Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 20.
Note [20]

Nicolas Flamel (1330 ou 1340-Paris 1418) doit sa célébrité posthume aux infinies légendes qui ont couru et circulent encore sur son génie d’alchimiste faiseur d’or. Gabriel Naudé résumait la biographie écrite par François Grudé sieur de La Croix-Du Maine (1552-1592), bibliographe français, dans le :

Premier volume de la Bibliothèque du sieur de La Croix du Maine, qui est un catalogue général de toutes sortes d’auteurs qui ont écrit en français depuis cinq cents ans et plus, jusques à ce jourd’hui : avec un Discours des vies des plus illustres et renommés entre les trois mille qui sont compris en cette œuvre, ensemble un récit de leurs compositions, tant imprimées qu’autrement. Dédié et présenté au roi. {a} Sur la fin de ce livre se voient les desseins et projets du dit sieur de La Croix, lesquels il présenta au roi l’an 1583 pour dresser une Bibliothèque parfaite et accomplie en toutes sortes. Davantage se voit le Discours de ses œuvres et compositions, imprimé derechef sur la copie qu’il fit mettre en lumière l’an 1579. {b}


  1. Henri iii.

  2. (Paris, Abel l’Angelier, 1584, in‑fo de 558 pages.

Pages 343‑344 :

« Nicolas Flamel, natif de Pontoise, à sept lieues de Paris, ancien poète français, écrivain ou maître d’écriture, peintre et philosophe, mathématicien et architecte, et surtout grand alchimiste (comme l’assurent aucuns).

Il a écrit un sommaire philosophique contenant plusieurs secrets de l’alchimie ou pierre philosophale, imprimé à Paris avec les trois traités de la transformation métallique, chez Guillaume Guillard, l’an 1561, avec les préfaces de Jacques Gohory, Parisien, lequel a discouru amplement du dit Flamel ; {a} comme aussi ont fait plusieurs philosophes de notre temps, desquels la plus grande partie croient (ou, pour le moins, ils s’étudient de le persuader aux autres) que ledit Flamel avait ce don de savoir faire la pierre philosophale, et qu’il ne se pouvait faire autrement, vu les fondations, les superbes édifices et autres choses de remarque qu’il a faites en son temps. Car quelques-uns ont laissé par écrit qu’il était riche de plus de quinze cent mille écus, outre les aumônes, donations et autres dons immenses qu’il fit, tant au cimetière des Innocents à Paris, à Sainte-Geneviève-des-Ardents et à S. Jacques-de-la-Boucherie (auquel lieu il est à demi de relief, avec son écritoire au côté, et le chaperon sur l’épaule). {b} Mais afin de dire ce que plusieurs anciens maintiennent et assurent être véritable, touchant les grands biens et richesses du dit Flamel, et ce qui le rendit si renommé pour ses facultés, ce fut qu’il eut la dépouille des plus riches juifs qui furent chassés de Paris en son temps, avec lesquels (encore qu’il fût chrétien) il avait intelligence, et succéda à leurs biens pour la plus grande partie, car il avait connaissance de ceux qui étaient redevables aux dits juifs, lesquels il eût accusés au roi, ou bien à ceux qui en avaient la confiscation ; mais il se contentait de partager avec les créditeurs, redevables aux juifs, sans les découvrir ou encuser. {c} Et pour que l’on n’eût connaissance de cela, il feignit avoir trouvé la pierre philosophale ; et, de peur que l’on ne fît trop diligente information de ces choses, il s’adonnait à bâtir et fonder des églises, afin que l’inimitié qu’on lui eût pu porter cessât en son endroit ; qui était un bon moyen de se sauver, et principalement entre les Parisiens qui sont tant adonnés à la dévotion. Voilà ce que j’en ai pu apprendre, mêmement de ceux qui ont fait la plus grande profession de cette philosophie […].

Ledit Flamel florissait en l’an de salut 1393 et l’an 1409. Il est enterré au cimetière des Innocents à Paris, avec sa femme nommée Perronnelle ; auquel lieu se voit un tableau peint à l’huile, rempli de plusieurs figures, qui servent comme d’énigmes, pour vouloir montrer la connaissance qu’il avait de la pierre philosophale, etc.

Celui qui a écrit la préface aux lecteurs, imprimée au devant du livre de Roch Le Baillif, sieur de La Rivière, médecin en Bretagne, intitulé le Demosterion, etc. fait ample mention du dit Flamel, ensemble Jacques Gohory, et Gilles Corrozet. » {d}


  1. Rédigé en vers fort obscurs, {i} le principal écrit de Nicolas Flamel est son Petit traité d’alchimie, intitulé le Sommaire philosophique. Il occupe les pages 59 vo‑70 vo de La métallique Transformation, trois anciens traités en rythme {ii} française. À savoir : La Fontaine des amoureux de science, auteur I. De la Fontaine ; Les Remontrances de la Nature à l’alchimiste errant, avec la réponse du dit alchimiste, par I. de Meung, ensemble un traité de son Roman de la Rose, concernant ledit art ; {ii} Le Sommaire philosophique de N. Flamel. Avec la défense d’icelui art et des honnêtes personnages qui y vaquent : contre les efforts que I. Girard met à les outrager. Dernière édition. {iv}

    Les curieux peuvent aussi lire les Trois Traités de la Philosophie naturelle non encore imprimés. Savoir le Secret livre du très ancien philosophe Artephius, traitant de l’art occulte et transmutation métallique, latin français. Plus Les Figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, ainsi qu’il les a mises en la quatrième arche qu’il a bâtie au Cimetière des Innocents à Paris, entrant par la grande porte de la rue S. Denis, et prenant la main droite, avec l’explication d’icelles par icelui Flamel. {v} Ensemble, le vrai livre du docte Synesius, {vi} abbé grec, tiré de la Bibliothèque de l’empereur sur le même sujet. Le tout traduit par P. Arnauld, sieur de la Chevallerie, Poitevin ; {vii} ce titre est agrémenté de deux vers de Virgile : {viii}

    Si te fata vocant, alias non viribus ullis,
    Neque etiam duro poteris convellere ferro
    .

    [Si le destin t’appelle, sinon tous tes efforts n’en viendraient pas à bout et le fer tranchant ne pourrait pas le détacher].

    1. V. infra notule {d‑v} pour court échantillon.

    2. Vers rimés.

    3. V. infra note [21].

    4. Lyon, Pierre Rigaud, 1618, in‑8o de 172 pages (première édition Paris, 1561).

    5. Pages 45‑88

    6. Synesius de Cyrène, v. notes [14][16] du Borboniana 6 manuscrit.

    7. Paris, veuve de M. Guillemot et S. Thibourst, 1612, in‑4o de 98 pages.

    8. Énéide, chant vi, vers 147‑148, sur le rameau d’or caché dans un arbre au feuillage opaque.

    Jacques Gohory (Paris 1520-1576), avocat, alchimiste et polygraphe, a défendu et introduit Paracelse en France, mais aussi traduit Machiavel et d’autres auteurs italiens ou latins. Ses ouvrages sont souvent ornées de sa curieuse devise : « Envie, d’envie, en vie ». V. infra notule {d‑v} pour un échantillon de ce qu’il a écrit sur Flamel.

  2. Représentation de Flamel en demi-relief, c’est-à-dire quand la figure sculptée « sort à demi-corps du plan sur lequel elle est posée » (Furetière), dans l’église Saint-Jacques-de-la Boucherie, dont ne subsiste que la tour (v. note [26], lettre 523).

    V. note [8], lettre 193, pour le cimetière des Saints-Innocents. L’église Sainte-Geneviève-des-Ardents, détruite au milieu du xviiie s., se trouvait sur l’île de la Cité, à l’angle nord-ouest de l’actuel parvis de Notre-Dame.

  3. Dénoncer.

    Le 17 septembre 1394, Charles vi (1388-1422, v. note [6], lettre 927) avait prononcé un arrêt d’exil contre tous les juifs de son royaume (Hirsch Graetz, Histoire des juifs, Paris, A. Durlacher, 1893, tome quatrième, page 313) :

    « Il leur était interdit dorénavant de résider ou de séjourner dans aucune partie de la France, soit dans les pays de langue d’oïl ou dans les pays de langue d’oc. Voilà donc les juifs condamnés encore une fois à quitter la France, quatre-vingt-dix ans après qu’ils en avaient été proscrits par Philippe le Bel. Charles vi les traita cependant moins durement que son aïeul, il leur accorda un délai pour faire rentrer leurs créances, donna ordre au prévôt de Paris et aux gouverneurs des provinces de les protéger dans leurs biens et leurs personnes, et chargea des officiers de les accompagner jusqu’à la frontière pour les défendre contre toute attaque. Ils ne partirent de France qu’à la fin de 1394 ou au commencement de 1395. »

  4. Le Demosterion {i} de Roch Le Baillif, {ii} edelphe médecin spagiric. {iii} Auquel sont contenus trois cents aphorismes latins et français. Sommaire véritable de la médecine paracelsique, extraite de lui en la plus < grande > part, par ledit Baillif. {iv}

    La préface Au lecteur de ce livre, signée I.D.C.I., mentionne brièvement Flamel, « lequel, de pauvre écrivain qu’il était, et ayant trouvé en un vieil livre une recette métallique qu’il éprouva, fut l’un des plus riches de son temps », et Gohory, avec les commentaires qu’il « a faits sur quelques livres de Paracelse, sous le nom de Leo Suavius ». {v}

    Gilles Corrozet (1510-1568), écrivain et imprimeur parisien, a, entre autres mentions de Flamel, parlé de sa statue qui ornait le portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents à la page 105 vo de ses Antiquité, chroniques et singularités de Paris… {vi}

    1. Demosterion est un mot dont je n’ai pas déchiffré le sens spagirique (hermétique)

    2. V. note [18], lettre 408, pour Roch Le Baillif, seigneur de la Rivière.

    3. En relisant cette note, Marie-France Claerebout a fouiné jusqu’à trouver qu’edelphe serait une déformation d’adelphe désignant un disciple ou frère (adelphos en grec) de Paracelse, comme premier grade de l’initiation.

    4. Rennes, Pierre le Bret, 1578, in‑4o de 169 pages.

    5. V. supra notule {a} pour Gohory, ici cité pour son Theophrasti Paracelsi Philosophiæ et medicinæ utriusque universæ compendium : Ex optimis quibusque eius libris, cum scholiis in libros iiii eiusdem de vita longa, plenos mysteriorum, parabolarum, ænigamatum. Auctore Leone Suavio I.G.P. [Compendium de la philosophie et de la médecine universelles de Théophraste Paracelse : tiré de tous ses meilleurs livres, avec des commentaires sur ses quatre livres de la longue vie, qui sont pleins de mystères, paraboles et d’énigmes. Par Leo Suavius, I.G.P.] (Paris, Rovillus, 1516, in‑4o de 376 pages). Le talent alchimique de Flamel est encensé page 259 (dans un latin exécrable) :

      N. Flammelius vero (cuius monumenta artis extant lutetiæ quamplurima) descriptum quoque reliquit, nullam congelationem naturalem metalli reduci in argentum vivum labile fluensque, impostores esse quotquot id asserere audeant.

      [N. Flamel (dont maints chefs-d’œuvre de l’art subsistent à Paris) a aussi laissé un écrit disant qu’aucune congélation naturelle ne peut pas transformer un métal en vif-argent labile et coulant, et que ceux qui le prétendent sont des imposteurs].

      Là-dessus, les vers de Flamel sont peut-être un peu moins obscurs (page 65 vo de la référence citée dans la notule {a‑iii} supra) :

      « C’est ainsi des métaux vraiment :
      Car qui voudrait prendre de l’argent
      Commun et l’or, puis en mercure
      Les remettre, ferait stulture [folie].
      Car quelque grand’ subtilité
      Qu’on ait, aussi habileté
      Ou régime [règle] qu’on penserait,
      Abusé on s’y trouverait. »

    6. Paris, Galiot Corrozet, 1581, in‑8o de 656 pages.

La mystification alchimique de Flamel, conçue pour dissimuler la malhonnête origine de sa fortune, semble donc avoir été si habile qu’elle trompe encore aujourd’hui bien des gobeurs de sornettes ésotériques.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 20.

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(Consulté le 20/04/2024)

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