À Charles Spon, le 23 février 1657, note 20.
Note [20]

Le nouvel hôpital dont parlait ici Guy Patin était la Salpêtrière, construite sur les plans de l’architecte Libéral Bruant. Elle remplaçait le petit Arsenal dont Louis xiii avait fait édifier les entrepôts sur la rive gauche de la Seine, en amont du grand Arsenal, sur la rive droite.

La Salpêtrière allait devenir le bâtiment principal de l’Hôpital général, institution fondée par lettres patentes du 27 avril 1656 (v. note [5], lettre 1007) : tous les mendiants qui incommodaient Paris devraient y être enfermés ; les maisons de la grande et de la petite Pitié, de Scipion, de la Savonnerie et de Bicêtre étaient placées sous une même administration, avec la Salpêtrière, l’hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins et quelques autres. L’idée n’était pas nouvelle : en 1557, quelques années après la création du Grand Bureau des pauvres, on avait construit l’hôpital des Petites Maisons pour y enfermer des vagabonds et des fous (v. note [29], lettre 97) ; en 1612, Marie de Médicis avait ouvert d’autres asiles où les mendiants devaient être enfermés et nourris, et Louis xiii avait signé un règlement de ces maisons ; l’exécution s’en était bornée à l’entretien, dans la maison désignée sous le nom de Notre-Dame-de-Pitié, d’un groupe d’enfants de l’un et de l’autre sexe, de femmes vieilles et infirmes, et de filles repenties ; un peu plus tard la maison dite de Scipion (du nom du financier Scipion Sardini) avait été acquise pour loger les pauvres vieillards infirmes, et à partir 1615, la Savonnerie, près de Chaillot (v. note [1], lettre 720), reçut de jeunes garçons qu’on employa aux travaux de la tapisserie royale ; les accroissements continuels de la capitale et la Fronde avaient augmenté considérablement le nombre des mendiants qu’on estimait déjà à 40 000 en 1640 ; en 1653, Mazarin avait fait affecter à l’usage des indigents les bâtiments désaffectés du petit Arsenal de la Salpêtrière. Le 7 mai 1657, le nouvel Hôpital général ouvrit ses portes et 5 000 mendiants y furent enfermés (G.D.U. xixe s.).

la création de l’Hôpital général est considérée comme l’oeuvre de Vincent de Paul (v. note [27], lettre 402), mais le principal mérite en revint à la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640), comme l’a montré Raoul Allier (pages 62‑67) :

« À en croire les historiographes de Vincent de Paul, un de ses travaux les plus obstinément poursuivis a été la création de l’Hôpital général, destiné au “ renfermement des pauvres mendiants ”. D’après les uns, ce sont les “ Dames de la Charité ” qui en ont eu l’idée, qui la lui ont communiquée et qui ont aidé son zèle, aussitôt enflammé par la beauté de l’entreprise. D’après les autres, il semble que tout se soit passé entre Vincent, Louis xiv et la reine mère. Mais, dans tous ces récits, le saint joue le rôle de premier plan ; c’est lui qui a tout inspiré, tout obtenu, tout conduit. La vérité est un peu autre.

Tandis que Vincent, d’après la légende, n’aurait eu la pensée de l’Hôpital général qu’en 1654, la Compagnie en était possédée depuis 1631. Dans les premiers mois de cette année, elle avait tenté des efforts particuliers en faveur des mendiants et, par là, elle avait été conduite, en avril, à méditer la fondation d’un établissement qui leur serait réservé. Pour la priorité de l’idée, il ne peut donc y avoir de contestation.

Cinq ans après, la Compagnie revient sur la question ; elle examine à nouveau le projet dont elle s’est déjà entretenue. Elle constate que la réalisation n’en ira pas sans difficultés ; elle nomme donc une commission de huit membres qui ouvrira une enquête, étudiera des plans, dressera des devis, présentera de temps en temps des rapports sur ses travaux. On sévit, en attendant, contre les abominations qui se commettent dans la cour des miracles du faubourg Saint-Marceau ; {a} mais on ne parvient pas à supprimer ce cloaque moral, et il y en a dix autres au moins dans Paris. On sent toujours davantage la nécessité d’interner tant de gens sans aveu, organisés en corporations, formant dans la capitale un vrai royaume du crime, dont les uns demandent l’aumône, l’épée au côté et l’insulte à la bouche, et dont les autres étalent, par les rues et les places, d’horribles difformités qui, “ sans onguent ni baume ”, disparaissent chaque soir jusqu’au lendemain, dans ces quartiers réservés où la police n’ose s’aventurer.

De loin en loi, le Parlement rendait un arrêt, assez inutile d’ailleurs, contre ce fléau public. […] Vint la Fronde. Dans la misère générale, quelques-uns des projets esquissés pour le soulagement des mendiants furent appliqués ; “ et ces soins, dit un document officiel, eurent tant de succès que les pauvres se trouvèrent en abondance pendant que les familles qui n’avaient qu’un bien médiocre manquaient du nécessaire. ” En 1652, la Compagnie organisa les magasins charitables qui centralisaient les dons, surtout en nature, destinés à la diminution de l’universelle détresse, et ce fut une expérience riche en encouragements. “ On en remeubla tant d’églises, dit le même document, on en assista tant d’ecllésiastiques, on en revêtit tant de pauvres, on en nourrit tant de misérables, et on rétablit tant de familles désolées, qu’alors on crut qu’il n’était pas impossible de trouver la subsistance nécessaire pour renfermer et contenir dans le devoir une nation libertine et fainéante qui n’avait jamais conu de règles. ” {b}

Il fallait aboutir et pour cela, qu’un homme fît sienne cette affaire et s’y consacrât. “ Le 5e de juin, M. du Plessis-Montbard {c} fut prié par l’Assemblée de se décharger de tous les soins des affaires de piété dont il était accable, afin de s’occuper uniquement et absolument de l’ouvrage du grand hôpital, pour y enfermer les mendiants, et qui fut depuis, dans son établissement, nommé l’Hôpital général. M. du Plessis reçut cet ordre avec grand respect, s’en acquitta avec grande fidélité, et avec le concours de ceux de la Compagnie qui furent liés avec lui pour ce dessein. Il l’a conduit depuis à une heureuse fin. ” {d} La commission dont du Plessis Montbard était la cheville ouvrière usa du procédé ordinaire de la Compagnie. Elle fit appel aux personnages du Parlement et d’ailleurs qui lui paraissaient qualifiés pour l’œuvre. Et tous ces personnages travaillèrent ensemble, sans soupçonner qui les avait groupés, s’attribuant peut-être l’initiative de leur réunion et de leurs études. […]

Malgré tous les obstacles, la déclaration en forme d’édit fut scellée au mois d’avril 1656 et datée le 4 mai. Le roi ordonnait que tous les mendiants de l’un et l’autre sexe, valides et invalides, “ seraient enfermés dans un hôpital pour être employés aux ouvrages, manufactures et autres travaux selon leur pouvoir ”. Il nommait vingt-six personnes de différentes conditions comme directeurs perpétuels de l’Hôpital et désignait comme “ chefs-nés de la direction ” le premier président et le procureur général du Parlement. Comme nous pouvions nous y attendre, les principaux de ces directeurs étaient pris parmi les Messieurs de la Compagnie. […]

Du Plessis-Montbard pouvait répéter à la Compagnie qu’elle “ avait été le berceau de cette œuvre ”, qu’elle “ en avait eu la première vue et en avait jeté les premiers fondements par des personnes qu’elle avait nommées pour cet effet ”, que ces personnes “ avaient tiré d’elle leur plus grande bénédiction, pour le succès qu’on en voyait et qui, depuis longtemps, avait été si universellement désiré ”. {d}


  1. V. note [3], lettre 211.

  2. L’Hôpital général de Paris (Paris, François Muguet, 1676, in‑4o).

  3. Christophe du Plessis, baron de Montbard (1599-1672), avocat au Parlement, fut l’un des fondateurs de la Compagnie du Saint-Sacrement, et son supérieur à maintes reprises. Il figura parmi les 26 premiers directeurs de l’Hôpital général.

  4. Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement par le comte Marc-René de Voyer d’Argenson, manuscrit où Raoul Allier a principalement puisé pour écrire sa Cabale des dévots.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 février 1657, note 20.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0464&cln=20

(Consulté le 29/03/2024)

Licence Creative Commons