À Johannes Antonides Vander Linden, le 9 août 1663, note 2.
Note [2]

Homo toties moritur, quoties amittit suos [L’homme meurt chaque fois qu’il perd un des siens] (Publilius Syrus, v. note [9], lettre 511).

Adolf Vorst allait mourir le 8 octobre 1663 (18 octobre grégorien). Son Oratio funebris [Oraison funèbre] (Leyde, 1664, v. note [5], lettre latine 263), prononcée par Johannes Antonides Vander Linden, procure de précieux renseignements sur les derniers mois de son existence, et les souffrances personnelles et familiales qui les ont tourmentés (pages 37‑39) :

Extremis annis insomnia eum, et calculus, et arthritici subinde dolores inceperunt moleste habere. Nuper autem maceratus diuturno filiæ morbo ac mœrore, quem tamen fortiter comprimebat et dissimulabat, fastidire omnem cibum cœpit, neque fere quidquam, quantumvis olim placitum et suave, admittere præter potum, quem et pene unicum aliquot septimanis habuit sui corporis tum solatium adversus urgentissimam sitim aridamque linguam, tum sustentaculum virium paulatim defetiscentium. Quæ mala, quod inde ab initio valetudinis essent sine febre (ut retulit mihi Vir experientissimus et in medendo felicissimus, D. Daniel de Dieu, familiaris Defuncto medicus) nihil τω μακαριτη boni præsagiebant : quippe lingua (si hoc interponere ex Dictatore nostro licet) quæ initiis morborum rigidiuscula est, sed in colore manet, labentibus inde diebus exasperatur et livescit finditurque, mortifera. Ad quæ accessit anni tempestas varia et a seipsa prorsus mutata, et senibus inprimis incommoda. Ita inter focum et lectum se fortiter sustinentem, et sua amicorum visitationibus tædia minuentem invasit novissimis diebus febricula, maligni et clandestina uredine corrupti humoris effervescentia. Tum lingua nigra, et lecto noster in totum affigi.

Intervenerat aliquod serenum, quo etiam in publico visus est, feceratque spem, eum discrimen evasisse. At aliter visum Deo creatori ejus et fidelissimo Patri, cui vivimus, cui morimur, quotquot pie et vivere et mori studemus. Huic ergo cum placuit eum ex hoc ergastulo et vanitatis scena in tranquillam piarum mentium sedem transferre, facile istud serenum disparuit. Igitur sexto hujus mensis die, quum pridie ad eum invisissem et valentis instar accinctum reperissem, lecto affixus mansit.

Ita viribus, præsertim ex ischuriæ, quæ supervenerat, cruciatu in horas decrescentibus, et coercita loquendi facultate, tertio die, antequam quartus orientur Sol, animam Deo reddidit ; visitatus interim a Collegis et amicis, quorum sermones de spe et desiderio Chistianorum, de æterna felicitate, de vera justitia, de filii Dei beneficiiis, quibus se pius animus in ipsa morte solatur, avide excepit et, quantum infirmitas sinebat, assensu et confessione prosecutus est. Mihi quoque, horis admodum ante excessum novem, supremi Vale vicem ei dicenti, D. Jesus tibi sit ad dexteram et salutare animæ tuæ, annuit propense.

[Dans les dernières années de sa vie, une insomnie et un calcul urinaire entreprirent de le tourmenter, bientôt suivis de douleurs goutteuses. Récemment miné par la longue maladie de sa fille {a} et par un chagrin qu’il réprimait et dissimulait cependant courageusement, il commença à se dégoûter de tout aliment. Bien qu’il y eût jadis trouvé grand plaisir et agrément à manger, il n’absorba presque plus que des boissons. Pendant quelques semaines, elles furent à peu près tout ce qu’il consomma, tant pour soulager son corps d’une soif très pressante avec sécheresse de la langue, que pour soutenir ses forces qui déclinaient peu à peu. Quoique ces maux ne s’accompagnassent pas de fièvre (comme me l’a confié son médecin de famille, M. Daniel de Dieu, très exéprimenté et habile en l’art de remédier), ils ne présageaient en rien d’une heureuse issue. Sa langue (si notre Maître m’autorise à insérer ce détail) n’était qu’un peu raide au début de la maladie et conservait sa couleur, mais elle se racornit, se fissura et se plomba au fil des jours, annonçant une mort prochaine. {b} À quoi s’ajouta le temps variable de cette période de l’année, dont les caprices nuisent particulièrement aux vieillards. {c} Tandis qu’on le soutenait solidement pour qu’il allât du lit au coin de sa cheminée et qu’il restreignait les fatigues occasionnées par les visites de ses amis, survint une fébricule au cours des tout derniers jours, avec une maligne et sourde démangeaison, exprimant l’effervescence d’une humeur corrompue. La langue devint alors noire et notre ami fut cloué au lit.

Quelque embellie se fit jour, qui lui permit même de se montrer en public et nourrit l’espoir qu’il s’en sortirait ; mais Dieu, son créateur et son très fidèle Père en décida autrement, Lui à qui nous devons de vivre et de mourir, quelque effort que nous ayons fait pour vivre et mourir pieusement. Cette douce accalmie disparut donc car il Lui plut de transporter Vorst de la prison et du théâtre des vanités dans le séjour tranquille des âmes pieuses. Cela fit qu’à partir du sixième jour de ce mois, {d} il demeura au lit, alors que je lui avais rendu visite la veille et l’avais trouvé aussi dispos qu’un homme en belle santé.

Ses forces diminuèrent d’heure en heure, principalement en raison de la torture engendrée par l’ischurie qui s’était installée ; {e} en sorte qu’il rendit son âme à Dieu deux jours plus tard, quatre heures avant le lever du Soleil, après avoir perdu la faculté de parler. Entre-temps, Collègues et amis étaient venus le voir, dont il reçut avec avidité les discours sur l’espérance et le souhait des chrétiens, sur la félicité éternelle, sur la véritable justice, sur les bienfaits du fils de Dieu, dont cette pieuse âme fut réconfortée à l’approche de son trépas ; et dans toute la mesure où sa faiblesse le lui permettait, il les a accompagnées de son approbation et de la profession de sa foi. Seulement neuf heures avant son décès, je vins moi aussi pour un dernier adieu, il marqua son approbation d’un signe de la tête quand je lui dis que le Seigneur Jésus viendrait à son aide et assurerait le salut de son âme].


  1. Du mariage d’Adolf Vorst avec Catharina vander Meulen, en 1626, étaient nés un fils unique, Eberhard, et quatre filles. Sans donner son prénom, Vander Linden signale (page 31) la mort par phtisie (tuberculose) de la troisième, peu avant celle de son père.

  2. L’italique cite les propos du « maître » (traduction qui m’a paru la meilleure du mot latin Dictator), c’est-à-dire du médecin Daniel de Dieu, l’un des onze enfants de Louis de Dieu, pasteur de Leyde, dont la famille était originaire de Bruxelles (Bayle).

    Sa description de la langue du malade marque un état de déshydratation profonde : une « langue de perroquet » dans le jargon médical expressif.

  3. Référence hippocratique aux méfaits de l’automne. Né le 23 novembre 1597 (3 décembre grégorien), Vorst approchait de son 66e anniversaire.

  4. Le 16 octobre 1663 dans le calendrier grégorien.

  5. V. note [10], lettre 209 pour l’ischurie (ou anurie). Tous ces signes permettent de penser que Vorst succomba à une insuffisance rénale terminale (maladie richement décrite et expliquée dans la lettre de Jan van Beverwijk datée du 30 juillet 1640, v. ses notes [21][30]), qui était probablement liée à une lithiase urinaire, et compliquée de déshydratation aiguë et de surinfection. Le prurit est un signe fréquent de la défaillance rénale.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 9 août 1663, note 2.

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(Consulté le 23/04/2024)

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