À André Falconet, le 31 janvier 1659, note 15.
Note [15]

Cette page des Institutiones Medicæ [Institutions médicales] de Caspar Hofmann (Lyon, 1645, v. note [12], lettre 92) renvoie au chapitre lxxx du livre iii, intitulé De Syncope cardiaca [La Syncope cardiaque]. Après une fumeuse discussion théorique, le septième et dernier paragraphe (page 415‑416) en vient à ce dont parlait ici Guy Patin :

Non omnes qui subito moriuntur, Apoplexia moriuntur, et frustra sæpe quæritur causa ab Anatomicis in capite, cum in thorace sit. Huius rei historiam cum nuper ostenderim apud Frambesarium in Exam. Doctorand. f. 29. volui heic in apertam lucem producere. Vidit is in milite, subito post longum mœrorem mortuo, visceribus reliquis salvis, in pericardio, non aquam modo, sed et copiosum sanguinem concretum. An hoc modo obierunt duo magni viri, quorum in Patholog. cap. 105. memini, Remus et Piccartus ? An ratio distinctionis est ? In Apoplexia quantumvis forti stertor est, quamdiu id, quod e cerebro accedit musculis thoracicis, ad complementum respirationis, solum est ablatum, durante adhuc ebullitione naturali in corde. In Syncope cardiaca nullus est stertor, quia cor ipsum subito occupatur. An quidam ex iis, qui febribus laborant, præsertim sanguinei, hac syncopa exstinguuntur subito ?

[Tous ceux qui meurent subitement ne meurent pas d’apoplexie, et les anatomistes en cherchent vainement la cause dans la tête, quand elle se situe dans le thorax. J’ai ici voulu mettre en lumière une relation de ce fait que j’ai lue récemment au fo 29 de l’Examen doctorandorum de La Framboisière. {a} Chez un soldat mort subitement après un long chagrin, dont les autres viscères étaient sains, il a observé la présence dans le péricarde non seulement d’eau, mais aussi d’une abondance de sang coagulé. N’est-ce pas de cette façon que moururent deux grands hommes, Remus et Piccartus, dont j’ai parlé au chapitre 105 de ma Pathologie ? {b} Est-il raisonnable de les croire différentes ? Dans l’apoplexie, si grave puisse-t-elle être, il y a ronflement mais seulement aussi longtemps que dure l’influx qui parvient du cerveau aux muscles du thorax pour assurer la respiration ; tant que lui seul ne s’est par éteint, subsiste un bouillonnement naturel du cœur. {c} Dans la syncope cardiaque il n’y a aucun ronflement parce que le cœur lui-même est subitement saisi. Parmi ceux qui souffrent de fièvre, principalement s’ils sont de tempérament sanguin, {d} n’y en a-t-il pas certains qu’une telle syncope emporte subitement ?]


  1. Section intitulée De animi pathematis [Des affections de l’esprit] dans la Disputatio ii (hygiène) des Scholæ Medicæ [Conférences médicales] de Nicolas-Abraham de La Framboisière (v. note [3], lettre 26) (page 901 de ses Œuvres, édition de Lyon, 1669, v. note [5], lettre latine 169) :

    Sic 16. die Augusti, anno 1619. apud Turones nobilis iuvenis Montelierus Meussiæ cohortis subpræfectus ob immensum mœrorem in vico colloquens repente e vivis excessit. Dissecto cadavere sana viscera reperta sunt omnia, pericardium duntaxat non aqua modo, sed et copioso sanguine concreto repletum animadvertimus, qui prægressa exercitatione vehementiori, ab ingenti mœstitia constricto corde, per alterutram eius auriculam illuc irrepserat, ac vitæ principium subito suffocaverat, unde repentina mors.

    [C’est ainsi qu’en raison d’un immense chagrin, à Tours, le 16e d’août 1619, un jeune gentilhomme, lieutenant du régiment, {i} est subitement passé de vie à trépas tandis qu’il conversait dans la rue. À l’ouverture du cadavre, on a trouvé tous les viscères sains, à l’exception du péricarde dont nous avons remarqué qu’il était non seulement rempli d’eau, mais d’une abondance de sang coagulé. Il s’y était insinué au travers des deux oreillettes, à la suite d’un très violent exercice, sur un cœur resserré par une immense tritesse ; le principe vital a été suffoqué, ce qui a provoqué une mort soudaine].

    1. Je n’ai su traduire ni l’origine du personnage (Montelierus), ni le nom de son régiment (Meussiæ).

    La description évoque ce qu’on appelle aujourd’hui une tamponnade cardiaque par hémopéricarde, soit un épanchement brutal de sang dans le péricarde qui peut entraîner la mort par constriction cardiaque ; sa cause probable était ici (en l’absence de traumatisme apparent) une rupture du myocarde, en lien possible avec une nécrose (infarctus). V. notule {j}, note [8], lettre 725, pour l’observation plus détaillée d’un autre cas publié par William Harvey en 1649.

  2. Hofmann citait deux de ses défunts collègues d’Altdorf : Georg Remus (1561-1625) y avait enseigné le droit et l’histoire, et Michael Piccartus (1574-1620), la philosophie. Le seul ouvrage d’Hofmann dont le titre contienne le mot Pathologia est son édition de la Pathologia parva [Petite pathologie] de Francesco Frigimelica (Iéna, 1640, v. note [26], lettre 192), mais ne compte que 32 chapitres ; tout comme je n’ai rien trouvé qui corresponde dans le chapitre cv, livre iii des Institutiones, qui traite de la pathologie.

  3. Sans doute à comprendre comme voulant dire battement ou activité cardiaque.

    Il est vrai que, si destructeur soit-il, un accident artériel cérébral (infarctus ou hémorragie) n’est qu’exceptionnellement cause d’une mort instantanée : un coma de durée variable (quelques heures ou jours, voire beaucoup plus) précède le décès.

  4. V. note [36], lettre latine 98.

Cette discussion est d’un grand intérêt car elle prouve que les savants du premier xviie s., tant médecins que philosophes et théologiens, s’interrogeaient sur la mort subite (mors repentina ou subita). Son origine cardiaque ou vasculaire était suspectée, parfois mêlée à des doutes sur un empoisonnement criminel, mais sa caractérisation précise date d’au moins un siècle plus tard. À ma connaissance, la première description anatomique indiscutable de l’athérosclérose, qui la provoque le plus souvent, date de 1695 (v. note [7], lettre 610). On sait aujourd’hui qu’elle est le plus communément liée à une occlusion soudaine d’une artère qui irrigue le cœur (thrombose coronaire aiguë). Guy Patin est revenu sur ce sujet à la fin de sa lettre à André Falconet datée du 14 février 1662 (v. sa note [8]), avec cette explication : « La syncope est une marque infaillible que les canaux du cœur sont bouchés. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 janvier 1659, note 15.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0554&cln=15

(Consulté le 28/03/2024)

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