À Bernhard von Mallinckrodt, le 1er mars 1646, note 15.
Note [15]

« au berceau », en lien avec le substantif latin incunabula [garnitures de berceau, commencement] qui est à l’origine du mot incunable, pour désigner une édition qui date des premiers temps de l’imprimerie (avant 1501). On en a longtemps attribué l’invention à Bernhard von Mallinckrodt car il se lit au chapitre i (Diversæ opiniones de Inventione Typographiæ, deque illis judicium [Diverses opinions sur l’invention de l’imprimerie, et avis à leur sujet]) de sa Dissertatio (page 5), dans une diatribe contre Hadrianus Junius (Adriaen de Jonghe), médecin et philologue néerlandais, natif de Hoorn (Frise-occidentale), qui mit le plus grand zèle à situer le berceau de l’imprimerie dans la ville de Haarlem (une vingtaine de kilomètres à l’ouest d’Amsterdam) :

Iunius autem ille anno orbis redempti 1512. natus est climacterico enim magno ætatis anno, in Zelandia an. 1575. obiit, ita ut sexaginta ad minimum anni inter illius viri nativitatem et typographiæ incunabula, quæ ad annum 1450. vel circiter communiter referuntur, intercesserint. Huius igitur Hadriani Iunij solius testimonio et authoritate nituntur omnes reliqui, qui Monguntinorum laudibus obstrepunt, isque vicissim solas fere Harlemensium fabulas in testimonium profert, cui ludicro rei seriæ fulcimini, reliquisque eius assertionibus omni probabilitate et probatione hactenus destitutis quantum fidi tribuique possit, contra totius seculi et amplius indubitatum et unanime consensum, contra gravissimorum scriptorum magnamque partem oculatorum testium auctoritatem, contra ipsa denique evidentissima et etiamnunc superantia rerum testimonia, infra suo loco trutinabimus.

[Pourtant, ce Junius naquit en l’an 1512 de la rédemption du monde et mourut en Zélande en 1575, année de sa grande climatérique ; {a} de sorte qu’au moins soixante années se sont écoulées entre sa naissance et le commencement de l’imprimerie, qu’on situe aux environs de l’an 1450. C’est donc sur le seul témoignage et sur la seule autorité de cet Hadrianus Junius que se sont appuyés tous ceux qui contestent la gloire de ceux de Mayence ; en revanche, pour presque tout témoignage, il ne présente que les fables des gens de Haarlem. Nous examinerons plus bas, en leur lieu et place, ce futile argumentaire dans une affaire sérieuse, ainsi que le reste de ses affirmations qui sont jusqu’à ce jour dénuées de toute probabilité et de toute preuve ; pour autant qu’on puisse s’y fier et les partager, car elles vont à l’encontre du jugement unanime et indubitable de tout un siècle et même plus, à l’encontre de l’autorité des auteurs les plus sérieux et d’une grande partie des témoins oculaires, à l’encontre enfin du témoignage même des faits, qui est absolument digne de foi et qui l’emporte encore aujourd’hui].


  1. Hadrianus Junius est mort le 16 juin 1575 à Arnemuiden, près de Middelbourg en Zélande ; né le 1er juillet 1511 (et non 1512 comme écrivait ici Mallinckrodt), il était donc dans sa 64e année d’âge, et non dans sa 63e, qu’on appelle la grande climatérique (v. note [27], lettre 146).

En réalité, l’invention du mot incunabila revient à Junius lui-même car il l’a employé à la page 256 de son livre patriotique intitulé Batavia. In qua præter gentis et insulæ antiquitatem, originem, decora, mores, aliaque ad eam historiam pertinentia, declaratur quæ fuerit vetus Batavia, quæ Plinio, Tacito et Ptolemæo cognita : quæ item genuina inclytæ Francorum nationis fuerit sedes [La Hollande. En laquelle, outre l’ancienneté de son peuple et de sa terre, son origine, ses ornements, ses coutumes et d’autres faits relatifs à son histoire, il est montré qu’elle fut la vieille Batavia qu’ont reconnue Pline, Tacite et Ptolémée, et qui a aussi été le berceau de l’illustre nation des Francs] (Leyde, Plantin, 1588, in‑8o), où il parle d’un des tout premiers ouvrages que Johannes Laurentius, surnommé Ædituus ou Custos (v. supra notule {a}, note [10]), imprima à Haarlem vers 1460 :

Is liber erat vernaculo sermone ab auctore conscriptus anonymo, titulum præferens, Speculum nostræ salutis. In quibus id observatum fuerat inter prima artis incunabula (ut nunquam ulla simul et reperta et absoluta est) uti paginæ aversæ glutine commissæ cohærescerent, ne illæ ipsæ vacuæ deformitatem adferrent.

[Ce livre avait été écrit en néerlandais par un auteur anonyme, portant le titre de Speculum nostræ salutis. Dans ces premiers incunables de l’art (puisqu’aucun plus ancien n’a jamais été retrouvé ni achevé), on avait pris soin d’attacher ensemble avec de la colle les pages en vis-à-vis, de manière que leurs vides ne provoquent pas leur déformation]. {a}


  1. Latin compliqué voulant sans doute dire que cette précaution, qui renforçait le papier en doublant les feuilles, évitait que le séchage de l’encre ne les gondolât.

Dans l’introduction de son érudite Notice sur le Speculum humanæ salvationis (Paris, Techener, 1840, in‑8o), J. Marie Guichard a résumé l’essentiel à connaître du « Miroir du salut humain » :

« Le Speculum humanæ salvationis, appelé aussi par quelques auteurs Speculum nostræ salutis, est un poème latin du xive siècle. Ce poème, qui fut traduit en plusieurs langues et dont nous possédons encore de nombreux manuscrits, a été un des livres les plus populaires et les plus renommés de son temps. Les bibliographes en ont souvent parlé, mais ils ont négligé l’ouvrage et son contenu, pour ne s’occuper que de quelques-unes de ses éditions. Chose étrange ! la gloire du poète a été envahie par les imprimeurs qui ont publié son œuvre ; au xvie siècle, la célébrité du Speculum était purement littéraire ; aujourd’hui, elle est devenue purement typographique.

Dans la première partie de cette Notice, nous examinerons le poème ; nous indiquerons des manuscrits qui, suivant nous, ne laissent aucun doute sur l’époque où il fut composé. Nous donnerons ensuite une liste des diverses éditions et traductions de l’ouvrage. Dans la seconde partie, nous chercherons à découvrir quelle est la plus ancienne édition ; les sentiments des bibliographes sont sur ce point d’une variété singulière : les uns font paraître cette édition en 1428, d’autres en 1470 ; {a} ceux-ci l’attribuent à Laurent Coster de Haarlem et ceux-là à Jean Gutenberg de Mayence. Ces questions complexes se rattachent essentiellement à l’histoire des origines de l’imprimerie. »


  1. La bibliothèque numérique Gallica de la BnF met en ligne une édition illustrée, datée de 1474-1475, sans nom ni lieu.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Bernhard von Mallinckrodt, le 1er mars 1646, note 15.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1040&cln=15

(Consulté le 28/03/2024)

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