser ledit Monopoli, ajoutant qu’il ne savait point cette nouvelle quand il était parti d’auprès le roi, que s’il l’eût sue, il eût fait faire par le roi ceci et cela ; mais qu’il pensait y être encore à temps, et ferait parler le roi si haut, si haut, que je ne pouvais m’imaginer autre chose, sinon que le roi dénoncerait la guerre au pape en cas que Sa Sainteté fît cardinal ledit père Monopoli ; me dit néanmoins qu’il n’en voulait point parler au pape directement ni expressément, mais qu’il lui dirait bien quelques choses appartenant au bien de leur Ordre, par lesquelles Sa Sainteté conjecturerait et conclurait en soi-même qu’il ne devait faire ledit Monopoli cardinal. » {e}


  1. Henri iv.

  2. Clément viii

  3. Giulio Antonio Santorio (1532-1602), archevêque de Santa Severina en 1566, cardinal en 1570, grand pénitencier apostolique de 1592 à sa mort.

  4. Allusion à la légation de Pietro Aldobrandini en France en 1600 pour le mariage de Henri iv avec Marie de Médicis (v. supra note [10], notule {a}).

  5. Avec d’autres, le P. Hilaire accusait Monopoli d’avoir été marié avant d’entrer dans les ordres, ce que nie sa biographie donnée The cardinals of the Holy Roman Church :

    In 1573, he entered the Order of the Friars Minor Capuchins, in te covent in Rugge, near Lecce, after having declined the invitation to mary a rich noble young woman from his city.

    [En 1573, il entra dans l’Ordre des frères mineurs capucins, au couvent de Rugge, près de Lecce (dans les Pouilles), après avoir décliné l’invitation à épouser une noble jeune fille de sa ville (Monopoli)].

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 11.

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(Consulté le 29/03/2024)

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