À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 2.
Note [2]

René Ayrault ou Hérault (Paris 1567-La Flèche 1644) était le fils aîné de Pierre Ayrault (1536-1601), lieutenant criminel au présidial d’Angers puis avocat au Parlement de Paris, auteur de plusieurs traités de droit, de politique et de morale. V. note [5], lettre 840, pour Pierre Ayrault, conseiller au parlement de Bretagne, neveu de René.

Dans sa biographie de René Ayrault, Pierre Bayle met en lumière les vives contestations qui s’élevèrent, aux temps troublés de la Ligue, sur la place des jésuites dans l’éducation des enfants : {a}

« < René > causa un très grand chagrin à son père. Il […] fut donné à instruire aux pères jésuites. Pierre Ayrault les estimait alors et les aimait, et n’aurait pas accepté de plaider contre eux pour les curés de Paris, comme il l’avait accepté en l’année 1564. Ayant vu dans son fils aîné un esprit fort vif, beaucoup de mémoire et plusieurs qualités aimables, il pria très instamment le provincial des jésuites et le recteur du Collège de Clermont, lorsqu’il leur mit cet enfant entre les mains, qu’on ne le sollicitât en aucune manière à entrer dans leur Religion : il leur dit qu’il avait d’autres enfants à consacrer à l’Église, mais qu’il destinait celui-là à remplir sa charge et qu’il en voulait faire le soutien de sa famille. On lui promit tout ce qu’il voulut. Néanmoins, les grands talents de ce jeune homme firent souhaiter aux jésuites d’avoir un sujet de cette importance dans leur Société ; de sorte qu’après qu’il eut étudié deux années en rhétorique sous le P. Jacques Sirmond, ils lui donnèrent l’habit de leur Ordre en 1586. Son père, sans l’avis duquel cela s’était exécuté, fait beaucoup de bruit. Il les accuse de plagiat {b} et les somme de lui rendre son enfant. Ils répondent qu’ils ne savent ce qu’il est devenu. Ayrault impètre chefs de monitoire {c} et obtient un arrêt du Parlement qui ordonne aux jésuites du Collège de Clermont de ne point recevoir dans leur Ordre René Ayrault et de notifier aux autres collèges cette défense. On n’obéit pas à cet arrêt : on transporte le jeune homme de lieu en lieu, on lui change le nom, on l’envoie en Lorraine, en Allemagne, en Italie. Henri iii fait agir auprès du pape son ambassadeur et le protecteur de ses affaires ; Ayrault en écrit à Sa Sainteté ; le pape se fait montrer le rôle de tous les jésuites du monde ; René Ayrault, revêtu d’un autre nom, ne paraît pas dans ce rôle. Trois ans de peines et de recherches n’ayant rien produit, le père recourt à sa plume, fait un livre de la Puissance paternelle {d} et l’adresse {e} à René, son fils. René y fit une réponse, mais ses supérieurs ne trouvèrent pas à propos de la publier. On aima mieux que Richeome, {f} provincial des jésuites de Paris, réfutât l’ouvrage de Pierre Ayrault.

Voici les aventures de René : il entra dans l’Ordre à Trèves le 12 juin 1586 ; il passa ensuite à Fulde où il répéta ses études de rhétorique ; il parcourut l’Allemagne et y fut pris par les protestants ; il alla à Rome et y étudia un an en philosophie sous Mutius Vitelleschi ; {g} il continua cette étude l’année suivante à Milan et vint l’achever à Dijon. Ayant régenté les classes dans la même ville pendant quatre ans avec beaucoup de succès, il en sortit lorsque les jésuites furent bannis de plusieurs villes du royaume, l’an 1594, et s’en alla en Piémont, où il régenta deux ans. Il vint ensuite à Avignon et y étudia pendant quatre ans en théologie. Après quoi, il retourna à Rome, d’où il fut envoyé à Milan pour y enseigner la rhétorique. Il le fit pendant quelques années, et puis il revint en France ; il y passa par les plus illustres emplois de son Ordre : il régenta la philosophie, il prêcha, il fut préfet de collège ; il fut recteur à Reims, à Dijon, à Sens, à Dole, à Besançon ; il fut assistant du provincial et procureur de la province de Champagne, et puis de celle de Lyon à Rome. Enfin, il mourut à La Flèche le 18e de décembre 1644. Son père, par acte passé devant notaire et témoins, le priva de sa bénédiction l’an 1593 ; mais il ne persévéra pas dans sa colère jusques à sa mort car on trouva parmi ses papiers un écrit où il lui donnait sa bénédiction. »


  1. Bayle a tiré l’essentiel de ses renseignements des Vitæ Petri Ærodii, quæsitoris regii Andegavensis, et Guillelmi Menagii, advocati regis Andegavensis [Vies de Pierre Ayrault, lieutenant criminel du roi à Angers et de Guillaume Ménage, avocat du roi à Angers] écrites par Gilles Ménage, leurs petit-fils et fils] (Paris, 1675, v. note [45], lettre 1019) : Petri Ærodii Vita pages 35‑41, et Remarques sur la vie de Pierre Ayrault, pages 245‑250.

  2. Action de disposer d’une personne libre en la vendant ou l’achetant comme esclave (Littré DLF).

  3. Obtient des preuves sur monitoires (v. note [17], lettre 398).

  4. Contre l’invention de ceux qui, sous le titre de jésuites, retiraient les enfants de l’obéissance de leurs pères et mères, et ruinaient leurs familles (Paris, Jamet Mettayer, 1595, in‑8o).

  5. Le dédie.

  6. V. note [37] du Borboniana 3 manuscrit, pour le R.P. Louis Richeome.

  7. Vitelleschi devint plus tard général des jésuites.

René Ayrault n’a pas publié de livres, mais son enseignement casuistique l’a placé au cœur d’une très vive polémique universitaire dont l’Apologie de tous les jugements rendus par les tribunaux séculiers en France contre le schisme… (sans lieu ni nom, 1752, in‑12, tome i, pages 370-371) fournit cette explication :

« En 1643, l’Université de Paris {a} déféra au Parlement la doctrine enseignée par le P. Ayrault, jésuite au Collège de Clermont, comme contraire à la parole de Dieu, aux saints décrets et canons, aux ordonnances des rois et de la Cour, pernicieuse et préjudiciable à la vie des rois et princes souverains, périlleuse à toute la noblesse, et même à toute la société humaine. […]

La doctrine déférée au Parlement et mise sous les yeux dans les procès-verbaux annexés à la requête ne concernait presque que la morale. Le casuiste jésuite enseignait qu’il est permis de tuer celui qui calomnie, pourvu qu’on le fasse en secret ; qu’on peut accepter le duel pour ne pas s’exposer au reproche de lâcheté ; qu’une fille peut se procurer l’avortement pour conserver sa réputation ; qu’une femme peut se rendre stérile pour éviter un accouchement qui mettrait sa vie en danger ; et plusieurs autres propositions aussi condamnables sur l’homicide, le suicide, et le meurtre des tyrans. {b} Telles étaient les maximes que l’Université dénoncait aux magistrats, persuadée qu’il étaient en droit d’en défendre l’enseignement.

L’attente de cette Compagnie ne fut pas totalement frustrée. Le roi prit connaissance de cette affaire par lui-même ; et sur ce qui lui fut représenté “ que le P. Ayrault avait traité en public diverses propositions et maximes dont la connaissance était très dangereuse et pouvait faire de très mauvais effets ”, par arrêt rendu en son Conseil le 3 mai 1644, il fit “ très expresses inhibitions et défenses auxdits pères de la Compagnie de Jésus, et à tous les autres, de < ne > plus à l’avenir traiter, dans les leçons publiques ou autrement, pareilles propositions ; enjoignit aux supérieurs de ladite Société de veiller exactement à ce qu’en toutes leurs maisons, on ne traitât telles matières, soit dans les leçons ou dans les livres ; ordonna que le P. Ayrault demeurerait en arrêt dans la maison du Collège de Clermont jusques à ce qu’il en eût été autrement ordonné. ” »


  1. C’est-à-dire la Sorbonne.

  2. Souvenir encore vivace des jésuites qui auraient guidé le poignard de Ravaillac dans l’assassinat de Henri iv en 1610 (v. note [4], lettre 166).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 2.

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(Consulté le 28/03/2024)

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