Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 13.
Note [13]

« Claudien {a} aurait pu sembler un poète chrétien, si saint Augustin ne l’avait nié, au chapitre 26, livre v de La Cité de Dieu, {b} par ces mots : “ Le poète Claudien, bien qu’opposé au nom de Jésus-Christ, l’a pourtant loué en disant :

Ô prince excessivement chéri de Dieu, [pour qui, du fond de ses antres, Éole déchaîne ses armées hostiles,] pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! ” {c}

Voyez le commentaire de Luis Vives sur ce passage. {d} Orosius aussi s’est ainsi exprimé, au chapitre xxxv du livre vii : “ L’un des leurs, poète certes éminent, mais païen des plus opiniâtres, a porté dans ces vers, à la gloire et de Dieu et de l’homme, etc. ” » {e}


  1. V. note [10], lettre 138, pour Claudianus (Claudien ou Claudian), poète latin du ive s.

  2. V. note [5], lettre 91, pour saint Augustin, théologien, docteur et Père de l’Église au iveve s. ; le passage qui suit (traduit dans la notule {d‑iii} infra) est à l’endroit mentionné de La Cité de Dieu, son plus célèbre ouvrage.

  3. Claudien, Panégyriques, Éloge ii, pour le troisième consulat d’Honorius, vers 96‑98. J’ai mis entre crochets le fragment (païen) qu’Augustin a omis : cui fundit ab antris Æolus adversas acies, où la transcription du Bornoniana a malencontreusement remplacé hiemes [hivers] par acies [armées].

  4. Une bien utile remarque historique et philologique sur ce passage se lit en effet dans les commentaires de Jean-Louis Vivès sur La Cité de Dieu de saint Augustin, {i} livre v, note d, colonne 332 :

    Hunc Ægyptum fuisse vulgarior est opinio, et sic tradit Possidonius, qui fuit eius familiaris : non Rhodius ille philosophus, sed præsul quidam Afer. Ad carmen natus fuit, quod elegantissime scripsit, poetico vir ingenio, et ad superstitionem propensior : tametsi de Christo extat carmen ejus nomine inscriptum, quod credo ab eo Honorii gratiam compositum, ut fuit assentator maximus. Hi versus quos Augustinus citat, sunt in Panegyrico de tertio Honorii consulatu, quos in Honorii potius quam Theodosii laudem scripsit, et si de hac ipsa Alpina victoria loquens, quam fatis et felicitati Honorii citius quam Theodosii pietati per assentationem plusquam scurrilem adscribit. Sic enim ait :

    Victoria velox
    Auspiciis effecta tuis : pugnatis uterque.
    Tu fatis, genitorque manu : te propter et Alpes
    Invadi faciles : cauto nec profuit hosti
    Munitis hæsisse locis : spes irrita valli
    Concidit, et scopulis patuerunt claustra revulsis.
    Te propter gelidis Aquilo de monte procellis
    Obruit adversas acies revolutaque tela
    Vertit in autores, et turbine reppulit hastas.
    O nimium dilecte deo, cui fundit ab antris
    Æolus armatas hyemes, cui militat æther :
    Et conjurati veniunt ad classica venti.

    Sic in codicibus Claudiani legitur : apud Augustinum aliter. Fortasse ad eum tunc ferebantur modum, quo Augustinus scripsit, qui fuit illorum temporum æqualis. Tametsi in vetere libro Coloniensi sic habetur :

    O nimium dilecte deo, cui militat æther :
    Et conjurati veniunt ad classica venti.

    Eodem modo apud Orosium, et Diaconum.

    [Selon l’opinion la plus répandue, ce poète était originaire d’Égypte, ainsi que l’a relaté Possidonius (non pas le philosophe de Rhodes, mais l’évêque africain), {ii} qui fut son familier. Né pour la poésie, qu’il a fort élégamment écrite, ce fut un homme de talent, mais puissamment enclin à la superstition. Bien que ces vers qu’on lui attribue parlent du Christ, je crois qu’il les a écrits en l’honneur d’Honorius, {iii} car il a été le plus grand de ses encenseurs. Ceux que cite Augustin viennent du Panégyrique sur le troisième consulat d’Honorius, qu’il a plutôt écrit à la louange d’Honorius qu’à celle de Théodose ; et quand il parle de cette victoire alpine, il l’assigne bien plus à la destinée et à la félicité d’Honorius qu’à la piété de Théodose, {iv} et ce par adulation plus que facétieuse. Ainsi dit-il en effet :

    « Tes auspices ont hâté la victoire : vous avez tous deux pris part au combat, toi par ta destinée, et ton géniteur par sa valeur. Grâce à toi, les Alpes sont envahies sans efforts : en vain la prudence arrête l’ennemi sur des lieux hérissés d’un rempart ; le rempart croule et avec lui l’espérance ; les retranchements abattus ouvrent un passage. Grâce à toi, l’aquilon, du haut de la montagne, roule des masses de neige glacée sur les bataillons ennemis, il fait rebrousser les traits contre l’armée adverse, et, de son souffle, il repousse leurs javelots. Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui, du fond de ses antres, Éole déchaîne ses hivers armés, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! » {v}

    Voilà ce qu’on lit dans les manuscrits de Claudien, mais Augustin en use différemment. Peut-être était-ce la manière dont on citait Claudien du temps où a écrit Augustin, qui était son contemporain. Voici pourtant comme on le lit sans un vieux livre conservé à Cologne :

    « Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! »

    On le trouve à l’identique dans Orosius et dans Diaconus]. {vi}

    1. Bâle, 1542, v. notule {d}, note [14], lettre 409.

    2. Possidonius, évêque de Calame, en Numidie, mort vers 437, a appartenu à la communauté monastique qu’Augustin avait fondée à Hippone. Vivès avertissait de ne pas le confondre avec Possidonius de Rhodes, philosophe stoïcien grec du ier s. av. J.‑C.

    3. Honorius Flavius a été empereur romain d’Occident de 384 à 423 (v. note [3] de l’Observation i de Guy Patin et Charles Guillemeau).

    4. Quand il citait les vers de Claudien, Augustin glorifiait très explicitement le père d’Honorius, Théodose (v. note [3] de l’Observation i de Guy Patin et Charles Guillemeau), pour sa victoire, aidée par Dieu, contre l’usurpateur Eugenius, allié aux Francs (bataille du Frigidus, dite de la rivière froide, en septembre 394, près d’Aquilée, dans le Frioul) :

      « Il accable de toute la puissance de sa foi la formidable armée de son ennemi ; vainqueur plus encore par ses prières que par son épée. Des soldats qui avaient combattu dans cette journée nous ont dit qu’il s’était levé du côté de Théodose un vent si violent que les traits leur échappaient des mains pour fondre sur l’ennemi et que les traits de l’ennemi revenaient contre lui-même. »

    5. Dans son Panégyrique à Honorius, Claudien ne cite pas le nom de Théodose, mais il semble désigné quand il parle du père (genitor) se son héros, quoiqu’il pût s’agir de Dieu, géniteur de tous les hommes. Combattant côte à côte, tous deux sont aidés par une intervention miraculeuse ; mais Vivès, le sagace humaniste, me paraît avoir raison de penser qu’Augustin s’est trompé en prenant pour Théodose le « prince » (mot ajouté pour la clarté de la traduction, mais qui ne figure pas dans le texte latin) que Claudien apostrophait.

    6. Comme Orosius (v. infra notule {e}), Florus Diaconus (le diacre Florus de Lyon), théologien du ixe s., a commenté saint Augustin.

  5. Paulus Orosius (Paul Orose, Paulo Orosio), religieux espagnol du ve s., a composé sur la demande d’Augustin d’Hippone les :

    Adversus Paganos, (quos vocant) Historiarum libri septem.

    [Sept livres des Histoires des (gens qu’on appelle) Païens].

    J’ai consulté l’édition de Cologne (Jaspar Genepæus, 1542, in‑8o de 516 pages),

    Nunc denuo cum manuscriptis exemplaribus aliquot collati, diligentiusque multo quam antehac unquam excusi, cum indice rerum in ipsis contentarum copiosissimo.

    [À nouveau collationnés sur quelques exemplaires manuscrits, et imprimés beaucoup plus soigneusemment qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent, avec un très copieux index des matières qu’ils ocntiennent].

    Le passage cité s’y trouve à la page 488, livre vii, chapitre xxxv, intitulé :

    Theodosius imperator Cæsar Augustus quæ bella gesserit. Interim de Maximi, Adragastii et Valentiniani interitu, deque Arbogaste et Eugenio tyranno per Theodosum deletis.

    [Les guerres qu’a menées l’empereur Cæsar Augustus Theodosius. La mort de Maxime (co-empereur), d’Andragathius (général romain) et de Valentinien (autre co-empereur), et la destitution d’Abrogast et d’Eugenius par Théodose].

    J’y ai mis en exergue et en contexte le passage cité par le Borboniana, où Orosius affiche son scepticisme sur les circonstances surnaturelles de la victoire emportée par Théodose :

    Eugenius captus atque interfectus est. Arbogastes sua se manu perculit. Ita et hic duorum sanguine bellum civile restrictum est, absque illis decem millibus Gothorum, quos præmissos Theodosio Arbogastes delesse funditus fertur, quos utique perdidisse lucrum, et vinci vincere fuit. Non insulto obtrectatoribus nostris. Unum aliquod ab initio urbis conditæ bellum proferant, tam pia necessitate susceptum, tam divina felicitate confectum, tam clementi benignitate sopitum, ubi nec pugna gravem cædem, nec victoria cruentam exegerit ultionem : et fortasse concedam, ut non hæc fidei Christiani ducis concessa videantur, quamvis ego hoc testimonio non laborem, quando unus ex ipsis poeta quidem eximius, sed paganus pervicacissimus, huiusmodi versibus et Deo, et homini testimonium tulit, quibus ait : “ O nimium dilecte Deo, tibi militat æteher, Et coniurati veniunt ad classica venti. “ Ita cælitus iudicatum est inter partem etiam sine præsidio hominum de solo Deo humiliter sperantem, et partem arrogantissime de viribus suis et de idolis præsumentem. Theodosius aiunt composita tranquillataque repub. apud Mediolanum constitutus diem obiit.

    [Eugenius fut capturé et mis à mort. Arbogast, quant à lui, se tua de sa propre main. C’est ainsi et alors que, par le sang de ces deux hommes, cessa la guerre civile, sans compter ces dix milliers de Goths {i} envoyés par Théodose que, dit-on, Abrogast a entièrement anéantis, avantage qu’il a de toute façon perdu, puisque sa victoire a tourné en défaite. Je ne veux pas ici faire insulte à mes détracteurs : je les laisse prétendre que, depuis la fondation de Rome, ce fut l’une des rares guerres à avoir été entreprise par pieuse nécessité, menée avec si divine félicité et apaisée avec si clémente magnanimité qu’aucun combat n’y a coûté de lourd massacre, ni la victoire, de châtiment sanglant ; mais peut-être leur concéderais-je que tout cela ne semble pas avoir été lié à la foi du chef chrétien, {ii} bien que je ne m’embarrasse pas de ce témoignage que l’un des leurs, poète certes éminent, mais païen des plus opiniâtres, {iii} a porté dans ces vers, à la gloire et de Dieu et de l’homme, où il dit : « Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! » Ainsi a-t-on jugé, en haut lieu, entre la partie qui met humblement son espérance en Dieu seul, même sans secours des hommes, et celle qui compte très arrogamment sur ses propres forces et sur ses idoles. On dit qu’après avoir rétabli et pacifié les affaires publiques, Théodose s’est installé à Milan où il est mort]. {iv}

    1. Les Goths étaient alliés de Théodose dans sa guerre contre Eugenius (usurpateur impérial) et Abrogast (général franc).

    2. Théodose.

    3. Claudien.

    4. Le 17 janvier 395. Théodose est fêté comme saint dans les rites orthodoxes et arméniens. L’Église romaine l’avait excommunié en 390 en raison d’un gigantesque massacre qu’il avait ordonné à Thessalonique. Après sa mort, l’Empire romain se scinda entre ses deux fils : Honorius en Occident et Flavius Arcadius en Orient.

Quand les théologiens les interprètent, il devient décidément bien difficile de savoir ce qu’ont exactement voulu dire les auteurs laïques de l’Antiquité.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 13.

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(Consulté le 26/04/2024)

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