Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 16.
Note [16]

« Voyez les Essais de Casaubon contre le cardinal Baronius, page 29. »

  • V. note [18], lettre 318, pour les 16 Exercitationes de Rebus sacris et ecclesiasticis. Ad cardinalis Baronii Prolegomena in Annales et primam eorum partem… [Essais sur les affaires sacrées et ecclésiastiques. Contre les prolégomènes des Annales du cardinal Baronius et leur première partie…] (Francfort, 1615). Les pages 29‑30 concernent la rude controverse que Casaubon avait engagée sur les régicides encouragés par les jésuites, ce qui le menait ici à défendre vigoureusement la mémoire de son père :

    Ne vetustiora exempla repetam, Iohannes Castellus, non solum Christianis natus erat parentibus ; verum etiam, quod nemo ignorat, discipulus erat Iesuitarum. Ravaillacus prodigium illud hominis, sceleratorum ultima linea, genere et professione Christianus erat. Auctores Pulverariæ Conjurationis qua nihil magis horribile Diabolus unquam excogitavit Christiani omnes erant, Catisbeius, Percius, Digbeius, alii : partim etiam Iesuitæ, Garnetus, Gerardus, Tes<i>mondus. Græculus Cretensis Andreas Eudæmono-Iohannes, animosissimus ille Parricidiarum Patronus, lanienæ Parisiensis cupidissimus laudator, prodigium e mendaciis et ignorantia conflatum, non solum Christianus audit : sed est etiam Iesuita et Missas romæ quotidie, uti fama est, celebrat. Hic est ille Paricidiorum in Reges et Principes unicus Magister, qui ad cætera sua scelera, nuper adiecit immanitatis plusquam Turcicæ facinus execrandum. Nam qui obiectis a me criminibus, veri repondere nihil posset : non solum in me convicia falsa, absurda, ridicula, et furentis Cretis rabiem dumtaxat prodentia, effudit : sed etiam Arnaldi Casauboni, Venerandi Parentis mei, ante tot annos fato functi, pretiosam apud omnes bonos, qui norant, memoriam, contra ius Gentium : spreto anathemate, quod veteres Hebræorum sapientes in male de mortuo loquente pronunciarunt : denique contra ipsorum etiam Paganorum instituta ac leges, impie sollicitavit, ac Diabolico mendacio ivit infamatum. Fingit scelestus Cretensis, et audet affirmare, qua impudentia est, patrem meum, rei capitalis damnatum, laqueo vitam finiisse, ô furiam ! ô immanitatem plus quam Turcicam ! nam etiamsi ita esset (est autem falsissimum, ut demonstrabimus) quæ est Barbaries, in cineres iam pridem conditos furorem exercere suum ? filio casum patris, licet fabula non esset, exprobrare ? Nescit scelestus nescit, quid sit discriminis inter ατυχημα , h.e. infortunium, et αδικημα, h.e. injuriam. Sed vide mihi Cretici huius prodigii θεηλατον, h.e. divinitus immisam, amentiam. Quum enim ter figmentum hoc suum repetat, ut paucos ante dies narrabat mihi Oxonii Iohannes Prideaux, vir doctissimus, et pietatis eximiæ : (ego sancte iuro, me paucis paginis inspectis, putida et aperta mendacia floccifecisse et nunquam legisse) crimen tamen quod patri impingeret, ne fingere quidem ullum potuit. Elogium puniendi non recitat ; non locum, non tempus indicat ; crudum mendacium, ut fuerat sibi a Satana inspiratum, contentus evomere. En quales exquisitioris pietatis magistros patria Iovis edat : urbs septicollis sinu suo excipiat, educet, foveat. En qualia mendacia, auctoritate Censuræ suæ, Princeps Aquaviva soleat comprobare.

    [Sans revenir sur de plus anciens exemples, Jean Chastel était non seulement né de parents chrétiens, mais aussi, comme nul ne l’ignore, disciple des jésuites. Ravaillac, ce monstre d’homme, ce dernier des scélérats, était de famille et de confession chrétiennes. {a} Les auteurs de la Conspiration des poudres (le diable n’a rien imaginé de plus horrible) étaient tous chrétiens : Catesby, Percy, Digby et les autres ; une partie d’entre eux étaient même jésuites, Garnet, Gérard, Tesimond. {b} Andreas Eudæmon-Joannes, petit Grec de Crète, ce très impétueux avocat des parricides et le plus avide laudateur de la boucherie de Paris, {c} ce monstre enflé de menteries et d’ignorance, ne se dit pas seulement chrétien, mais est aussi jésuite, avec la réputation de dire la messe tous les jours à Rome. C’est ce maître unique des parricides contre les rois et les princes qui, à ses autres crimes, a récemment ajouté un exécrable attentat dont la sauvagerie surpasse celle des Turcs : ne pouvant rien répondre aux forfaits que je lui reproche, il a non seulement répandu contre moi un flot d’insultes, fausses, absurdes, ridicules et qui n’expriment que la rage d’un Crétois furieux ; mais il a aussi eu l’impiété, contre le droit des peuples, d’attaquer la précieuse mémoire d’Arnaud Casaubon, mon vénérable père, défunt voilà de nombreuses années, qu’avaient honorée tous les honnêtes gens qui l’ont connu ; en médisant sur sa mort, il l’a souillé de l’anathème que prononçaient les anciens sages hébreux ; enfin, contre les institutions et les lois des païens eux-mêmes, il l’a déshonoré par un diabolique mensonge. {d} Cet ignoble Crétois invente et ose affirmer, ce qui est pure impudence, que mon père a été condamné à la peine capitale et qu’il a fini sa vie pendu à une corde. Quel délire ! quelle monstruosité plus qu’ottomane ! Car même si tel avait été le cas (mais c’est parfaitement faux, comme nous le démontrerons), {e} quelle est cette barbarie qui exerce sa fureur contre des cendres déjà ensevelies depuis longtemps, en imputant au fils la faute de son père, même si ça n’était pas une fable ? Ce bandit ne le sait pas, il ne sait pas la différence entre l’infortune et l’injustice. Mais voyez la démence divinement inspirée de ce monstre crétois à mon égard : il répète trois fois ce conte qu’il a inventé, à ce que m’a raconté, voici quelques jours, John Prideaux à Oxford, {f} très savant homme, dont la piété est remarquable (car pour ma part, je jure solennellement, après en avoir parcouru quelques pages, n’en avoir fait le moindre cas et n’avoir jamais lu tel tissu d’inventions aussi fétides que flagrantes) ; mais il n’a certes pu qu’inventer le crime qu’il veut imputer à mon père. Il ne procure pas la preuve du forfait à punir : il ne fournit ni date ni lieu ; il se contente de vomir tout cru le mensonge que Satan lui a inspiré. Voilà la très exquise piété des maîtres qu’engendre la patrie de Jupiter, {g} puis qu’accueille en son sein, éduque et chérit la ville aux sept collines ! {h} Voilà les mensonges que, par l’autorité de sa censure, le général Acquaviva {i} a coutume d’approuver !] {j}


    1. V. notes [11] supra, notule {d}, pour Jean Chastel, auteur, en 1594, d’une tentative d’assassinat sur la personne de Henri iv, et [90], lettre 166, pour François Ravaillac, dont le coup de poignard tua le même roi de France en 1610.

    2. V. note [6], lettre 643, pour la Conspiration des poudres (Gun powder plot) contre le roi Jacques ier et le Parliament en 1605. Ses principaux auteurs y sont nommés, auxquels Casaubon ajoutait Sir Everard Digby et le jésuite Oswald Tesimond.

    3. Le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572, v. note [30], lettre 211).

    4. Andreas Eudæmon-Joannes (La Canée, Crète 1566-Rome 1625), de noble origine grecque, était entré dans Compagnie de Jésus à Rome, en 1583. Il appartenait au proche entourage du cardinal Francesco Barberini (v. note [7], lettre 112), légat en Avignon (1623-1633) et en France (1625). Zélé défenseur de la papauté, il a publié plusieurs ouvrages de polémique religieuse, dont le plus fameux est intitulé Andreæ Eudæmon-Ioannis Cydonii e Societate Iesu, ad actionem proditoriam Edouardi Coqui, Apologia pro R.P. Henrico Garneto Anglo, eiusdem Societatis Sacerdote. Permissu Superiorum [Apologie d’Andreas Eudæmon-Joannes, natif de La Canée, de la Compagnie de Jésus, contre la perfide accusation d’Edward Cock (magistrat anglais, avocat général du royaume). En faveur d’Henry Garnet, prêtre anglais de la même Société. Avec permission des supérieurs] (Cologne, Joannes Kinckius, 1610, in‑8o).

    5. Dans son ad Frontonem Ducæum S.I. Theologum Epistola, in qua de Apologia disseritur, communi Iesuitarum nomine ante aliquot menses Lutetiæ Parisiorum edita [Épître à Fronton du Duc (v. note [4], lettre 669), théologien de la Compagnie de Jésus, où est discutée l’Apologie publiée à Paris, voici quelques mois, au nom commun des jésuites] (Londres, John Norton, 1611, in‑8o), Isaac Casaubon avait pris la défense de Jacques ier contre les jésuites, et tout particulièrement contre l’Apologia pro Garneto d’Eudæmon-Joannes.

      La R.P. Andreæ Eudæmon-Ioannis… Responsio ad Epistolam Isaaci Casauboni [Réponse d’Andreas Eudæmon-Joannes… à la Lettre d’Isaac Casaubon] (Cologne, Ioannes Kinckius, 1612, in‑8o) y avait très vivement riposté. Dans son chapitre vi, intitulé De Andrea Eudæmon-Ioanne [À propos d’Andreas Eudæmon-Joannes], le jésuite crétois répondait aux attaques personnelles de Casaubon contre ses ascendances, avec cette insinuation (page 95) :

      Fuit ista Pharisæorum olim argumentatio, qui patriæ vel splendore, vel moribus dona spiritus metientes, negabant Christum, quod Galilæus esset, Prophetam esse potuisse. Quorum præceptionibus institutus Nathanael vir alioqui sine dolo, vereque Israelita, Philippo de Christi laudibus prædicanti non credidit, quod a Nazareth esse posse boni quicquam negaret ; quod Iulianum Apostatam usque adeo delectavit : ut Christum Dominum per contemptum Galileum appellaret. Qua tu argumentatione cum uteris ; venia nimirum dignus es, qui armis utare e maiorum tuorum armamentario depromptis.

      Sanguinis multo maior est vis, quam cæli, solive, qua natura etiam ipsa a parentibus in filios traducitur, ut eam ob rem apud plerasque gentes regna a parentibus in filios hæreditaria transeant ; quam sæpe autem filii nec virtutes, nec vitia parentum imitantur ? ut insanire mihi videar, si tibi non dicam patriam, sed patrem obiecero, aut funiculum hæreditatis tuæ, quo fidem abrogem scriptis tuis. Hæc apud imperitam multitudinem, et minus æquos rerum æstimatores in utramlibet partem magna fortasse censeantur : apud sapientes tamen sua cuique virtus, aut vitium ornamento, vel dedecori sunt. Ista igitur, quæ tu Græcorum, atque Cretensium vocas vitia, non præiudicio patriæ, quod aut nullum, aut fallacissimum est, sed certo aliquo iudicio proba, si potes, in me reperiri : actum demum, vel me iudice viceris.

      [Les pharisiens, {i} suivant l’argument que les dons de l’esprit se jugent sur la splendeur ou sur les mœurs de la patrie, niaient jadis que le Christ eût pu être prophète parce qu’il était galiléen. Selon leurs préceptes, Nathanaël, que Jésus a du reste établi comme un homme sans artifice et véritablement Israélite, n’a pas cru Philippe quand il chantait les louanges du Christ, en niant que quoi que ce soit de bon pût venir de Nazareth. {ii} Julien l’Apostat {iii} s’en délectait et, par mépris, donnait le nom de Galiléen au Christ notre Seigneur. Quand tu emploies de tels arguments, tu es parfaitement digne d’excuse puisque tu emploies des armes que tu as tirées de l’arsenal de tes ancêtres.

      La force du sang est bien plus grande que celle du ciel ou du sol car, par sa propre nature, il se transmet des parents à leurs enfants : voilà pourquoi dans maintes nations, les couronnes sont héréditaires, passant des pères aux fils ; mais est-il très courant que les fils n’imitent ni les vertus ni les vices de leurs parents ? Je déraisonnerais, me semble-t-il, si je te reprochais non pas ta patrie, mais ton père, ou la corde de ton hérédité, pour refuser de donner foi à tes écrits. La multitude ignorante et les moins impartiaux des juges pourront prendre le parti qu’ils veulent sur ces grandes questions ; mais pour les sages, la vertu ou le vice de chacun est un objet de gloire ou de déshonneur. Prouve donc, si tu le peux, que tu as trouvé en moi ce que tu appelles les vices des Grecs et des Crétois, sans recourir à un préjugé sur ma naissance, parce qu’il est sans valeur ou parfaitement fallacieux, mais en te fondant sur quelque solide argument : fais simplement cela et tu m’auras convaincu].

      1. V. note [14], lettre 83.

      2. Évangile de Jean (1:43‑47) :

        « Le jour suivant, Jésus résolut d’aller en Galilée, et il rencontra Philippe.
        Et Jésus lui dit : “ Suis-moi. ” Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre.
        Philippe rencontra Nathanaël et lui dit : “ Nous avons trouvé celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les Prophètes : c’est Jésus, fils de Joseph de Nazareth. ”
        Nathanaël lui répondit : “ Peut-il sortir de Nazareth quelque chose de bon ? ” Philippe lui dit : “ Viens et vois. ”
        Jésus vit venir à lui Nathanaël et dit de lui : “ Voici véritablement un Israélite, en qui il n’y a pas d’artifice ” ».

        Nathanaël, Galiléen de Cana, devint apôtre du Christ en prenant le nom de Barthélemy.

      3. V. notes [15], lettre 300, et [36] du Naudæana 3.

    6. John Prideaux (1578-1650), théologien britannique anglican, professeur à Oxford, évêque de Worcester (1641-1646).

    7. La Grèce.

    8. Rome.

    9. Le R.P. Claudio Aquaviva, supérieur général de la Compagnie de Jésus de 1581 à 1615.

    10. V. infra pour la suite de cet extrait.

  • Isaac Casaubon a donné le récit détaillé de la mort édifiante de son père, Arnaud Casaubon (Montfort-en-Chalosse, en Guyenne, dans l’actuel département des Landes, vers 1523-Die dans celui de la Drôme 1586) dans la suite de ses Exercitationes contre Baronius (pages 29‑30) :

    Pater meus, vir pietate, probitate, et prudentia inter paucos insignis, anno superioris seculi 86. Diæ vel ut veteres nominabant Deæ Vocontiorum, in Delphinatu, ipsis anni novi Kal. morbum contraxit : invasitque eum febricula, lenta quidem, verum continua. Quum medici, atque imprimis Laurentius Videlius, Avenionensis : (sed qui religionis varie corruptæ reformationem ante multos annos erat amplexus) in ea arte eximius, et veteri amicitia patri meo coniunctissimus, nihil periculi, et omnia signa ad salutem esse, confirmarent ; ipse tamen, ex quo primo decubuit, instare sibi fatalem horam intellexit : et qui de exitu morbi non dubitaret, uxorem suam, matrem meam, piis alloquiis sæpe est consolatus. 6. Kal. Febr. pater testamentum condidit : quod excepit notarius, uti vocant, Apostolicus, cui nomen Cheysieu. Scribendo testamento adfuerunt, A. Podianus (du Pui) Prætor urbis : qui paulo post peste extinctus, ingens sui desiderium civib. suis reliquit : L. Videllius, R. Bruierus, I. Draco, alij viri primarij amici patris, quorum nomina in tabulis testamenti leguntur. Kal. Febr. Dei nomen invocans, et delictorum veniam petens, sine ullo cruciatu, placide in Domino obdormuit : nactus, si quis mortalium, quam frustra sibi optabat Christum ignorans Augustus, ευθανασιαν, hoc est, beatam mortem. Adfuit ægrotanti, et beatam animam (sic opto et spero) Creatori suo reddenti, pia mater, singularis exempli fœmina, Iohanna Rousseau : quæ annos fere triginta, sine ulla, vel levissima, querela, vixit cum ipso coniunctissime : adfuerunt et filiæ duæ, Sara et Anna, sorores meæ : gener etiam, Petrus Chabanæus, cum duobus ex ipso nepotibus, Petro et Isaaco. Ego solus liberorum, quæ mea fuit infelicitas, aberam ; quod quadrienno ante, Francisco Porto, et Græco et Cretensi ; sed quem sincera pietas, virtus excellens, et singularis doctrina, bonis omnibus venerabilem reddebant ; in Græcarum literarum professione Genevæ adolescens successeram. Adfuerunt præterea ægrotanti frequentes cives, cum Dienses, tum Chrestenses : qui belli caussa Chresta, sive Crista, (oppidum est vicinum in Episcopatu Valentinensi, cuius olim Dia caput erat, nunc membrum) Diam concesserant : item e nobilitate Reformata provinciæ illius quamplurimi : quum forte eo tempore frequentissimus protestantium conventus Diæ ageretur. Elatus est 4. Non. Febr. succollantibus civib. honestissimis. Deduxerunt funus omnes civitatis ordines, et nobilium ac cæterorum, qui ad publica negotia convenerant, pars maxima. Luxerunt patrem, et diu desiderarunt, omnes pij, probi, ac prudentes viri. In his fortissimus heros, et gloria rerum gestarum toto Orbe notissimus, Lesdiguerius, et universa nobilitas : in qua præcipuos amicos habuit, Cugium, Guvernetium, Bellofortium, Poeticum, Dumasium, Consium, Chailarium : qui omnes, aut liberi eorum, etiam nunc sunt in vivis. Chailarius tunc admodum iuvenis, ad Pontificos postea transiit ; idem tamen Arnaldi Casauboni nomen sine honore usurpare, ne nunc quidem solet : memor arctissimæ amicitiæ, quæ olim patri meo cum ipsius parente, viro magno, et cum Pedegrotio eiusdem patruo, intercessit. Obiit ο μακαριτης, h.e., beatus, anno climacterico, ætatis suæ 63. Ego literis Videlii 15. Kal. Martij scriptis, quas a Theodoro Beza mihi traditas servo, de obitu optimi parentis factus certior ; dolorem meum paucis verbis απλαστως, id est, non ficte, testatus sum, in Commentariis ad Strabonem, quos tum scriberam, libro 5. pag. 84. Qui si Cretensis huius impostoris impudentiam, furorem et scelus prævidere potuissem : vitam patris mei literis mandassem, et ingentia Dei Opt. Max. erga ipsum beneficia enarrans, omnibus Cretensibus, omnibus Iesuitis os obrutassem ; et de universo nomine Casaubonio bene essem meritus. Neglexi hactenus hoc officium, conscius modestiæ et verecundiæ patris mei, quæ fuerunt in illo admirandæ. Nunc quia pietas id iubet, ne de veritate impune inimici Dei triumphent ; faciam tandem, volente Domino, quod ante multos annos factum oportuit ; et importunam ac truculentam hanc feram, veræ narrationis telis undique confodiam. At tu, Christiane Lector, criminatione ab una cognosce omnes. Nam qui de toto libello Cretensis Iesuitæ iudicandum sit, vel ex hoc uno potes statuere. Potes dico ? imo, si quid in te candoris, si quid veræ pietatis, omnino debes.

    [Le 1er janvier de la 86e année du siècle passé, mon père, cet homme auquel peu se peuvent comparer en piété, en probité et en sagesse, tomba malade à Die, dans le Dauphiné, ou Deæ Vocontiorum comme l’appelaient les Anciens, {a} en proie à une fièvre certes lente, mais continue. Les médecins, et en tout premier lieu, Laurentius Videlius, natif d’Avignon (mais qui avait adhéré, depuis nombre d’années, à la Réforme de la religion diversement corrompue), fort expérimenté en l’art de soigner et qu’une très solide amitié liait à mon père, affirmèrent qu’il n’y avait aucun danger et que tous les signes annonçaient une heureuse issue ; mais lui-même, dès qu’il s’alita, comprit que sa dernière heure allait arriver. Il ne doutait pas du tour fatal que prendrait la maladie, mais il tint souvent de pieux discours d’encouragement à son épouse, ma mère. Le 27e de janvier, il dicta son testament, que recueillit un dénommé Cheysieu, notaire apostolique (ainsi qu’ils s’intitulent) ; {b} furent présents à la rédaction de ce testament A. du Pui, échevin de la ville, qui mourut peu après de la peste, {c} à l’immense regret de ses concitoyens, L. Videlius, R. Bruierus, J. Draco et d’autres très proches amis de mon père, dont tous les noms se lisent dans la minute du testament. Le 1er de février, il s’endormit paisiblement, sans aucune souffrance, dans les bras du Seigneur, invoquant le nom de Dieu et lui demandant l’absolution de ses péchés. Au moment de subir le sort commun à tous les mortels, il a obtenu une euthanasie, c’est-à-dire une mort heureuse, telle qu’Auguste, qui ne connaissait pas le Christ, l’avait vainement souhaitée pour lui-même. {d} Ma pieuse mère, Jeanne Rousseau, était au chevet du malade au moment même où il rendit au Créateur son âme bienheureuse (comme je souhaite et espère). Femme tout à fait exemplaire, elle avait vécu pendant presque trente ans dans une entente parfaite avec lui, sans aucune querelle, si infime fût-elle. Ses deux filles, mes sœurs Sara et Anne, ainsi que son gendre, Pierre Chabanay, et deux de ses petits-fils, Pierre et Isaac, étaient à ses côtés. Quant à moi, son seul fils, quel ne fut pas mon malheur ! j’étais alors absent, résidant à Genève où, quoique bien jeune encore, j’avais depuis quatre ans succédé à Franciscus Portus dans la chaire de littérature grecque. Lui aussi était grec et crétois, mais sa piété sincère, ses éminentes vertus et sa singulière érudition avaient fait l’admiration de tous les honnêtes gens. {e} Se trouvaient en outre auprès du mourant quantité de citoyens de Die, comme de Crest (sa voisine dans le diocèse de Valence, dont elle était jadis l’évêché, mais qui n’en est plus qu’une dépendance), et ceux-là s’étaient réfugiés à Die en raison de la guerre, {f} ainsi qu’un grand nombre de gentilshommes réformés de cette province, car, à cette époque, le synode des protestants se réunissait presque toujours à Die. Les plus estimés de ses concitoyens le portèrent au tombeau sur leurs épaules le 2e de février. Toutes les compagnies de la ville, tant nobles que roturières, dont la plus grande part était réunie pour régler les affaires publiques, assistèrent aux funérailles. Tous les gens pieux, honnêtes et sages ont pleuré mon père et l’ont longtemps regretté. Parmi eux figuraient Lesdiguière, ce très courageux héros dont le monde entier connaît parfaitement les hauts faits, {g} et toute la noblesse, où mon père avait pour principaux amis Cugi, Guvernet, Belfort, Poët, Dumas, Consy, Chailar ; tous ceux-là, ou leurs enfants, sont encore en vie. Chailar était encore fort jeune à l’époque et s’est depuis converti au papisme ; encore aujourd’hui, il ne sait prononcer le nom d’Arnaud Casaubon sans lui rendre hommage, se souvenant de la très solide amitié qui lia jadis mon père au sien, et à son oncle Pedegrotte. Notre bienheureux mourut en sa 63 e année d’âge, qui est la grande climatérique. {h} Je conserve la lettre où Videlius m’a confirmé la mort de mon excellent père, elle est datée du 15 e de février, et Théodore de Bèze me l’avait remise. J’ai brièvement donné le témoignage non simulé de ma douleur au livre v, page 84, de mes Commentarii ad Strabonem, que j’écrivais alors. {i} Si j’avais pu prévoir l’impudence, la furie et le crime de cet imposteur crétois, j’aurais consigné par écrit la vie de mon père et, en relatant les immenses faveurs que Dieu lui a conférées en sa toute-puissance, j’aurais écrasé la gueule de tous les Crétois et de tous les jésuites, et j’aurais ainsi bien mérité du renom de tous les Casaubon. Jusqu’ici, j’ai négligé ce devoir, connaissant la modestie et la discrétion de mon père, qui étaient admirables en lui. La piété me l’ordonne maintenant : afin que les ennemis de Dieu ne triomphent pas impunément de la vérité, je ferai enfin, si Dieu veut, ce que j’aurais dû faire depuis bien des années, et je percerai partout cette bête sauvage, fâcheuse et redoutable des traits de mon authentique récit. Quant à toi, lecteur chrétien, mon seul réquisitoire suffit à te le faire connaître : tu peux en tirer le jugement à prononcer sur tout le libelle du jésuite crétois. Le peux-tu, dis-je ? Tu le dois absolument, si tu as en toi quelque trace de candeur et de véritable piété].


    1. Dea Vocontiorum [Déesse des Voconces] est le nom romain de Die (à environ 140 kilomètres au nord d’Avignon), parce qu’elle était l’ancienne capitale des Voconces, peuple gaulois installé dans les Préalpes du Dauphiné.

    2. Casaubon qualifiait ce notaire d’« apostolique » (v. fin de la note [63] du Naudæana 2) parce qu’il était catholique et rédigeait des actes tant royaux que diocésains.

    3. Cette remarque peut laisser supposer qu’Arnaud Casaubon succomba aussi à une forme lente de peste. Je n’ai pas cherché à mieux identifier les nombreux témoins dont son fils citait les noms pour dénoncer le mensonge d’Eudæmon-Johannes.

    4. V. note [32], lettre latine 4, pour cette allusion à Tacite sur le souhait de l’empereur Auguste, qui mourut subitement, en l’an 14 de notre ère, sans doute empoisonné par sa seconde épouse, Livie, et par son successeur, Tibère).

    5. Casaubon étudiait le grec à Genève auprès de François Portus (Phrankiskos Portos, Francesco Porto, Candie 1511-Genève 1581).

    6. Crest (Chresta, Crista ou Cresta en latin) est une ville fortifiée du Dauphiné (dans l’actuel département de la Drôme), une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Die. Arnaud Casaubon y avait été pasteur. Sévissait alors la huitième et dernière guerre de Religion (1585-1598).

    7. V. note [26] du Naudæana 1, pour François de Lesdiguière, connétable de France.

    8. V. note [27], lettre 146.

    9. V. note [62], lettre latine 351, pour les commentaires d’Isaac Casaubon qui sont à la fin de son édition des 17 livres de la Géographie de Strabon (Genève, 1587). À ladite page 84 (première colonne, repère E), il laisse à d’autres le soin de commenter un passage difficile de Strabon sur les coordonnées géographiques de la péninsule italienne, avec cette excuse :

      Mihi nec vacat, nec libet, hoc præsertim tempore : quo allatus mihi tristissimus de obitu, hei mihi ! optimi, optimeque de me meriti parentis mei nuntius, ita me perculit affecitque, ut prorsus ab istis mansuetioribus Musis abhorrens animus meus, alias literas requirat, in quibus acquiescat, ac tanti vulneris medicinam reperiat ; quæ profecto non aliæ sunt, quam eæ in quibus annos ferme triginta idem ille μακαριτης pater meus se non sine fructu (Deo gloria sit et laus,) exercuit : quasque voluit ille semper suis liberis versari ante oculos.

      [Je n’en ai ni le loisir ni la liberté, tout particulièrement au moment où, hélas pour moi ! m’est parvenue la très triste nouvelle de la mort de mon excellent père, envers qui ma reconnaissance est immense. Elle me bouleverse et afflige tant que mon esprit, s’éloignant avec aversion des douces Muses, a besoin d’autres livres qui l’apaiseront, et où il trouvera le remède d’une si profonde blessure : ce ne sont rien d’autre que ceux où, depuis bientôt trente années, feu mon bienheureux père, m’a appris à lire, non sans fruit (que Dieu en soit loué et honoré !), et sur lesquels il a toujours voulu que ses enfants tournent leurs yeux].


  • La Isaaci Casauboni Vita [Vie d’Isaac Casaubon] qui figure au début de ses Epistolæ (3e édition), {a} La France protestante {b} et Mark Pattison {c} complètent la biographie d’Arnaud Casaubon : tôt converti à la Réforme, il fuit les persécutions en s’exilant à Genève, où il obtint le droit de bourgeoisie en 1559, année où naquit Isaac. L’édit de janvier 1562, qui instituait la tolérance des religions, permit à Arnaud Casaubon de revenir en France pour devenir pasteur à Crest. Il interrompit son ministère pour participer aux combats des deuxième et troisième guerres de Religion (1567-1570), et revint à Crest à la trêve de 1570. La Saint-Barthélemy rouvrit les hostilités en 1572 et les guerres se succédèrent presque sans discontinuer jusqu’à la huitième et dernière (1585-1598). Comme on a vu, le pasteur de Crest mourut au cours de celle-là, à Die en 1586.


    1. Isaaci Casauboni Epistolæ, insertis ad easdem Responsionibus, quotquot hactenus repriri potuerunt, secundum seriem temporis accurate digestæ. Accedunt huic tertiæ editioni, præter trecentas ineditas epistolas, Isaaci Casauboni Vita, ejusdem Dedicationes, Præfationes, Prolegomena, Poemata, Frangmentum de Libertate Ecclesiastica. Item Merici Casauboni, I.F. Epistolæ, Dedicationes, Præfationes, Prolegomena, et Tractatus quidam rariores. Curante Theodoro Janson ab Almeloveen.

      [Toutes les Lettres d’Isaacus Casaubonus qu’on a pu trouver à ce jour, avec les réponses qui leur ont été faites, soigneusement classées par ordre chronologique. À cette troisième édition, outre trois cents lettres inédites, ont été ajoutées une Vie d’Isaacus Casaubonus, ses Dédicaces, Préfaces, Introductions et Poèmes, ainsi que son Fragment sur la Liberté de l’Église ; avec les Lettres de Mericus Casaubonus, {i} fils d’Isaacus, ses Dédicaces, Préfaces, Introductions et quelques Traités fort rares. Édition établie par Theodorus Janson ab Almeloven]. {ii}

      1. Méric-Florent-Étienne Casaubon, v. note [13], lettre latine 16.

      2. Rotterdam, Caspar Fritsch et Michael Böhm, 1709, 2 tomes in‑4o :

        • premier tome, en trois parties de 76 pages (Vita), 250 pages (textes divers d’I.C.), 216 pages (405 premières lettres d’I.C.), avec un joli portrait de Casaubon ;

        • second tome, en deux parties de 456 pages (705 dernières lettres d’I.C. et 50 qui lui ont été écrites) et 182 pages (textes de M.C.).

        Theodoor Jansson van Almeloveen (1657-1712), neveu de l’imprimeur Jan Jansson (v. note [15], lettre 150), a enseigné l’histoire, le grec et la médecine à Hardewijk.

    2. Volume 3, pages 230‑231.

    3. Isaac Casaubon 1559-1614 (Londres, Longmans, Green et Co, 1875, in‑8o de 543 pages), Parentage and education, 1559-1578, pages 3‑6).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 16.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8202&cln=16

(Consulté le 23/04/2024)

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