Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 2, note 17.
Note [17]

« il souffrait d’un tabès dorsal ». Ce diagnostic surprend sous la plume de Gabriel Naudé. Le tabes dorsalis (mot féminin en latin) qualifie un tabès (atrophie, phthisis en grec) {a} de la moelle épinière dorsale. La dénomination a servi à désigner deux maladies, l’une moderne et l’autre antique.

  1. Ce fut aux xixe et  xxes. une des manifestations les plus redoutées de la syphilis tertiaire, {b} provoquant des douleurs atroces, dites fulgurantes, {c} de la partie inférieure du corps et une perturbation profonde de la marche (ataxie), puis une paralysie suivie de mort.

    En 1853, Moritz Heinrich Romberg en a donné la première description clinique complète, sous le nom de Tabes dorsualis, {d} suivi en 1858-1859 par Guillaume Duchenne de Boulogne, sous le nom d’ataxie locomotrice progressive. {e} En 1862, Jean-Martin Charcot et Alfred Vulpian en ont localisé les lésions anatomiques. {f} La cause en a été établie par Alfred Fournier vingt ans plus tard : De l’Ataxie locomotrice d’origine syphilitique (tabès spécifique). Leçons cliniques professées à l’hôpital Saint-Louis. {g} La découverte de la pénicilline, au milieu du xxe s. a fait disparaître le tabès.


    1. V. note [9], lettre 93.

    2. V. note [9], lettre 122.

    3. Décharges atrocement douloureuses parfaitement décrites par Alphonse Daudet (1840-1897), qui était atteint d’un tabès syphilitique et en mourut, dans La Doulou (édition princeps en 1930).

    4. Lerbuch der Nervenkrankheiten des Menschen, Alexander Duncker, Berlin, 1846, pages 794‑801.

    5. De l’ataxie locomotrice progressive, recherches sur une maladie caractérisée spécialement par des troubles généraux de la coordination des mouvements, Archives générales de médecine, 1858, pages 641‑652 ; 1859, 36‑62 ; 1859, pages 158‑181 ; 1859, pages 417‑451.

    6. Note sur un cas d’atrophie des cordons postérieurs de la moelle épinière et des racines spinales postérieures (ataxie locomotrice progressive), Paris, Victor Masson et fils, 1862, in‑8o de 27 pages.

    7. Paris, G. Masson, 1882, in‑8o de 396 pages.

  2. Dans l’Antiquité (ve s. av. J.‑C.), Hippocrate avait donné le même nom à une maladie qu’il a décrite dans son livre ii, § 51, Des Maladies (Littré Hip, volume 7, page 79) : {a}

    « Phtisie dorsale : {b} la phtisie dorsale vient de la moelle ; elle attaque principalement les nouveaux mariés et les gens abandonnés aux plaisirs vénériens ; ils sont sans fièvre, ont bon appétit et maigrissent. Si vous les interrogez, ils répondent que des espèces de fourmis leur semblent descendre de la tête le long du rachis ; {c} après la miction ou la défécation, ils rendent du sperme en abondance et aqueux ; ils n’engendrent pas, ils ont des pollutions nocturnes, soit qu’ils couchent ou non avec une femme. En marchant, et surtout en montant une côte, ils sont pris de gêne dans la respiration et de faiblesse. {d} La tête est pesante ; les oreilles tintent. {e} Au bout d’un certain temps, des fièvres fortes survenant, le malade succombe par la fièvre lipyrie. » {f}


    1. Référence embarrassante que tant Charcot et Vulpian que Fournier omise, ou préféré ignorer. Il convient néanmoins de comparer leur tabès dorsal et celui d’Hippocrate.

    2. Φθισις νωτιας (phthisis nôtias), tabes dorsalis en latin.

    3. Phénomène anodin qu’il serait sans doute fort exagéré d’assimiler aux douleurs fulgurantes du tabès moderne

    4. Le mot ασθενεια signifie « manque de vigueur » (Bailly), sans allusion à une instabilité (ataxie, αταξια) de la marche, si particulière qu’elle n’aurait guère pu échapper à un observateur aussi soigneux qu’Hippocrate.

    5. Fournier (1882, page 160), sur le tabès sépcifique :

      « Des troubles de l’audition s’observent dans un certain nombre de cas. Généralement ils n’affectent qu’une oreille. Ils se présentent sous la forme de bourdonnements, de bruissements, de sifflements, de dureté de l’ouïe, voire de demi-surdité. »

    6. L’écoulement séminal et les pollutions nocturnes laissent perplexe : elles font penser à une gonorrhée (v. note [11] du Traité de la Conservation de santé, chapitre viii), mais ne s’observaient pas dans le tabès moderne, qui se compliquait très communément d’incontinence et de rétention des urines.

    7. Lipyrie : variété de fièvre intermittente (λιπυρια, lipuria), « ardente, maligne, accompagnée d’une chaleur interne considérable, ou d’une inflammation érésipélateuse aux viscères, et en même temps d’un grand froid aux parties internes » (Trévoux). La fièvre n’est pas un signe courant du tabès syphilitique, mais peut émailler ses complications infectieuses, liées à l’alitement prolongé.

      Une revue complète des autres textes hippocratiques sur le tabès dorsal antique est détaillée ci-dessous.


Sachant cela, il faut en premier se demander ce qu’entendait Naudé, qui était médecin, en parlant à Guy Patin de tabes dorsalis vers 1642. Les descriptions de cette maladie n’encombrent guère les ouvrages médicaux des xviexviie s. {a} Je me contenterai de la référence qui m’a paru avoir résumé toutes celles que j’ai lues sur le sujet, à savoir les Omnia Opera practica [Toutes les œuvres pratiques] de Jacques Houllier, dans l’édition publiée à Paris en 1664, {b} livre i de Morbis internis [sur les Maladies internes], chapitre xxviii, De Phthisi [La Phtisie], dans les Io. Hautini Scholia et Observationes [Commentaire et observations de Jean Haultin], {c} De Speciebus tabis seu Phthiseos [Formes du tabès ou phtisie] (pages 205‑206) : {d}

Phthiseos seu tabis tres species ante ex Hipp. lib. de inter. aff. commemoravimus. Prima quidem fit a ferina seri biliosi acris, aut pituitæ falsæ putrefactæ et mordicantis, in pulmonem a capite destillatione. Secunda fit a labore, id est rapido aliquo intempestivo et diutino exercitio (id enim significat laboris nomen apud Hipp.) unde fit ut sanguis confertim sursum ad pulmonem erumpat, atque illic vel copia vas aliquod pulmonis rumpat, vel acrimonia exedat. Utramque speciem et attigit in Coacis ; Tabes (ait) periculosissimæ sunt a ruptione crassarum venarum, et a defluxu de capite ; et duæ hæ species faciunt phthoen proprie dictam, id est ulcus pulmonis, unde tabes fere lethalis. Tertia species dicitur dorsalis lib. de morbis, fol. 166. pag. 1. occulta et inconspicua lib. de locis in homine, fol. 74. pag. 1 Spinea eodem lib. folio 76. pag. 2. huius causas duas licet notare apud Hip. variis locis. Prima est, fluxio in medullam seu spinam procedens, textibus citatis de locis in homine. Fluxionis vero speciem exprimit lib. de inter. affect. fol. 207. pag. 1. dum ait medullam ipsis a sanguine plenam fieri. Ergo vel sanguis crassior et lentus in spinam medullamque influens, ipsius vasa obstruit, atque adeo totam medullam et spinam iusto nutrimento prohibet, quo fit ut ipsa extenuetur supra modum, suo defraudata genio, unde ossium omnium totius corporis sequitur extenuatio, quia quale est caput et spina, talis est reliquorum ossium compages, Hipp. lib. 6. Epid. sect. 6. ad finem, illa enim continent, hæc vero continentur. Adde quod obstructis spinæ nervis facultas animalis cum calore et spiritu partes non illustrat, ex quo marcidæ contabescunt. Potest et id efficere fluxio humoris acris et tenuis, edaci dente paulatim ipsam medullam exedens. Utriusque eiusmodi causæ ipse per me laboriosius exquisiveram facilem interpretationem, postea comperi apud Hippocratem ipsum lib. de inter. affect. fol. 208. pag. 1. et 2. Resiccatur (ait) medulla spinalis, maxime cum venulæ ad medullam tendentes fuerint obturatæ, itemque ex cerebro accessus. Propter corporis autem afflictionem, hæc patitur et ægrotat. Resiccatur etiam a venere. Hæc Hip. quo loco signa tabis dorsalis plenius exequitur. Cur enim tabescat et emacietur spinalis medulla ipsumque etiam dorsum, causam duplicem notat : unam, venarum ipsius constrictionem, cuius interventu ipsa medulla, et alimenti commeatu, et cerebri commercio privatur : alteram, intempestivum et effrenem coitum, quo spinalis medulla præsertim et maxime ressicatur et marcessit ; quia semper trahentibus a proximis quibusque vasis spermaticis, consecutione ad id quod vacuatum est, tanquam in choro in spinali medulla cessat attractio. Secunda est causa, vasorum spermaticorum a nimio et intempestivo et effreni coitu imbecillitas et laxitas, qua spermatica omni materia exhausta, ipsis iam etiam invitis sanguis continenter effluit successione ad quid quod vacuatum est ; quoniam sperma nihil aliud quam sanguis denuo elaboratus, ut et lac. Quo fit ut universum corpus suo defraudetur commeatu : cuius rei causa dorsum ac spinalis medulla incommoda potissimum sentiunt ; quod illic sit attractionis finis, illic sistatur attractio ; nam vasa spermatica inanita non desinunt attrahere, quoad spinalem ipsam medullam perventum sit ; non secus quam suctionis sensus per famem naturalem, licet fiat in omnibus venis et hepate, sentitur tamen in orificio tantum ventriculi, quia ilic sistatur attractionis finis ac suctio ; unde illic functionis sensus potissimum. In eo autem advertere oportet doctrinæ Hippocraticæ constantiam, sibi consentanea scribentis. Nam semen putavit esse maxime cerebrale, id est a cerebri medulla ac spinæ, ac per spinam potissimum defluere, tum propter substantiæ similitudinem, et spirituum quibus turget semen, a cerebro defluvium ; tum quod capitis partes a coitu laborent, quod in oculis statim cernitur ac genis. Quod et sensit Plato. […] Hac tabe Satyrus Grypalopes interiit lib. 6. Epidem. sec. 7.

[Nous avons précédemment cité les trois formes de tabès ou phtisie qui se trouvent dans le livre d’Hippocrate sur les Affections internes : {e} la première vient du brutal écoulement, depuis la tête vers le poumon, d’une sérosité bilieuse âcre, ou d’une fausse pituite putréfiée et mordicante ; la deuxième, du travail, c’est-à-dire de quelque exercice physique immodéré et prolongé (qui est le sens de ce mot dans Hippocrate), ce qui engendre une remontée brutale et massive de sang dans le poumon, dont l’acrimonie ronge le poumon, ou l’abondance provoque la rupture d’un de ses vaisseaux. Il traite abondamment de ces deux espèces dans ses Coaques : « Les tabès (dit-il) sont extrêmement dangereux, parce qu’ils rompent de grosses veines et qu’il s’agit d’un écoulement provenant de la tête » ; et ces deux espèces représentent la phtisie proprement dite, c’est-à-dire l’ulcération du poumon, qui engendre un tabès très souvent mortel. {f} Dans le livre <ii> des Maladies, fol. 166 ro, {g} il donne à une troisième espèce le nom de tabes dorsalis, qu’il appelle « phtisie larvée et cachée » dans le livre des Lieux dans l’homme, fol. 74. ro, {h} et « phtisie spinale » au fol. 76 vo du même livre. {i} Divers passages d’Hippocrate permettent de lui attribuer deux causes. La première est une fluxion intéressant la moelle ou épine, dans les textes que j’ai cités des Lieux dans l’homme. Il exprime véritablement cette espèce de fluxion dans le livre des Affections internes, fol. 207 ro < et vo >, quand il écrit que ladite moelle s’emplit de sang. {j} Ce sang fort épais et lent se jetant dans la moelle, obstrue donc ses vaisseaux, et prive à tel point la moelle épinière de son juste nutriment qu’elle s’amincit excessivement et se trouve frustrée du génie qui lui est propre ; s’ensuit un amenuisement de tous les os et de l’ensemble du corps, parce que telles sont la tête et l’épine dorsale, telle est la charpente des autres os (Hippocrate, livre vi des Épidémies, à la fin de la section 6), {k} parce que celles-ci contiennent, mais ceux-là sont contenus. {l} En outre, quand les nerfs de l’épine sont obturés, la faculté animale n’enrichit plus les parties de sa chaleur et de son esprit, ce qui les flétrit et les fait dépérir. L’écoulement d’une humeur âcre et subtile peut aussi causer cela en dévorant petit à petit, d’une dent rongeuse, la moelle elle-même. J’ai fort peiné, pour ma part, à chercher une explication à ces deux causes ; je l’ai plus tard trouvée dans ledit Hippocrate, au livre des Affections internes, fol. 208 ro et vo : « La moelle spinale (dit-il) se dessèche, principalement parce que les veinules qui se dirigent vers la moelle ont été obstruées, tout comme l’influx venant du cerveau. Elle souffre donc et tombe malade en raison de l’affliction du corps. L’activité vénérienne l’assèche aussi. » Au même endroit, Hippocrate complète entièrement les signes du tabès dorsal. {m} Il remarque deux causes au fait que la moelle spinale dépérit et s’amaigrit, tout comme fait le dos. La première est que d’une part, la constriction de ses veines prive la moelle de ses apports alimentaires et de ses échanges avec le cerveau ; et que d’autre part, le coït immodéré et effréné dessèche et flétrit particulièrement et principalement la moelle épinière, étant donné qu’il aspire tout le contenu des proches vaisseaux spermatiques vers ce qui est vide et, comme dans une ronde, la moelle épinière cesse de l’attirer. La seconde cause est la faiblesse et le relâchement des conduits spermatiques que provoque une copulation fort immodérée et effrénée : après que toute la matière spermatique a été épuisée, le sang continue à s’écouler, même involontairement, vers ces mêmes vaisseaux, du simple fait qu’il est attiré par le vide, et que le sperme n’est rien d’autre que du sang transformé, à l’instar du lait. Son approvisionnement se fait donc aux dépens du corps tout entier, et le dos et la moelle épinière en pâtissent tout particulièrement parce que là où réside l’attraction, là siège sa frontière : les conduits spermatiques une fois vidés ne cessent pas d’attirer à eux jusqu’au sang qui serait autrement parvenu dans la moelle épinière. Il n’en va pas autrement pour l’instinct de succion induit par la faim naturelle : bien qu’il provienne de toutes les veines et du foie, il n’est ressenti qu’à l’embouchure de l’estomac, car c’est là que résident la frontière de l’attraction et la succion, là qu’est principalement l’instinct de la fonction. Qui veille à la cohérence de ce qu’il écrit doit prêter attention à la cohérence de la doctrine hippocratique : il a pensé que la semence est éminemment cérébrale, c’est-à-dire qu’elle provient du bulbe cérébral et de la moelle épinière, et qu’elle s’écoule principalement par ladite moelle ; et ce à la fois en raison de la similitude de la substance et des esprits, contenus dans l’efflux cérébral dont s’enfle la semence, et en raison de la souffrance que le coït inflige aux parties de la tête, laquelle se perçoit aussitôt dans les yeux et les joues, comme l’a aussi pensé Platon. {n} (…) Satyrus Grupalôpêx succomba à ce tabès (livre vi des Épidémies, section 7)]. {o}

Sur cette dernière citation, Louis Duret a ajouté ce commentaire : {p}

Tertia quædam est phthiseos species apud Hippocratem ad finem sect. 8. lib. 6. Epid. in histor. de Satyro qui Grypalopex dicebatur, et lib. 2. de morbis. Quæ tabes νοτιας, {q} i. tabes dorsalis appelatur, et neogamis accidit, i. qui nuper uxorem duxerunt, et iis qui Venere abuti solent non uti, et venerem immoderate exercent. Lib. 1. de semine Galenus dicit exhauriri sperma ex testiculis deinde proiici ab ipsis testibus materiam spermaticam non præparatam quæ purus est sanguis. Sperma colliquamentum non est, sed benignum excrementum tertiæ coctionnis. Corpus autem laborans ab exhausto materiæ spermaticæ macrescit, defrudantur enim partes solidæ proprio alimento. Et hæc est pthisis notias. In satyro supra commemorato eam observavit Hippocrates. Ille anno ætatis 25. semen effundebat meiendo et dormiendo : tandem 30. ætatis anno factus est tabidus et interiit.

[Il y a dans Hippocrate une troisième sorte de phtisie, dans le livre vi des Épidémies, à la fin de la section 8, sur le satyre qui s’appelait Grypapôplêx, {o} et au livre ii des Maladies. {n} Ce tabès est appelé dorsal et survient chez les « néogames », {r} c’est-à-dire ceux qui viennent de prendre épouse, et chez ceux qui n’usent pas, mais abusent des rapports vénériens, et s’adonnent immodérément à la copulation. Au livre i sur la Semence, Galien dit que, une fois vidés de leur sperme, les testicules n’éjaculent plus qu’une matière séminale non élaborée, qui est du sang pur. {s} Le sperme n’est pas un colliquamentum, {t} mais un bienfaisant excrément de la troisième coction. Un corps dépérit toutefois quand il souffre d’un épuisement de la matière spermatique, car les parties solides sont privées de leur aliment propre. Tel est le tabès dorsal. Hippocrate l’a observé chez le satyre précédemment décrit : à l’âge de 25 ans, il répandait du sperme en dormant et en pissant ; à 30 ans, il devint tabide et mourut]. {u}


  1. Je n’ai rien trouvé sur le tabes dorsalis dans Celse (vers le ier s. de l’ère chrétienne), Galien (iie s., v. infra notules {o‑ iv} et {s}) ou Jean Fernel (xvie s.).

  2. À laquelle Patin a grandement contribué, v. note [14], lettre 738.

  3. Jean Haultin, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris mort en 1615 (v. note [19], lettre 181).

  4. Cette impressionnante exégèse hippocratique n’a été imprimée qu’en 1664 : elle ne figure ni dans la première édition des Hollerii opera omnia par René Chartier (Genève, 1623, v. note [9], lettre 131), ni dans les parutions séparées des deux livres de Houllier sur les maladies internes (Paris, 1572, v. note [10], lettre 11, et ibid. 1611),

  5. Haultin tirait toutes ses citations des œuvres complètes d’Hippocrate traduites en latin par Janus Cornarius (v. note [2], lettre 794), dans l’édition publiée à Lyon, Ant. Vincentius, 1555, in‑8o de 1 078 pages.

    Celle-ci vient des Affections internes, pages 206 vo‑207 vo ; Littré Hip, volume 7, § 10‑13, pages 189‑201. Les § 12‑13 portent sur le tabès dorsal ou « troisième phtisie ».

  6. Prénotions coaques, Lyon, 1555, page 436 vo ; Littré Hip, volume 5, § 430, chapitre xxi, page 681. Ces deux premiers tabès correspondent à ce qui est devenu la tuberculose pulmonaire, que les médecins (phtisiologues) ont appelée phtisie et surnommée « phi » (φ) jusqu’au siècle dernier.

  7. Lyon, 1555, loc. cit. : passage du livre ii des Maladies qui est cité dans le § 2 supra de la présente note.

  8. Lyon, 1555, loc. cit. : Quum vero in medullam fluxio contigerit, tabes occulta ac inconspicua oboritur [Quand la fluxion se produit dans la moelle, il survient un tabès larvé et caché] ; « phtisie cachée » dans Littré Hip, volume 6, § 10, page 295.

  9. Lyon, 1555, loc. cit. :

    Tabes spinea – Porro quum retro in spinam fluxio processerit, huic tabes fit ejusmodi. Lumbos dolet,, et anteriores capitis partes vacuæ videntur ipsi esse.

    Littré Hip, ibid. § 15, page 309 :

    « Tabès spinal – Quand le flux se porte en arrière sur le rachis, il se produit cette sorte de phtisie. Les lombes sont douloureuses et il semble au patient que le devant de la tête est vide. »

  10. Lyon, 1555, loc. cit. :

    Tabes tertia – Ab hac hæc patitur. Medulla ipsius spinalis sanguine plena fit. Tabescit autem similiter et a cavis venis. Hæ vero pituita hydropiformi, et bile replentur. Patitur autem eadem, ab utris tandem tabescat. Et homo statim niger fit ac subtimidus. Et partes sub oculis pallidæ fiunt. Et venæ in corpore pallidæ distentæ sunt, quædam valde rubicundæ…

    Littré Hip, volume 7, § 12, pages 193‑195 :

    « Troisième phtisie – En voici les accidents : la moelle dorsale devient pleine de sang et de bile. La consomption vient aussi des veines creuses, qui se remplissent d’un phlegme aqueux et de bile. Au reste les accidents sont les mêmes quel que soit le point de départ de la consomption. Tout d’abord le patient devient noir et un peu gonflé ; le dessous des yeux jaunit ; les veines du corps s’étendent avec une teinte jaune, quelques-unes même sont très rouges… »

    L’ictère (jaunisse) décrit par Hippocrate n’est pas un signe classique du tabès spécifique, mais la syphilis hépatique peut en provoquer un.

  11. Lyon, 1555, page 359 vo :

    Ossium naturam ex capite colligere oportet, deinde nervorum et venarum, et carnium, et aliorum humorum, et supernorum ac infernorum ventriculorum, et mentis, et morum, et eorum quæ per annum fiunt…

    Littré Hip, volume 5, § 14, page 331 :

    « [Apprécier] la nature des os d’après la tête, puis celle des parties fibreuses, des veines, des chairs, des humeurs, des ventres supérieur et inférieur, de l’intelligence, du moral, de ce qui arrive dans l’année… »

  12. Cette sentence sur l’interdépendance des parties corporelles n’est pas dans Hippocrate, je l’ai trouvée dans la traduction latine de L’Institution théologique de Proclus, {i} § lxvi, page lxxiii : {ii}

    Omnia entia sunt inter se tota, vel partes, vel eadem, vel diversa. Vel enim continent altera, reliqua vero continentur ab ipsis ; vel neque continent neque continentur. Et vel idem ipsis accidit atque iis quæ participant Unum, vel alia ab aliis discreta sunt.

    [Tous les êtres s’assemblent en un tout ou en parties, étant soit les mêmes, soit divers. Ou bien les uns en contiennent eux-mêmes d’autres qui sont contenus, ou bien ils ne contiennent ni ne sont contenus. Pareillement, il leur est échu soit d’être parties d’une Unité, soit d’être distincts les uns des autres].

    1. Proclus de Lycie ou de Byzance, philosophe néoplatonicen grec du ve s.

    2. Édition de Fr. Dübner, Paris, Ambroise Firmin Didot, 1855.
  13. Lyon, 1555, loc. cit. :

    Medulla spina cur arescat – Ressicatur medulla spinalis maxime, quum venulæ ad medullam tendentes fuerint obsturatæ, itemque ex cerebro accessus. Propter corporis autem afflictionem hæc patitur, et ægrotat. Resiccatur etiam a venere. Hæc igitur patitur. Dolor acutus incidit ipsi in caput, et in collum, et in lumbos, et in lumborum musculos, et in articulos crurum, ut aliquando flectere non possit. Et stercus non secedit, sed sistitur. Et urinæ difficultate vexatur. Hic in principio quidem morbi quietius degit. Quanto autem magis tempus morbo prologatur, tanto magis omnia dolet.

    Littré Hip, volume 7, § 13, page 201 :

    « [Pourquoi la moelle épinière se dessèche] – La moelle rachidienne se dessèche surtout quand les veines qui se rendent à la moelle et la voie qui mène hors de l’encéphale sont obstruées. C’est par la détérioration du corps que surviennent les accidents, et cette maladie ; les excès vénériens en sont surtout la cause. Voici les accidents : une douleur aiguë se fait sentir à la tête, au cou, aux lombes, aux muscles des lombes et aux articulations des membres inférieurs, au point que parfois le malade ne peut les fléchir. Les selles ne procèdent pas ; il y a constipation et dysurie. Le malade, au début, supporte assez paisiblement son mal ; mais plus le temps s’écoule, plus toutes les souffrances augmentent. »

    Le tabès hippocratique s’accompagne ici de vives douleurs axiales et des membres inférieurs, qui ne sont plus de simples fourmillements et s’accentuent peu à peu, accompagnées de troubles sphinctériens.

  14. Bizarre assertion dont j’ai vainement cherché la confirmation dans Platon, notamment dans Le Banquet, où il a beaucoup parlé des relations sexuelles.

    Suit la description du tabes dorsalis par Hippocrate dans le livre ii des Maladies, donnée au début de la présente note. Elle est fidèlement transcrite de bout en bout. À propos des « espèces de fourmis qui semblent [aux malades] descendre de la tête le long du rachis », Haultin ajoute seulement cette parenthèse : credo a spiritibus una cum spermatica aut catarrhosa materia sensim illabentibus [du fait, je crois, des esprits qui s’écoulent lentement en même temps que la matière spermatique ou catarrheuse].

    Ces fourmillements de l’épine dorsale pouvaient n’être que les symptômes d’une souffrance non spécifique de la moelle épinière, comme on la rencontre dans le myélites (inflammations de la moelle), telle que la sclérose en plaques. La notule {m} supra les transforme néanmoins en douleurs bien plus intenses.

  15. Lyon, 1555, loc. cit. :

    Satyrus pollutione mortuus est – Satyrus in Thaso cognomento Grypalopex vocabur, hic quum annorum vigintiquinque esset, sæpe per somnum semen effudit : et interdiu quoque fréquenter ipsi prodibat. Quum autem ad annum trigesimum pervenisset, tabidus fiebat, et mortuus est.

    Littré Hip, volume 5, § 29, page 355 :

    « (Pertes séminales.) {i} Satyre, à Thasos, {ii} avait le surnom de Grupalôpêx ; {iii} vers l’âge de vingt-cinq ans il eut de fréquentes pollutions nocturnes ; souvent aussi il éprouvait des pertes même pendant le jour ; vers trente ans il tomba en consomption et mourut. »; {vi}

    1. « Satyre est mort de pollution », dans la traduction latine de 1555.

    2. Île de la mer Égée.

    3. Ce surnom de γρυπαλωπηξ (grupalôpêx) est l’union de γρυπος (grupos), « crochu », et αλωπηξ alôpêx, « renard ».

    4. Les commentaires de Galien sur le livre vi des Épidémies d’Hippocrate ne font pas allusion à ce passage.
  16. Ce texte ne figure par dans les Opera de Houllier publiées à Paris en 1664 (v. supra 3e notule {b}), mais dans celles de 1611 (v. supra 3e notule {d}), pages 214‑215 de la Dureti in suam Enarrationem Annotatio [Annotation de Duret sur son propre commentaire] ; v. note [10], lettre 11, pour Louis Duret, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris mort en 1586.

  17. Sic pour νωτιας.

  18. Hellénisme (νεογαμος, « nouveau marié ») de pure parade.

  19. Ce propos me semble être une libre interprétation de ce qui est dit dans ce traité, où Galien compare le sperme au sang, et affirme qu’il en dérive directement (Kühn, volume 4, pages 529‑530). L’essentiel est que dans aucun de ses livres Galien n’a parlé du tabès dorsal et qu’il n’a pas commenté les livres d’Hippocrate sur les Maladies, où il est principalement décrit.

  20. Germe embryonnaire : « fluide extrêmement transparent que l’on observe dans l’œuf deux ou trois jours après l’incubation, et qui contient les premiers éléments du poulet. Il est enfermé dans ses propres membranes et séparé du blanc. Harvey l’appelle aussi oculus » (Dictionnaire universel de médecine de James Robert, 1747).

  21. Le Traité de la Maladie vénérienne, de ses causes et des accidents provenant du mercure, ou vif-argent. Dédié aux curieux. Par le sieur de la Martinière, médecin chimique, et opérateur du roi et de plusieurs princes, {i} sous-titré Traité de la Vérole, est nettement plus surprenant car son chapitre xi (pages 57‑64) est intitulé De la Maladie des nouveaux mariés, appelée Tabes Dorsalis. Il n’a pourtant de vaguement mémorable que son premier paragraphe :

    « Les nouveaux mariés qui n’ont jamais eu habitation avec femme, s’échauffant par trop de prime abord à l’accouplement charnel par le coït trop âpre, la moelle de l’épine du dos se sèche, causée de ce que les petites veines qui vont à icelle sont bouchées, comme aussi le passage d’où descend la matière du cerveau, qui fait que celui qui en est attaqué a une altération {ii} continuelle, avec une très grande débilité, et le pouls plus ému que de coutume ; et même quelquefois en a la fièvre. C’est pourquoi ignoramment l’on saigne tels malades contre la nécessité de la maladie, laquelle ne demande que des confortatifs. » {iv}

    1. Paris, chez l’auteur, 1664, in‑8o de 167 pages, par Pierre-Martin de la Martinière (Rouen 1636-Paris vers 1690), médecin et chirurgien qui mena une vie d’aventures et de grand voyages.

    2. Soif.

    3. Suivent trois observations de malades, dont deux guérirent sans encombre, mais le troisième mourut (pour avoir, selon la Martinière, été trop abondamment saigné et purgé).

Je ne puis omettre ce qu’Avicenne a écrit, {a} après Rhazès, {b} sur le tabes dorsalis {c} dans le Canon, livre iii, Fen 20, traité i, pages 372 vo‑373 ro {d} du chapitre 11, De nocumento coitus, et dispositionibus eius, et malitia figurarum [Nuisance du coït, ses manifestations, ses postures malfaisantes]. La description du malade atteint y est très proche de celle d’Hippocrate :

Et videtur ei, quod fit incessus formicarum in membris suis incipiens a capite suo usque ad finem dorsi. Et accidit ei tinnitus. Et multoties accidunt ei fere acutæ adurentes cum quibus moriuntur. Et quandoque adveniunt ei tremor, et debilitas nervorum, et vigilæ et prominentia oculorum ad exteriora etiam, sicut accidit in separatione animæ a copore : et accidit ei calvitium et ægritudines frigidæ, et dolor dorsi, et renum et vesicæ. Dorsum vero ignescit prius, quare attrahit materiam ad ipsum, et restringitur eorum natura. Et quandoque facit incurrere colicam : et facit accidere eis fœtorem, et fœtet eorum os, et carnes gingivarum.

[Il lui semble aussi que des fourmis lui marchent dans le corps, depuis la tête jusqu’au bas du dos ; ses oreilles tintent ; il éprouve souvent des brûlures très vives qui l’accompagnent jusqu’à la mort. Parfois surviennent un tremblement, une faiblesse des tendons, des insomnies, ainsi qu’une saillie des yeux hors de la tête, comme il arrive au moment où l’âme se sépare du corps. Il est affligé de calvitie, d’indispositions froides, et de douleur du dos, des reins et de la vessie. Le dos s’enflamme pourtant le premier, parce qu’il attire à lui la matière morbifique, dont la nature le resserre. {e} Parfois elle leur fait endurer la colique et les rend malodorants, avec une bouche et des gencives puantes].


  1. Au xie s. de notre ère, v. note [7], lettre 6.

  2. Un siècle avant Avicenne : v. note [24], lettre 101.

  3. Mais sans le nommer ainsi ni faire référence à Hippocrate.

  4. Édition latine de Venise, 1555, v. note [11], lettre 11. Vopiscus Fortunatus Plempius n’a pas édité le livre iii du Canon (v. note [39], lettre 369).

  5. Rien de tout cela n’est incompatible avec la syphilis et son tabès.

Cette copieuse mise en contexte était indispensable avant d’en venir au tabes dorsalis qui, selon Naudé, avait provoqué la mort de Giulio Cesare Lagalla, à Rome en 1624. {a} Deux relations autorisent à en savoir plus.

  • Pinacotheca [Galerie de portraits] de Janus Nicius Erythræus, {b} page 223 :

    Urinæ reddendæ difficultate laboravit ; quam dum manu emolitur, fistula cerea, in iter urinæ demissa, comminuta est, quam ipse sibi ferreis uncis, ejus causa factis, ea vi ac festinatione extravit, ut postea humoris semper aliquid ad pudenda defluxerit, quod tumorem inflationemque ibidem excitaret ; ad quem humorem alio derivandum, ubi noceret minus, opus fuit cauterio, bifariam adaperto, quod chirurgis inspectantibus admirandibusque, ipsemet sibi inflixit.

    [Comme il souffrait d’une difficulté à uriner, il voulut un jour se soulager manuellement en s’introduisant une bougie dans l’urètre, {c} mais elle s’y brisa ; il s’efforça de l’extraire lui-même, à l’aide de crochets en fer qu’il fit fabriquer pour l’occasion en toute hâte. Depuis lors, de l’humeur ne cessa plus de s’écouler vers ses parties honteuses, provoquant leur enflure et tuméfaction permanentes ; pour la dévier vers un autre endroit où elle serait moins importune, il utilisa un cautère ouvert à ses deux extrémités, qu’il s’appliqua lui-même et qui faisait l’admiration des chirurgiens quand il le leur montrait]. {d}

  • Vita [Vie] de Lagalla par Leo Allatius, {e} page 16 :

    Obnoxius fuit difficillimis morbis a capite, hepate, renibus, et vesica, antequam tricesium suæ ætatis annum egrederetur : molestissima tamen accedit salsa et acris distillatio, a capite, per occipitium, et spinam, ad renes, vesicam, et os sacrum descendens ; ex qua excitatum ulcus acerissimum quo in summa patientia, multis annis exagitatus, tandem maximis doloribus stranguriæ, et dysuriæ inchoatis, mox in alios atque alios morbos prolapsus est.

    [Avant d’avoir passé sa trentième année d’âge, il a souffert de très pénibles maladies touchant la tête, le foie, les reins et la vessie. C’est alors en effet que survint un catarrhe fort désagréable, âcre et salé, qui descendait de la tête, en passant par la nuque et l’épine dorsale, jusqu’aux lombes, à la vessie et au sacrum, où se creusa une escarre térébrante, qui lui provoqua une extrême souffrance durant de longues années. Enfin, commencèrent d’intenses douleurs de strangurie et de dysurie, qui bientôt ne cessèrent plus de le précipiter dans une interminable succession de maux]. {f}


    1. V. infra notule {d}, note [18] pour la grande assiduité sexuelle de Lagalla auprès des femmes.

    2. Giovanni Vittorio Rossi : Cologne, 1643, v. notule {b}, note [22] du Naudæana 1.

    3. V. note [6], lettre 527.

    4. Étant médecin, La Galla cédait à la tentation de se soigner tout seul. Sa gêne urinaire (ischurie, v. note [9], lettre 782) était due soit au tabès dorsal entravant la vidange de sa vessie, soit à une obstruction urétrale par une « carnosité » (v. note [13], lettre 539), séquelle d’une blennorragie invétérée (chaude-pisse, v. note [14], lettre 514) ou effet d’une hypertrophie de la prostate (maladie non caractérisée au xviie s.). Le téméraire sondage qu’il avait entrepris pour se soulager avait aggravé les choses en blessant le bas appareil urinaire. Il en avait résulté une fuite d’urines permanente, au dehors et dans les parties molles du pelvis. Le cautère (v. note [3], lettre 375) qu’il conçut, puis s’introduisit lui-même à chaud, devait être un tube métallique creux établissant une communication à demeure entre la vessie et l’extérieur, et permettant un drainage contrôlé des urines et du pus.

    5. Paris, 1644, v. note [6], lettre latine 195.

    6. Rien de tout cela n’est franchement incompatible avec un authentique tabès dorsal syphilitique, mais il est sémantiquement surprenant que Naudé ait porté un tel diagnostic plus de deux siècles avant la description solide de cette maladie et de sa cause.

      Sans parler de « tabès dorsal », Ambroise Paré a clairement lié à la syphilis la phtisie et les symptômes dont souffrait Lagalla : {i}

      « Et à d’aucuns, par un reliquat d’une chaude-pisse, se procrée<nt> des carnosités en la verge, < ce > qui fait que jamais ne peuvent pisser que par le bénéfice d’une sonde, et souvent meurent par une suppression d’urine, ou d’une gangrène {ii} de la verge. Autres demeurent impotents des bras ou jambes, cheminant tout le cours de leur vie à potences. {iii} Autres demeurent en une contraction de tous leurs membres, de manière qu’il ne leur reste que la parole, qui est le plus souvent en criant et lamentant, maudissant l’heure qu’ils ont été engendrés. Autres demeurent asthmatiques et hectiques, avec une fièvre lente, et meurent tabides et desséchés. »

      1. Œuvres d’Ambroise Paré (Paris, 1628, v. note [15], lettre 7), Dix-neuvième livre traitant de la grosse vérole, dite maladie vénérienne, et des accidents qui adviennent en icelle, chapitre premier, Description de la vérole, pages 688‑689.

      2. Infectieuse.

      3. Avec des béquilles.

Le tabès dorsal hippocratique reste pour moi une énigme, qui mène à deux hypothèses principales, entre lesquelles je ne sais trancher. {a}

  • Soit la maladie antique n’avait rien à voir avec la syphilis, puisqu’elle est réputée n’avoir pas existé en Europe avant la fin du xve s. {b} Là-dessus, Sir David Ferrier {c} a été catégorique à la page 2 de sa Lumleian lectures de 1906 : {d}

    Tabes dorsalis, in the modern acceptation of the term […], is a very diffrent thing from the tabes dosalis or dorsualis – φθισις νωτιας – of the Hippocratic writers. This was essentially a condition of neurasthenia associated with spermatorrhœa, and attributed to sexual vice or excess. It was supposed to be due to wasting of the spinal chord, but on what evidence this was based there is nothing to show.

    [Le tabes dorsalis, dans l’acception moderne du terme (…), est une entité très différente du tabes dorsalis ou dorsualis {e} – φθισις νωτιας – des auteurs hippocratiques. Il s’agissait essentiellement d’un état de neurasthénie associée à une spermatorrhée, {f} et attribuée à la perversion ou à l’excès des pratiques sexuelles. {g} On le supposait dû à une atrophie de moelle épinière, mais sans la moindre preuve qui l’établisse].


    1. La question est néanmoins cruciale pour l’histoire de la médecine, ce qui lui a valu la plus longue de mes notes.

    2. V. note [20], lettre 211.

    3. Éminent neurologue britannique (Aberdeen 1843-Londres 1928).

    4. On Tabes Dorsalis. The Lumeian Lectures delivered before the Royal College of Physicians, London, March, 1906… [Sur le Tabès dorsal. Lumleian Lectures prononcées devant le Collège royal des médecins à Londres, en mars 1906…] (Londres, John Bale, Sons et Danielsson, 1906, in‑8o de 122 pages) ; les Lumleian Lectures annuelles du Royal College ont été créées en 1582 par John Lumley (aristocrate érudit mort en 1609).

    5. En pur latin classique.

    6. V. note [11] du Traité de la Conservation de santé, chapitre viii.

    7. La masturbation en tout premier lieu.

  • Avec ses trois tomes en six volumes (totalisant 1 785 pages) Des pertes séminales involontaires (Béchet Jeune, Paris, 1836-1842), François Lallemand, professeur de médecine à Montpellier, a tiré l’incroyable bouquet final de la « spermatorhhée », balayée de la nosologie par le tabès syphilitique ; mais a-t-il du même coup définitivement enterré la phtisie dorsale hippocratique ? Aucune maladie caractérisée n’ayant pris son relais on est enclin à croire qu’il s’agissait d’une lubie antique, principalement utilisée à des fins morales, visant à mettre les gens en garde contre les abus vénériens. L’ayant jugée telle, Celse, Galien ou Fernel ont pu préférer la passer sous silence plutôt qu’en faire grief à Hippocrate, dont les dogmes étaient encore tenus pour infaillibles au xviie s., exception faite des sulfureux empiriques paracelsistes.

    Il y aurait donc eu une malencontreuse homonymie entre le tabès antique, qui était une cachexie due à une atteinte supposée de la moelle dorsale, et le tabès moderne qui a été une atrophie avérée de ses cordons postérieurs.

  • Soit il faut oser se demander si, à l’encontre des idées qui dominent à présent, le « troisième tabès » hippocratique n’a pas bel et bien été syphilitique : son lien avec une activité sexuelle débridée, ses fourmis et ses douleurs intenses de la partie inférieure du corps, son évolution mortelle, etc. ; même quand les écoulements spermatiques, mis au premier plan par Hippocrate (mais qui pouvaient être une gonorrhée purulente de blennorragie vénérienne associée), ne font pas partie des magistrales descriptions du « tabès spécifique » au xixe s., et quand je parviens mal à me persuader que l’ataxie, son signe le plus caractéristique et le plus patent, ait pu échapper aux observateurs de l’Antiquité grecque, du Moyen Âge arabe et de la Renaissance française, sauf à la deviner entre les lignes de leurs écrits. Il ne me parait pas absolument inconcevable que les équipages de Christophe Colomb aient contaminé les Indiens, plutôt que l’inverse.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 2, note 17.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8193&cln=17

(Consulté le 20/04/2024)

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