À Charles Spon, le 8 janvier 1650, note 18.
Note [18]

Juan de Pineda, jésuite (Séville 1557-ibid. 1637) professa la philosophie et la théologie dans divers collèges, puis devint consulteur général de l’Inquisition et fut chargé par le grand inquisiteur Zapata de visiter les bibliothèques d’Espagne pour en faire disparaître les ouvrages que l’Église tenait pour dangereux. Pineda était très versé dans la connaissance des langues orientales (G.D.U. xixe s.). Guy Patin se référait ici à ses :

Commentariorum in Iob [libri xiii]. Adiuncta est singulis Capitibus sua Paraphrasi, quæ et longioris Commentarii summam continet.

[(Treize livres de) Commentaires sur Job. Leur paraphrase est ajoutée à chacun des chapitres, et elle contient aussi la partie essentielle d’un commentaire plus long]. {a}


  1. Paris, Mathurin du Puis, 1631, in‑fo de 782 pages ; Madrid, 1597-1601, pour la 1re édition.

Pineda examine précisément le verset 19:20 de Job (page 57) :

Pelli meæ consumptis carnibus adhæsit os meum, et derelicta sunt labia tantummodo circa dentes meos ;

[Sous ma peau, mes os s’attachent à des chairs pourries, et seules restent mes lèvres autour de mes dents] (traduction littérale, non œcuménique) ;

avec ce commentaire (haut de la seconde colonne),

Diximus aliquando cum de morbis Iob ageremus, atque de Elepantiasi, eo morbo reliqua carne absumpta, labia intumescere ; proptereaque Iob aliis artubus tabescentibus, sola sibi labia tumentia, et excrescentia, pro aliorum partium carne absumpta, derelicta deplorare.

[Nous avons déjà dit, en discutant sur les maladies de Job et sur l’éléphantiasis, {a} que les lèvres enflent quand cette maladie a entièrement épuisé le reste des chairs ; c’est pourquoi, tandis que ses autres membres sont en déliquescence, Job déplore que seules lui restent ses lèvres gonflées et saillantes, pour avoir consumé la chair des autres parties].

Sur les versets 2:7‑8, {b} Pineda a en outre fait un long commentaire (pages 93‑104) intitulé Morborum quibus Iob laboravit, enumeratio et consideratio [Énumération et examen des maladies dont a souffert Job], divisé en 13 sections. La section  v, page 97 est intitulée Lues venerea. Arthritis, seu articularis dolor [Maladie vénérienne. {c} Arthrite, {d} ou douleur articulaire], et résumée en cinq points :

  1. Iobum laborasse morbo Gallico qurundam sententia et coniectura [Certains jugent et conjecturent que Job était atteint du mal français] ; {c}

  2. Iobum non potuisse affici eo malo, aliorum sententia [D’autres jugent que Job ne pouvait être affecté de ce mal] ;

  3. Difficultatis solutio statuitur [La résolution de la difficulté est présentée] ;

  4. Quo tempore in Hispania cœperit morbus Gallicus, huius cum Elephantiasi cognatio [À quelle époque le mal français a commencé de sévir en Espagne, son lien avec l’éléphantiasis] ; {e}

  5. Podagra, Chiragra, Ischiade, et totius corporis arti<cu>lari morbo doluisse [Il souffrait de goutte du pied, de la main, de la hanche, et de la maladie artclaire de tout le corps].

    Pineda expose son avis théologique sur la syphilis de Job dans le point 4 :

    Ego de Iobo affirmare audeo, potuisse hoc morbo laborare, nam Dæmonis arte, qui humani corporis temperiem, et humorum vim penitus cognoscebat, potuit ad eiusmodi intemperiem adduci, ut in malignam illius morbi naturam humores degenerarent, præsertim cum nunquam non alicubi gentium eum morbum semper pervagatum fuisse, mihi pro certo habeatur : vel ex ipsa medicorum ratione, statuentium a contagio fieri, nam vel abeundum in infinitum, ita ut nunquam incœpisse deprehendatur : vel sine contagio fieri potest, disturbatis humoribus et ad insignem intemperiem adductis. Quod si ea, quæ huius morbi apud nostrates origo traditur, vera est, rem quoque confirmare potest, aiunt enim viri docti Hutten et Manardus cæpisse in Valentia Hispaniæ Tarraconensis, quo tempore Carolus Francorum Rex expeditionem Italicam parabat : cum elephantiosus quidam nobilis miles ad nobile scortum accederet : quicunque igitur deinde ad mulierem ingressi sunt, eo malo infectos fuisse, elephantiasi in illud degenerante. Igitur Iobi elephantiasis non longe ab ista lue abfuit, neque Dæmonis sævitia ab illa procuranda.

    [J’ose affirmer que Job a pu souffrir de cette maladie car, par la ruse du démon, qui connaissait parfaitement le tempérament du corps humain et la puissance des humeurs, il a pu être affecté par cette intempérie. Je tiens pour certain que les humeurs se sont altérées pour engendrer la nature maligne de cet mal, surtout parce que de tout temps elle ne s’était jamais divulgée dans aucune de nos nations. Et cela tient : soit au raisonnement des médecins qui ont établi qu’elle se fait par contagion, mais elle était si infiniment éloignée de Job qu’il est impensable qu’elle l’eût saisi ; soit sans contagion, par un dérangement des humeurs qui a provoqué leur remarquable déséquilibre. Cela se peut confirmer si ce qu’on raconte ici et maintenant sur l’origine decette maladie est vrai : les doctes personnages Hutten et Manardi {f} disent qu’elle a commencé à Valence, en Espagne tarraconaise, à l’époque ou le roi Charles de France préparait son expédition italienne ; {g} un gentilhomme éléphantiasique de son armée avait fréquenté une noble coutisane et tous ceux qui ont ensuite eu des rapports avec cette femme, ont été infectés par ce mal qui dégénère en éléphantiasis. Celui de Job n’a donc pas été fort éloigné de cette contagion, mais la cruauté du démon n’a pas été té étrangère à sa transmission].


    1. Au début de sa lettre à André Falconet du 18 septembre 1665 (v. sa note [1]), Patin a écrit que, selon lui, Pineda disait Job atteint par la vérole, tout comme Jacques Bolduc avait fait avant lui.

    2. « Et Satan se retira de devant la face de Yahweh. Et il frappa Job d’une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête. Et Job prit un tesson pour gratter ses plaies et il s’assit sur la cendre. »

    3. Syphilis (vérole).

    4. Goutte (v. note [30], lettre 99), sans distinction nette entre la maladie qui porte aujourd’hui ce nom et les autres arthrites (dont celles qu’on sait liées aux maladies vénériennes).

    5. Ce qui correspond probablement plus à la lèpre qu’à la vérole (v. note [28], lettre 402).

    6. V. notes [14], lettre 532, pour Ulric Hutten et son livre sur le mal français (Mayence, 1519), et [2], lettre 533, pour Giovanni Manardi, qui a parlé de la vérole dans ses Epistolæ medicinales [Épîtres médicales] (Ferrare, 1521).

    7. Charles viii, v. infra note [20].

La théologie du R.P. Pineda voulait résoudre habilement le paradoxe : la syphilis (éléphantiasis) avait frappé Job longtemps avant la naissance du Christ, mais il la devait à la malignité du démon, et non pas à la contagion qui n’aurait commencé à s’établir qu’au xvie s. de notre ère (dans le vieux continent). Voltaire a ironisé là-dessus (Dictionnaire philosophique, entrée Lèpre et vérole) :

« Le R.P. dom Calmet, {a} grand antiquaire, c’est-à-dire grand compilateur de ce qu’on a dit autrefois et de ce qu’on a répété de nos jours, a confondu la vérole et la lèpre. Il prétend que c’est de la vérole que le bonhomme Job était attaqué ; et il suppose, d’après un fier commentateur nommé Pineda que la vérole et la lèpre sont précisément la même chose. Ce n’est pas que Calmet soit médecin, ce n’est pas qu’il raisonne, mais il cite, et dans son métier de commentateur, les citations ont toujours tenu lieu de raisons. » {b}


  1. Augustin Calmet (1672-1757), moine bénédictin et historien lorrain.

  2. V. note [1], lettre 834, pour l’avis de Bayle sur la théorie de Pineda.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 janvier 1650, note 18.

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(Consulté le 25/04/2024)

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