Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Bornoniana 4 manuscrit, note 12.
Note [12]

Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, {a} fondateur français du jansénisme, avait terminé ses études de philosophie chez les jésuites de Louvain en 1604, où ses talents avaient fait l’admiration de Juste Lipse, {b} comme en témoignent les trois lettres qu’il lui a écrites, {c} dont celle du 26 juillet 1604, écrite de Louvain à Paris (centurie iv, lettre xcii, pages 930‑931, Iusti Lipsi epistolarum selectarum Chilias… [Millier de lettres choisies de Juste Lipse…]) : {d}

Io. Vergerio Aurano S.M.D.

Gaudium mihi ab adventu tuo, et felici itineris meta ; sed maius gaudium ab affectu, quem puram et magnum in me ostendis. Et accipio equidem, et sine retractatione admitto. Et accipio equidem, et sine retractatione admitto : vel quia candorem tuum novi ; vel quia a meo metior, qui talis talem poscit. Nihil mihi das, sed solvis. Persevera tantum, et ipsum me, non quæ alii de me, vide. Ille ** cur mihi infensus , vel certe adversus sit, nescio : non meruisse, hoc scio, et ut alia mihi detrahat, virum bonum sciat, et candidatum bonarum artium ac veræ Phiosophiæ, neque aliud jacto. O miseri, quo rapimur ad æmulatiunculas aut calumnias, in alios Lyncei, in nos Homeri ? Mi Vergeri, hoc inprimis vitare hortor et rogo, in alios inquirere, et negligere : contra fiat, benigni in omnes, severi vel asperi in nos simus. Socratis præceptum vetus erat :

Οττι τοι εν μεγαροισι κακον τʹ αγαθον τε τετυκται ;

Hodie contra fit, et emissitios omnes oculos habemus. At illi, ut volent, iudicent, ego in via recta constanter ambulo ab æmulatione, ab ambitione prava aversus, et quo debeo versus id est ad Sapientiam et Deum. De ipsa Gallia, scis quam amem : sed non hos novitios libros, quos mittis, levium et exsutltantium ingeniorum fœtus. Nihil in iis solidi, maturi, aut, non dicam vetere, sed nupera Gallia digni. Miles ille quidem palam παρφρονειη πανταπασι ληρει. Alia de illo audieram : sed cum legi, errorem meum, furorem illius vidi. A Thuano ipso Historiam exspecto, vetere amico nostro, et tum arbitrabor. De doctrina vel industria, non ambigo : sed, ut hoc ævum est, rara quadam prudentia opus ad placendum, vel potius non displicendum. Sed qui sapit, posteritati etiam scribit. Nos in languore, plus solito sumus : sed te, mi Vergeri, et acre tuum ingenium non languide amamus fac mihi idem, vel eo nomine merenti.

[J’adresse toutes mes salutations à Jean Duvergier de Hauranne.

Votre venue fut une joie pour moi, tout comme l’heureux achèvement de votre voyage ; mais plus grande encore fut la joie que m’a procurée l’affection que vous avez pour moi, pure et sans réserve. Je la reçois tout autant que je l’accepte, sans répugnance : à la fois parce que je connais votre franchise, et parce que je mesure la valeur de celui qui s’en réclame. Vous ne me donnez rien, mais vous acquittez votre dette envers moi. Persistez à me voir seulement comme je suis, et non comme les autres me regardent. J’ignore pourquoi ce ** m’est hostile, ou du moins certainement opposé : je sais ne l’avoir pas mérité ; et s’il veut tirer autre chose de moi, qu’il sache que je m’arrête là, étant honnête homme, et simple amateur de belles-lettres et d’authentique philosophie. {e} Ne sommes-nous pas malheureux de nous laisser prendre aux petites jalousies et aux calomnies, nous faisant Lyncée pour les autres, et Homère pour nous-mêmes ? {f} Mon cher Duvergier, je vous en supplie et vous y exhorte, interdisez-vous d’enquêter sur les autres, ne vous souciez pas d’eux. Appliquons-nous, au contraire, à être bienveillants envers tous, mais sévères et durs envers nous-mêmes. Il y avait ce vieux précepte de Socrate :

En nos propres maisons qu’y a-t-il de bien, et qu’y a-t-il à réformer ? {g}

Voilà tout le contraire de ce qui se fait aujourd’hui, car nous portons un regard inquisiteur sur tous les gens. Mais, quoi qu’ils veuillent et quoi qu’ils jugent, moi je poursuis mon droit chemin, avec constance, me détournant de la jalousie et de l’ambition malsaine, et me tournant, comme je dois, vers la sagesse et vers Dieu. Pour en venir à la France, vous savez comme je l’aime ; mais non pas ces livres nouveaux que vous m’envoyez, car ce sont les productions d’esprits futiles et sautillants. Ils ne contiennent rien de solide ni de mûrement pensé, ou qui soit digne de la France moderne, sans parler de l’ancienne. Pour sûr, ce Soldat divague, ou même délire tout à fait. {h} De de Thou, mon vieil ami, j’attends l’Histoire, et en jugerai alors : {i} je ne discute ni son savoir ni son assiduité à la tâche ; mais par les temps qui courent, mieux vaut observer une extrême prudence à plaire, ou plutôt à ne point déplaire ; il est vrai que le sage écrit pour la postérité. Plus qu’à l’ordinaire, mon cher Duvergier, je suis dans la lassitude, mais c’est sans langueur que j’apprécie votre intelligence acérée. Rendez-moi donc la pareille, car je la mérite bien].


  1. V. note [2], lettre 94.

  2. V. note [8], lettre 36.

  3. V. note [3], lettre 902.

  4. , Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271.

  5. En raison de sa conversion au catholicisme, Juste Lipse avait alors trop d’ennemis pour qu’on puisse deviner duquel il voulait ici parler. Sa dévote Virga Hallensis [Vierge de Hal] fut publiée en 1604 (v. note [29], lettre 195, épître dédicatoire datée du 15 juillet), et fort mal accueillie par la critique savante.

  6. L’Argonaute [v. notule {b} de la triade 82, note [41] du Borboniana 11 manuscrit] Lyncée « avait la vue si perçante qu’il voyait au travers des murs, et qu’il découvrait ce qui se passait dans les cieux et dans les enfers » (Fr. Noël). Homère, le poète, avait la réputation d’être aveugle.

  7. Vers d’Homère (Odyssée, chant iv, 392) qu’Aulu-Gelle a cité et commenté (Nuits attiques, livre xiv, chapitre 6) :

    Nam meæ noctes, quas instructum ornatumque isti, de uno maxime illo versu Homeri quærunt, quem Socrates præ omnibus semper rebus sibi esse cordi dicebat : Οττι τοι εν μεγαροισι κακον τʹ αγαθον τε τετυκται.

    [Mes Nuits, que j’ai voulu enrichir et orner, ont pour unique objet l’application de ce vers d’Homère, que Socrate aimait, disait-il, par-dessus tout : « Tout ce qui s’est fait de bon et de mauvais dans le palais. »]

    Ma traduction est celle du latin qui est écrit dans la marge de la lettre de Lipse, en regard de sa citation, et sans doute plus proche de ce qu’il voulait y dire : Ædibus in propriis quid rectum aliudque geratur ?

  8. En dépit du Miles, je n’ai pas identifié l’auteur qu’éreintait Lipse.

  9. Les 18 premiers livres de L’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou ont paru pour la première fois en 1604 (v. note [4], lettre 13).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Bornoniana 4 manuscrit, note 12.

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(Consulté le 25/04/2024)

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