À André Falconet, le 16 décembre 1664, note 12.
Note [12]

« La reine mère se porte mal de son cancer du sein ; il y a eu consultation privée de trois grands médecins, avec quatre fameux chirurgiens, dont il fut conclu que la maladie est incurable et qu’un espoir de soulagement repose dans la seule ciguë, {a} c’est-à-dire dans un médicament quelque peu anodin {b} et émollient qui, dans une telle affection, est d’un secours dérisoire. » {c}


  1. Outre ses effets vénéneux redoutés, bien qu’énigmatiques, quand elle était administrée par voie interne, la ciguë (v. note [8], lettre 196) a été employée dès l’Antiquité par voie externe sous forme de cataplasme ou d’emplâtre (Panckoucke, 1813) :

    « Voici seulement les résultats que le praticien peut tirer des faits nombreux qui ont été recueillis pour et contre l’usage de la ciguë dans les affections cancéreuses. 1. Beaucoup d’engorgements glanduleux, mal déterminés et très souvent faussement pris pour des squirrhes ou des cancers, et plusieurs embarras du foie et de la rate ont cédé à l’action de la ciguë. 2. Ce remède paraît le plus souvent avoir été inutile, quelquefois même nuisible dans les véritables cancers confirmés des organes musculo-membraneux de l’estomac, de l’utérus, et même dans ceux des glandes. 3. Il a quelquefois été utile dans les squirres ou les cancers commençants qui affectaient les glandes et la peau, soit pour calmer les douleurs, soit pour retarder les progrès de la maladie ou rendre l’extirpation favorable ; mais on cherche en vain quelques exemples de guérison bien constatée par l’effet de la ciguë seulement. »

  2. Anodin (aujourd’hui antalgique) se disait « des remèdes qui font une résolution des humeurs doucement et sans violence, qui ôtent la douleur [odunê en grec] ou stupéfient le sentiment du toucher » ; et émollient, de ceux qui amollissaient « les duretés du bas-ventre ou des tumeurs et enflures » (Furetière).

  3. V. note [9], lettre 622, pour ficulneus, « propre au figuier », dans le sens de « dérisoire ».

Les Hieroglyphica, sive antiqua schemata geammarum anularium, quæsita Moralia, Politica, Historica, medica, Philosophica, et Sublimiora, omnigenam eruditionem, et altiorem Sapientiam attingentia, diligenter explicata responsis Fortunii Liceti… [Héroglyphiques, ou les dessins figurant sur les antiques bagues à chaton : réponses de Fortunio Liceti… diligemment apportées aux questions morales, politiques, historiques, médicales, philosophiques et surnaturelles, qui touchent à tous les genres d’érudition et à la plus haute sagesse] {a} contiennent une intéressante lettre sur le sujet : {b}

Doctissimo Viro, D. Fortunio Liceto, Philosophiæ Phœnici, et in Patavino Lyceo Med. Theor. supremo Professori, Io. Alcidius Musnier Med. Latharingus, S.PD.

Quæsitum eximij mei Patini, eodem ad te, quo accepi, momento perferendum duxi, Vir Excellentiss. ut si fortassis tempestive satis appulerit, Octavo tuorum Oraculorum inserere queas. Oro te interim, ut quod eidem Patino Responsorum adornaveris, ad me transmittas. Hoc enim officio plurimum gaudeo, maxime inter homines tam doctos, tamque de me intense meritos. Quod ego nec tuos hactenus libros habuerim, nec tu fortasse Riolani Anatomen, accuso pluvias, queis nostrum hoc Cœlum hucusque maduit. Omnia tamen citissime perventura confido. Ceterum ne plane vacuus inersque videar (etaimsi per cursoris imminentissimum discessum vix mihi liceat) non possum tamen non hic meum quoque de Cicuta dubiolum una cum inclyto meo Patino breviter insuere : utrum ea nempe, et quomodo molliendi vim habeat ? Video enim ex huius herbæ succo, et ammoniaco parari emplastrum ad omnimodas tam Epatis, quam Lienis durities, Heurnio, Sennerto, Hartmanno, aliisque commendatissiumum : immo video, non cicutæ solum, sed et mandragore liquore dedurescere vel ipsum Ebur. Quod qua vi, quoque fiat Naturæ ingenio, non ita facile compertum habeo. Constat enim utramque plantam intensa frigiditate, ac vere deleteria esse præditam ; adeoque incrassando potius, quam emolliendo idoneam ? Nec enim arbitror eam emplastri facultatem oriri ab ammoniaci calore cicutæ frigiditate quodammodo temperata ; quum tutius id aceto, aliisque complurimis obtineas. An igitur forte, quia planta illa diversis, ut acetum, opium et hydrargyrum, concrevit particulis ; aut quia calor intro frigiditate cicutæ refugiens auctiori vigore liquat humores, atque rarefacit ? Sed hæc duris forte in visceribus locum habent ; minus autem in Ebore. Quare (termaxime scientiarum arbiter) tuum erit, istud omne, quod nostris in consiliis persæpe controversium est, solita tua sagacitate, componere in artis et ægrotantium emolumentum. Dum interim te summe veneror, et amplector. Vale. Raptim Genuæ Non. Novembris hora xx. anni 1652
.

[Jo. Alcidius Musnier, médecin originaire de Lorraine, adresse ses profondes salutations au très savant M. Fortunius Licetus, phénix de la philosophie et premier professeur de médecine théorique en l’Université de Padoue. {c}

Aussitôt que j’ai reçu la question de mon grand ami Patin, j’ai décidé de vous la transmettre afin que vous puissiez, excellent Monsieur, l’insérer dans le huitième de vos oracles, {d} si par chance elle vous semble suffisamment pertinente. Dans cette attente, je vous prie de me transmettre le mot de réponse que vous aurez préparé pour ledit Patin, car je me réjouis beaucoup de lui rendre ce service, et ce d’autant plus qu’il s’échange entre de si savants hommes qui ont tant mérité ma reconnaissance. Quant au fait que je n’aie pas encore reçu vos livres, ni vous, peut-être, l’Anatomie de Riolan, {e} j’en accuse les pluies qui ont jusqu’ici mouillé notre ciel. Je suis néanmoins confiant que ces ouvrages nous parviendront à tous deux très vite. Autrement, pour ne pas vous sembler inerte et sans idée (et même si j’en ai à peine le temps car le départ imminent du messager me presse), je ne puis pourtant m’abstenir d’ajouter brièvement ici à ceux de mon illustre ami Patin mes légers doutes sur la ciguë : possède-t-elle un pouvoir émollient et de quelle façon l’exerce-t-elle ? Je vois en effet préparer, avec le suc de cette plante et de l’ammoniaque, un emplâtre contre les indurations du foie comme de la rate, que Heurnius, Sennert, Harmann {f} et d’autres recommandent très chaudement ; j’entends aussi dire que la sève de ciguë, mais aussi celle de mandragore, {g} est même capable de ramollir l’ivoire. Je peine à tenir pour solidement établies la force et l’ingéniosité de la nature qui permettent cela : il est en effet clair que les deux plantes susdites possèdent une puissante et vraiment nuisible froideur, à tel point qu’il faille se demander si elles ne sont pas plus propres à épaissir qu’à ramollir. Je crois aussi que la faculté de cet emplâtre vient plutôt de la chaleur de l’ammoniaque tempérée en quelque façon par la froideur de la ciguë, puisque vous obtenez plus sûrement cet effet par le vinaigre, aussi bien que par quantité d’autres substances. Serait-ce parce que cette plante a été agrégée à divers principes tels que vinaigre, opium et mercure, ou parce que la chaleur de l’ammoniaque se renforce en se réfugiant dans la froideur de la ciguë, devenant alors capable de liquéfier et raréfier les humeurs ? Cela peut certes avoir lieu dans les viscères indurés, mais moins probablement dans l’ivoire. Pour l’intérêt de l’art et des malades, et avec votre coutumière sagacité, il vous incombera donc (en très grand arbitre des trois sciences), {h} de régler toute cette question qui est un très fréquent sujet de controverse au cours de nos consultations. Dans cette attente, je vous vénère très hautement et vous embrasse. Vale. De Gênes, à la hâte, le 5 novembre 1652, à 20 heures]. {i}


  1. Padoue, Sebastianus Sardus, 1653, in‑4o de 440 pages, illustré de gravures, avec un joli portrait de l’auteur.

  2. Page 423, chapitre clxxvii, De Cicutæ facultate molliente Quæsitum [Question sur la faculté émolliente de la ciguë].

  3. Jean-Alcide Musnier, médecin lorrain exerçant à Gênes, était ami de Patin et a correspondu avec lui, mais il ne nous en reste qu’une lettre, datée du 9 février 1656.

    V. note [4], lettre 63, pour le médecin italien polygraphe Fortunio Liceti.

  4. Huitième série des Quæsitis per Epistolas a Claris Viris responsa [Réponses aux questions posées par les lettres de brillants personnages] de Liceti, dont le septième avait paru en Udine en 1650 (v. note [9], lettre 276) : c’est elle qui a été publiée sous ce titre trompeur de Hieroglyphica en 1653.

    Musnier joignait à sa lettre celle qu’il avait reçue de Patin sur la question exposée plus bas, soumise à Liceti.

  5. Encheiridium anatomicum [Manuel anatomique] de Jean ii Riolan (Paris, 1648, v. note [25], lettre 150), que Patin avait dû envoyer à Musnier à l’intention de Liceti.

  6. V. notes [3], lettre 139, pour Jan i van Heurne, [21], lettre 6, pour Daniel Sennert, et [1], lettre latine 279, pour Johann Hartmann.

  7. V. note [85], lettre latine 351.

  8. Médecine, histoire naturelle et philosophie.

  9. Le latin de Musnier est d’une clarté suffisamment rare chez ses confrères contemporains pour être saluée. Sa lettre est suivie de la réponse de Liceti à Musnier et à Patin (chapitre clxxviii) où il confirme et explique l’effet émollient de la ciguë.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 décembre 1664, note 12.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0803&cln=12

(Consulté le 18/04/2024)

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