À Charles Spon, le 14 septembre 1643, note 15.
Note [15]

Ces procédés de gouvernement évoquèrent immédiatement, dans tous les esprits, la manière de Richelieu :

« Il n’est pas mort, il n’a que changé d’âge,
Ce cardinal dont chacun enrage ;
Mais sa maison en a grand passe-temps,
Maints chevaliers n’en sont pas trop contents,
Ains {a} l’ont voulu mettre en pauvre équipage.
Sous sa faveur renaît son parentage,
Par le même art qu’il mettait en usage ;
Et par ma foi, c’est encore leur temps.
Il n’est pas mort.

Or nous taisons de peur d’entrer en cage,
Il est en cour l’éminent personnage,
Et pour durer encore plus de vingt ans.
Demandez-leur à tous ces Importants,
Ils vous diront d’un moult piteux langage
Il n’est pas mort. »


  1. Mais.

Ce rondeau anonyme était l’écho de celui que Robert ii Miron avait composé en décembre 1642, après la mort du cardinal (v. note [4], lettre 77). Dans la même veine, les Importants avaient trouvé dans Jules de Mazarin l’anagramme Je suis Armand.

Lavisse (pages 8-9) :

« Justement, la cour, après les tristesses et les rigueurs du morne règne, avait grande envie de s’amuser. Les disgraciés rentrèrent et s’empressèrent autour de la reine, qui avait souffert comme eux la persécution du cardinal et du roi. Ils lui demandèrent la curée des honneurs et de l’argent, elle la leur donna et fut remerciée d’être “ si bonne ”. {a} Mazarin l’avertissait inutilement : “ La reine, disait-il, doit se faire respecter dès le commencement. Les Français sont naturellement portés à faire quatre pas quad on leur permet de mettre un pied. ” Une cabale se forma en effet, que l’on appela la cabale des “ Importants ”, à cause de l’air mystérieux que se donnaient les conspirateurs. Les plus en vue étaient Beaufort {b} et Mme de Chevreuse, une Rohan, veuve du duc de Luynes, puis de Claude de Lorraine duc de Chevreuse. Elle avait beaucoup aimé et elle aimait encore, malgré ses quarante-trois ans, en France et à l’étranger, toujours dévouée à sa passion, “ que l’on pouvait dire éternelle, quoiqu’elle changeât souvent d’objet ”. {c} Elle avait fait de la politique un assaisonnement de l’amour, et gêné et même inquiété Richelieu et Louis xiii. Le roi, dans la Déclaration même, {d} l’avait condamnée à l’exil perpétuel, mais il était si sûr qu’elle rentrerait que, lorsqu’on lui relut l’article où il était parlé d’elle, il s’écria : “ Voilà le diable ! ” La duchesse rentra tout de suite et se mit à travailler contre Mazarin comme elle aurait travaillé contre n’importe qui. Les cabaleurs voulaient enlever aux “ restes de M. le cardinal ”, {e} c’est-à-dire à l’ancien personnel, les honneurs et les gages, mais on n’avoue pas ces choses-là ; aussi affichaient-ils un programme de grande politique : réconcilier la France avec l’Autriche, employer les forces des deux puissances à restaurer en Angleterre le pouvoir absolu, et “ rétablir l’ancienne forme du gouvernement que le cardinal de Richelieu avait commencé de détruire ”, {f} c’est-à-dire tout l’opposé de la politique nationale et monarchique.

Mazarin défendit l’ancien personnel, dont il était, et la politique nationale. Nos vieux alliés, la Hollande et la Suède, s’inquiétaient des bruits qui couraient, le cardinal montra leurs doléances à la reine. Il était assidu près d’elle, au point que les Importants osèrent la faire avertir par Vincent de Paul et par les évêques qu’elle se compromettait. {g} Mais il ne la quittait pas, il lui apportait des affaires plus qu’elle n’en voulait, et la pauvre femme, qui sortait d’une grande oisiveté et qui était paresseuse, entra “ dans un intervalle de dégoût et d’embarras ”. En même temps qu’il menait la grande politique, Mazarin nouait et dénouait de petites intrigues ; il avait plus que personne l’“ esprit de cabinet ”. {h} Si bien qu’à la fin, ses adversaires, le voyant se bien établir et perdant patience, en arrivèrent aux imprudences : Beaufort voulut tuer le cardinal ; la reine, au commencement de septembre 1643, le fit arrêter et enfermer au château de Vincennes et l’exil dispersa les cabaleurs. »


  1. Retz (v. note [7], lettre 214).

  2. V. supra note [14]
  3. Retz, v. note [37], lettre 86
  4. , pour Mme de Chevreuse.
  5. V. note [22], lettre 80.

  6. Richelieu in Omer ii Talon.

  7. La Rochefoucauld.

  8. Vincent de Paul (v. note [27], lettre 402) fut nommé membre du Conseil de conscience de la régente Anne d’Autriche en 1643 et y demeura jusqu’en octobre 1652.

  9. Les deux dernières citations sont de Mme de Motteville.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 14 septembre 1643, note 15.

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(Consulté le 16/04/2024)

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