À Charles Spon, le 11 juin 1649, note 19.
Note [19]

Jean Haultin (Altinus, natif de Paris) avait obtenu le premier lieu de la licence {a} avant d’être reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1574. Médecin du roi Henri iv, il fut l’un de ceux qui assistèrent à son autopsie en 1610. {b} Guy Patin a cité ses ouvrages de médecine dans la suite des lettres. Il y a surtout parlé des commentaires de Haultin sur le livre de Jacques Houllier de Morbis internis [des Maladies internes] : {c} en les y publiant pour la première fois, Patin avait donné son caractère original à cette réédition. L’inventaire après décès de Jean Haultin est daté du 19 juin 1615. {d}


  1. V. note [8], lettre 3.

  2. Baron et Delaunay.

  3. Paris, 1664, v. note [14], lettre 738, avec une impressionnante illustartion de ses scolies hippocratiques dans la note [17] du Naudæana 2.

  4. Lehoux, note 11, pages 6‑7.

Haultin et d’autres médecins ont-ils prêté leur doctes plumes à Ambroise Paré ? Le chirurgien français Joseph-François Malgaigne (1806-1865) a longuement examiné la question dans son Introduction aux Œuvres complètes d’Ambroise Paré… (tome 1er, Paris, J.‑B. Baillière, 1840, in‑8o, pages cccxxx‑cccxl) :

« Ambroise Paré est-il vraiment l’auteur des écrits qui ont paru sous son nom ? ou du moins, comme on ne saurait lui refuser la propriété de certaines doctrines, aurait-il confié le soin de la rédaction à un ou plusieurs collaborateurs ? »

Parmi les témoins à charge, Malgaigne cite bien sûr la présente lettre de Guy Patin, mais aussi Jean ii Riolan (Anthropographia, 1649, page 31 ; v. note [25], lettre 146) :

Eodem tempore prodiit in lucem Ambrosii Paræi Anatome, Gallice scripta, postrema manu ficta et elaborata a juniorobus Medicis Parisiensibus, quorum industriam in condendis suis libris emendicabat, et pretio redimebat ; sperans hac arte vir æternandi nominis cupidissimus, immortalitatem sibi comparare. Non omnis moriar, inquiebat ille, magnaque pars mei vitabit Libitinam : sed Anatome multis erroribus scatet, quamvis methodice descripta fuerit. Chirurgica non sunt contemnenda, variis exemplis et historiis ab ipso Paræo suppeditatis intertexta. Reliqua eius Opera sunt farragines ab instituto Chirurgico prorsus alienæ, cuiusmodi sunt quæ inchoant et claudunt magnum illud volumen. Hæc tamen omnia potius commendant ipsius diligentiam et industriam in rebus Chirurgicis. Idcirco Paræus non mediocrem ex hoc opere a viris Chirurgicis gratiam inivit. Dum viveret procuravit Latinam editionem librorum suorum, a Medico Parisiensi factam, qui quoniam innotescere noluit, nec a me nomnabitur. Itaque sciant præsentes et posteri, Paræum et Medicos Parisienses, opus illud Gallicum et Latinum condidisse et adornasse.

[À même époque parut l’Anatomie d’Ambroise Paré écrite en français, façonnée en sous-main et élaborée par de jeunes médecins de Paris, dont il mendiait la contribution à la rédaction de ses livres et qu’il soudoyait ; par cette supercherie, cet homme, très désireux de rendre son nom éternel, espérait s’acheter l’immortalité. Je ne mourrai pas tout à fait, disait-il, une grande part de moi échappera à la Libitine. {a} Son Anatomie fourmille pourtant d’erreurs, bien qu’elle soit écrite avec méthode. Ses Œuvres chirurgicales ne sont pas à mépriser car s’y mêlent quantité de faits et d’observations que Paré a lui-même recueillis. Le reste de ses Œuvres est un fatras entièrement étranger à l’enseignement chirurgical, comme en attestent le début et la fin de ce gros volume. Tout cela plaide plutôt en faveur de sa diligence et de son application pour les matières chirurgicales. Voilà pourquoi, par ses livres, Paré s’est acquis une belle faveur parmi les chirurgiens. De son vivant, il en a publié une édition latine, traduite par un médecin de Paris qui voulait demeurer anonyme et dont je tairai le nom. {b} Que nos contemporains et la postérité sachent donc que Paré et des médecins de Paris ont composé et embelli cet ouvrage, tant français que latin].


  1. C’est-à-dire à la mort (v. note [23], lettre 426). Riolan fait curieusement parler le latin à Paré, alors même qu’il lui reprochait de ne pas connaître cette langue (alors rigoureusement indispensable pour accéder à la connaissance de la médecine).

  2. Riolan ne voulait pas donner le nom de Haultin comme étant le doctus vir qui avait aidé Jacques Guillemeau, chirurgien et élève de Paré, à traduire les Opera de son maître en latin (Paris, 1582, v. note [15], lettre 219).

Malgaigne poursuit :

« L’accusation de Riolan, écrit Malgaigne, est dictée par une passion si aveugle qu’il a oublié deux choses : premièrement, qu’il ravalait beaucoup les docteurs ses confrères en en faisant des scribes à la page au service d’un chirurgien et des hommes capables d’abandonner pour un lucre purement pécuniaire des écrits qui devaient conduire leur auteur à l’immortalité ; deuxièmement, que cette même Anatomie, qu’il attribue aux médecins de Paris, dans une querelle antérieure, {a} il l’avait critiquée sans ménagement, imputant à l’auteur les fautes les plus grossières. Mais à part ces légers écarts du critique, nous savons comment fut faite et corrigée l’Anatomie universelle : {b} le fond s’en trouvait dans Briesve collection ; les additions furent empruntées au livre de Vésale et à des dissections faites en commun avec Binosque ; Caron fut chargé des corrections et l’on peut affirmer surtout de cet ouvrage qu’aucun médecin de Paris n’y mit la main. Quant à Guy Patin, écrivant en 1649, on peut d’abord révoquer en doute sa compétence pour la question qui nous occupe ; mais tout aussi malheureux que Riolan, il a été choisir dans la collection de Paré l’opuscule qui prête le moins à l’opinion qu’il veut établir. Le lecteur n’a qu’à parcourir la préface du Discours de la Licorne, {c} il verra quelle en fut l’origine ; comment Paré en eut la première idée ; comment, ne voulant point écrire sur ce sujet, il en parla à Chapelain, qui recula devant la difficulté ; et enfin, nous avons raconté comment la Faculté, représentée par son doyen, avait autorisé la publication d’un méchant libelle à la fois contre l’ouvrage et contre l’auteur. Mais il y a quelque probabilité que Patin a confondu l’auteur réel des Œuvres de Paré avec le traducteur {d} et qu’il nous a livré le nom de celui-ci que Riolan n’avait pas voulu dire. Haultin était en effet l’un des amis et des admirateurs de Paré, qui le cite en plusieurs endroits d’une manière favorable. »


  1. Gigantomachie, 1613.

  2. De Paré.

  3. V. supra note [16].

  4. En latin.

Après avoir encore examiné et réfuté le témoignage adverse de Pierre-François Percy (dans la biographie qu’il a donnée d’Ambroise Paré, in Michaud), Malgaigne conclut à la médisance :

« En définitive, rien ne prouve que Paré ait eu jamais recours à la plume d’autrui ; il dit bien dans sa Dédicace qu’il n’a pas voulu mettre son livre en lumière sans l’avoir “ communiqué à plusieurs excellents hommes, tant médecins que chirurgiens ”, mais non pour rien y changer ; et plus loin, dans son Avis au lecteur, il se rend à lui-même ce magnifique témoignage : “ Je dis donc que tout cet œuvre est à moi, et n’en puis être fraudé <, comme attentant nouvelleté, > puisque j’ai bâti en mon propre fond, et que l’édifice et les matériaux m’appartiennent ”. »

Dans les pages qui suivent Malgaigne dénonce pourtant quelques passages des Œuvres où il a pris Paré en flagrant délit de plagiat. Quoi qu’il en soit, il convient de replacer dans son contexte l’accusation dont Patin donnait ici à nouveau l’écho (v.note [16], lettre 7) : elle avait pour origine l’hostilité profonde des médecins de la Faculté de Paris (Jean i Riolan, Étienne Gourmelen, Jacques Daléchamps, Julien Le Paulmier, etc.) contre un chirurgien qui osait publier des avis sur des sujets de pure médecine, et par-dessus le marché en langue vulgaire et non pas en latin ; Paré ne pouvait en avoir la capacité, il devait donc avoir fait faire le travail par quelque « nègre » plus compétent que lui en la matière.

Nicolas François Joseph Éloy (tome 3, pages 474‑475), enfin, s’est résolument rangé du côté des accusateurs :

« L’ouvrage de Paré renferme non seulement tout ce qui concerne l’art de la chirurgie, mais encore plusieurs traités de médecine qu’il fit faire par de jeunes médecins et qu’il s’attribua. C’est ainsi que le dit feu Astruc dans l’Histoire sommaire de l’Art d’accoucher, {a} et voici comment il s’explique, page lxxxiii, en parlant du Traité de la génération de l’homme, qui fait le vingt-quatrième des Œuvres de notre chirurgien : “ On trouve dans ce Livre un détail de la conduite qu’on doit tenir dans les différentes espèces d’accouchements, qui est assez bon suivant les lumières de son temps ; mais qui serait meilleur si ce qu’il dit sur les accouchements n’était pas noyé dans un tas de questions difficiles, inutiles et étrangères à la matière qu’il traite. Mais c’était le goût dominant de cet auteur, qui faisait parade d’érudition grecque et latine, et d’anciens auteurs qui ont écrit dans l’une ou l’autre de ces langues, et qui prenait plaisir à traiter les questions les plus épineuses de la médecine dans les ouvrages qu’il faisait, ou plutôt qu’il faisait faire ; car quand on voit cet étalage dans les écrits d’un chirurgien qui n’avait point de lettres, il est bien difficile de ne pas se prêter aux reproches qui lui ont été faits, même de son vivant, d’avoir fait travailler pour lui plusieurs jeunes médecins. ” […] Paré aurait mieux établi sa réputation, dit Van Hoorne, s’il se fût borné à mettre au jour un petit volume, dans lequel il aurait consigné l’histoire de ses cures les plus intéressantes, les observations qu’il avait recueillies de sa longue pratique, et les remèdes dont l’expérience de tant d’années lui avait constaté {b} l’efficacité. »


  1. Jean Astruc (1684-1766, docteur de Montpellier, professeur royal de médecine en 1731) : L’Art d’accoucher réduit à ses principes… (Paris, P. Guillaume Cavelier, 1766, in‑12).

  2. Démontré.

La discussion n’est toujours pas tout à fait close, mais Malgaigne a presque obtenu gain de cause : il est aujourd’hui suspect voire incongru de mettre en doute la pureté des mérites qu’on attribue à l’une des plus grandes gloires de la chirurgie française. La simple honnêteté invite pourtant à jeter un œil sur la liste indigente des ouvrages hippocratico-galéniques qu’un ignorant du latin, comme était Paré, pouvait lire lui-même au xvie s. (v. note [6], lettre 6) : hormis quelques miettes, toute la médecine, incluant l’anatomie, était alors écrite en grec et en latin.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 juin 1649, note 19.

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(Consulté le 23/04/2024)

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