Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 13.
Note [13]

Nouvelle iii de la première journée du Décaméron (traduction française de Francisque Reynard, Paris, G. Charpentier, 1879, in‑12, tome 1, pages 51‑55) : Le juif Melchissedech, avec une histoire de trois anneaux, évite un piège dangereux que Saladin lui avait tendu (avec méprise de Gabriel Naudé sur un diamant au lieu de trois anneaux).

Dans son Traité et dispute contre les équivoques. Traduit du latin… {a}, John Barnes, {b} sans nommer Boccace, a résumé et commenté son conte (pages 127‑129) :

« Nous pouvons rapporter en ce lieu ce qu’un juif, insigne imposteur et athée, disait à un certain empereur des Turcs qui lui demandait ce qui lui semblait des trois religions, savoir la chrétienne, la juive et la mahométane, et quelle était la meilleure. Il répondit que Dieu y avait procédé par simulation et qu’il avait usé d’une certaine feinte dispensatoire au fait de ces trois religions, afin de nous ôter la connaissance < de > laquelle était en possession de la vraie vérité. Et que Dieu en avait fait comme un certain père de famille qui avait trois filles {c} qu’il aimait uniquement, chacune desquelles aspirait d’être déclarée héritière par le testament de son père. Lequel en ayant connaissance, il s’avisa d’une subtilité pour terminer pour l’heure les disputes de ses filles et les retenir en paix. Ce fut qu’il fit son testament, par lequel il institua son héritière celle qui, après le décès du père, représenterait {d} l’anneau d’or d’icelui, où étaient gravées les armes de sa Maison, et avec lequel il avait coutume de sceller les actes qu’il passait pendant qu’il était vivant. Cela fait, il fit faire, en cachette de ses filles, trois {e} anneaux si semblables qu’il n’y avait moyen d’y mettre différence, ni reconnaître quel était l’anneau véritable du père. Il les appela chacune à part et bailla à chacune d’elles un de ces trois anneaux, avec grande protestation de retenir l’affaire secrète, de peur que, venant à la découvrir, cela ne causât plus grandes querelles entre elles. Chacune ayant son anneau fut grandement réjouie, ayant certaine espérance d’avoir la succession de son père. Après que le père fut décédé, chacune croyant être dépositaire de l’anneau vrai de son père, demanda la succession ; mais, étant impossible de reconnaître entre les trois anneaux quel était celui que le testateur soulait porter, {f} il survint un grand procès et dispute douteuse {g} entre elles, qui ne peuvent être terminés jusqu’à ce que le testateur, revenant de l’autre monde, ait assuré lequel de ces trois anneaux tant semblables est le vrai anneau duquel il se servait. {h}

Cet athée disait que Dieu en avait fait de même, qu’il avait ainsi procédé et disposé avec nous quand il nous donnait ces trois religions et cérémonies si différentes, et pour lesquelles tant d’hommes combattent, chacun assurant que l’anneau d’or de vérité est en sa religion ; mais attendu que ces trois différentes religions ne peuvent être toutes vraies, il n’y en a qu’une seule qui possède la vérité, qui aura la pomme d’or sur laquelle, en la dispute des déesses, était écrit soit donnée à la plus belle. {i} Quant à celle des religions qui l’emporterait, cet athée disait que nul Pâris {j} n’était capable de décider cette question parce que nul des mortels ne peut profonder les secrets du cœur de Dieu pour savoir et prononcer laquelle des trois religions est produite de la bouche de Dieu, suivant les règles de la vérité, sans restriction tacite et clause réservée en l’esprit. »


  1. Paris, Rolin Baragnes et Jacques Villery, 1625, in‑8o de 571 pages.

  2. V. note [9], lettre 643.

  3. Trois fils beaux et vertueux dans le conte de Boccace ; l’anneau, passant de génération en génération, avait précédemment servi à distinguer le chef de famille. Le « Turc » était Saladin, premier vizir d’Égypte et de Syrie au xiie s.

  4. Porterait au doigt.

  5. Sic pour deux dans le conte (et pour respecter sa logique).

  6. Avait coutume de porter.

  7. Indécise.

  8. Boccace a ainsi conclu son histoire :

    « Le Saladin reconnut que le juif avait su échapper très adroitement au lacet qu’il lui avait jeté dans les jambes ; c’est pourquoi il se décida à lui exposer son besoin d’argent, et à lui demander s’il voulait lui rendre service ; et ainsi il fit, lui avouant ce qu’il avait eu l’intention de faire s’il ne lui avait pas répondu aussi discrètement qu’il l’avait fait. Le juif, de son propre chef, prêta à Saladin tout ce que ce dernier lui demandait et, par suite, le Saladin le remboursa entièrement. Il lui fit en outre de grands dons, le tint toujours pour son ami, et le garda près de lui dans une grande et honorable situation. »

    La suite est le commentaire de Barnes.

  9. Référence à la mythologie : dans un banquet des dieux sur l’Olympe, Éris, déesse de la Discorde, qui n’y était pas conviée, se venge en lançant une pomme d’or sur laquelle est écrit « Pour la plus belle » ; trois déesses, Héra, Athéna et Aphrodite, se disputent l’objet qui devient la « pomme de discorde » ; Zeus charge le prince troyen Pâris de résoudre la dispute en désignant la gagnante ; il choisit Aphrodite qui lui a promis l’amour d’Hélène, la plus belle mortelle du monde.

  10. Pâris (v. note [19], notule {d}, du Grotiana 1), amant de la belle Hélène.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 13.

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(Consulté le 28/03/2024)

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