À Charles Spon, le 21 avril 1643, note 21.
Note [21]

La consultation eut lieu la veille de la déclaration du roi pour la régence (v. infra note [22]). Robert Lyonnet, à la page 74 de sa Brevis dissertatio de morbis hereditariis… (Paris, 1647, v. note [2], lettre 141), l’a relatée, mais avec une différence sur le nom des trois praticiens :

Cum per incerta ferretur Regis animus, nec mors quam adesse putabat accederet, alios insuper statuit apud se vocandos medicos, a quorum ore cito ne an fero esset moriturus acciperet, an ulla evadendi spes esset. Lavigneum delegit et Morellum e Parisina Facultate professorem regium, quibus tertium iungi olim aulicum sibi notum D. Valterium permisit, cum dico qui nunc archiatrorum comitivæ præfectus est. Accepta eorum quæ gesta fuerant notitia, non alimentis solum, sed pharmacis iuvari posse omnes censuerunt.

[Alors que l’esprit du roi était porté à l’incertitude sur l’arrivée de la mort, qu’il sentait venir, il décida d’appeler auprès de lui encore d’autres médecins qui lui diraient s’il allait ou non mourir vite, s’il avait quelque espoir d’en réchapper. Il choisit de La Vigne et Moreau, professeur royal et docteur de la Faculté de Paris ; il permit à un troisième de se joindre à eux, qui fut M. Vautier, qu’il avait jadis connu médecin de la cour et qui a depuis été promu premier médecin du roi].

Guy Patin ne citait pas ici François Vautier (v. note [26], lettre 117), mais signalait, au contraire, la présence de François Guénault (Guénaut ou Guénauld, Guenaltus ou Guenaldus en latin ; 1589-Paris 16 mai 1667) l’aîné, pour le distinguer de son neveu Pierre, dit le jeune (v. note [6], lettre 97). François Guénault est omniprésent dans les lettres de Patin car il menait la troupe de ses plus intimes ennemis, les antimoniaux, au sein même des docteurs régents, ses collègues. Guénault n’a rien fait imprimer d’autre que les thèses qu’il a soutenues ou présidées. Toute l’ampleur qu’il convient de lui donner ici se heurte donc au peu qu’on sait de lui, à part la faconde imaginative de ses anecdotiers.

On peut cependant se fier au registre de Baron et au témoignage de Jacques Mentel (tout de même un peu suspect car lui-même ennemi de l’antimoine) dans son manuscrit intitulé Schola Medica Parisiensis [L’École de médecine de Paris, v. note [6], lettre 14]. François Guénault naquit « en 1589 à Pau [Palum] en Béarn, fils de l’apothicaire de Henri iv [Thomas Guénault], lors roi de Navarre et premier prince du sang. Quand il se mit sur les bancs de médecine à Paris, in quo [où] chacun dit son pays de naissance, il se dit Paliensem [de Pau] ; quelques-uns crurent qu’il se disait Parisiensis [de Paris], et ainsi s’appela-t-il à la suite en ses thèses ; mais de fait, il était Paliensis. » D’autres que Mentel l’ont dit natif de Paris ou de Gien : v. notule {f}, note [6], lettre 97, pour une explication plausible de ces discordances, mais plaidant effectivement en faveur d’une naissance à Pau.

Classé 6e des 12 licenciés de 1614, Guénault devint docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en décembre 1615. Il était huguenot et s’attacha au prince Henri ii de Condé (le père du Grand Condé) ; sous son influence, il se convertit au catholicisme. Après plusieurs voyages avec M. le Prince, il s’était établi à Paris en 1627 ou 1628. D’abord adepte de la médecine dogmatique, Guénault se tourna bientôt vers l’empirique. Il fut l’un des premiers en son temps qui, à partir de 1643 ou 1644, se servit de l’antimoine ; « sans beaucoup de littérature, il a toujours été en réputation dans sa profession et le coryphée de ceux qui ont approuvé l’antimoine. » En septembre 1661, il fut promu premier médecin de la reine régnante, Marie-Thérèse, épouse de Louis xiv, pour un prix de gage de 18 000 livres.

On cite partout les vers de Nicolas Boileau-Despréaux (Satire iv, À M. l’abbé Le Vayer, vers 23‑34) :

« Un libertin d’ailleurs, qui sans âme et sans foi,
Se fait de son plaisir une suprême loi,
Tient que ces vieux propos, de démons et de flammes,
Sont bons pour étonner des enfants et des femmes ;
Que c’est s’embarrasser de soucis superflus,
Et qu’enfin, tout dévot a le cerveau perclus.
En un mot qui voudrait épuiser ces matières,
Peignant de tant d’esprits les diverses manières,
Il compterait plutôt combien dans un printemps
Guénault et l’antimoine ont fait mourir de gens,
Et combien la Neveu devant son mariage,
A de fois au public vendu son pucelage. »

Type abouti du médecin de cour, Guénault eut l’insigne honneur d’être caricaturé par Molière sous les traits de Macroton dans l’Amour médecin (1665, v. note [1], lettre 835).

Hazon b (pages 107‑108) :

« Il possédait les qualités du cœur […]. Ce praticien, le plus en vogue, pouvait avoir eu plus d’occasion de voir et d’étudier les effets de l’antimoine que les autres médecins ; il l’avait adopté. Il n’en fallut pas davantage pour lui susciter beaucoup d’adversaires ; mais il n’avait pas de fiel : il laissa la liberté de penser et de suivre des systèmes ; pour lui, il s’en tenait à l’expérience. Il aimait la Faculté et tous ses membres ; il rendait volontiers service à tout le monde, même à ses antagonistes : souvent il quittait le séjour de la cour, Saint-Germain-en-Laye, en hiver, pour assister aux thèses de nos Écoles ; c’est le témoignage que lui rendent nos Registres. Guy Patin, qui n’était ni si pacifique, ni si modéré, le raille souvent dans ses lettres au sujet de l’opium et de l’antimoine ; {a} mais l’événement de sa vie qui lui fit le plus d’honneur fut la guérison du roi […]. {b} On chanta les louanges de M. Guénault ; on composa des poèmes en son honneur. »


  1. Patin tenait Guénault pour son pire ennemi dans la Compagnie des docteurs régents de Paris. Pour le dénigrer, il assimilait son nom à celui d’une guenon (v. note [35], lettre 504), mais on a vu Patin plus spirituel et mieux inspiré dans ses jeux de mots.

  2. À Calais en 1658, avec une prise d’antimoine.

Les trois thèses de bachelier que François Guénault a soutenues sont :

Les quodlibétaires ou cardinales qu’il a présidées sont :

Guy Patin a ignominieusement accusé Guénault d’avoir décimé sa famille avec « son poison d’antimoine ». Outre son neveu Pierre (cité plus haut), composée de son épouse, Anne Georges, morte en 1648, et de leurs trois filles :

  • Élisabeth, mariée en 1654 à Jean de Montreuil, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris (v. note [1], lettre 367) ;

  • Anne, mariée à l’avocat Jean (ou Antoine) Guérin (v. note [46], lettre 279) ;

  • Catherine, mariée à Christophe Gamard, maître d’hôtel du roi, morte en couches en 1653 (v. note [4], lettre 328).

En 1636, Guénault avait acquis pour 7 000 livres une maison rue Hautefeuille dans le vie arrondissement [Henri Baillière, La Rue Hautefeuille, son histoire et ses habitants (propriétaires et locataires), 1252-1901, contribution à l’histoire des rues de Paris (Paris, J.‑B. Baillière et fils, 1901)].

En dépit de tout le fiel que le clan antistibial déversait sur lui, Guénault demeura en grande faveur jusqu’à sa mort par apoplexie à 78 ans. Témoin encore visible du grand renom qu’il a connu, son portrait trône en bonne place dans la réserve du Département historique de la BIU Santé ; ironie du sort, il est accroché face à l’une des deux fenêtres entre lesquelles trône l’effigie de Guy Patin, paré d’un malicieux sourire (v. note [5], lettre 562) ; et les assidus de ce sanctuaire labourent aujourd’hui les anciens ouvrages sous les regards croisés des deux vieux ennemis.

Portrait de François Guénault
Détail du tableau conservé par la BIU Santé,
attribué à Gilbert de Sève (Moulins 1615-Paris 1698) ;
cliché Jacques Gana

Notice no64 des Collections artistiques de la Faculté de medicine de Paris. Inventaire raisonné par Noé Legrand, bibliothécaire à l’Université de Paris. Publié par les soins de L. Landouzy (Paris, Masson et Cie, 1911, pages 60‑61 ; source aimablement communiquée par M. Jean-François Vincent, rédacteur en chef de notre édition) :

« Cette toile – que Chéreau déclarait perdue en 1869 – fut donnée à la Faculté en 1692, donation mentionnée dans Hazon b (Éloge historique, p. 60). “ Sous le décanat de Henri Mahieu, temps où notre salle d’assemblée fut boisée et ornée, le portrait de M. Guénault fut apporté par M. Mathieu Thuillier, médecin de la Faculté et gendre de M. Eusèbe Renaudot. ” {a}

Elle est ainsi rapportée dans les Commentaires : “ Juillet 1692. Hisce temporibus a me jamdiu expetita tabella Mi Franc. Guénault, quod promissa fuisset a Mattheo Thuillier, collego nostro, tandem obtenta fuit ad decus et ornamentum. ” {b} (T. xvii, p. 88).

Quelque temps après, on le dotait d’un beau cadre doré en même temps que l’on encadrait le petit tableau représentant saint Luc ; ces deux encadrements coûtaient 12 livres : Pro margine deaurata qua circumcincta est tabula nostra minor divi Lucæ. Pro alia margine deaurata qua circumcingitur tabula magistri Francisci Genault dum vivebat Archiatri Mariæ Theresiæ Francorum Reginæ dedit mercatori cuidam Decanus duodecim libellas {c} (Commentaires, xvii, p. 151).

Le portrait de Guénault par G. de Sève a été fort bien gravé en 1658 par Rousselet, {d} en médaillon seulement. Deux états, l’un avec et sans lettre – H., 30 cm. – L., 25 cm ; l’autre, dans lequel on a supprimé le médaillon et coupé le sujet, dans un ovale – H., 20 cm. – L., 16 cm. Au-dessous, cette inscription :

Guenaltum quæ docta manus simulavit in aere
Galenum sculpsit, sculpsit et Hippocratem
. » {e}


  1. Ce sujet est traité dans Hazon a (page 60), mais en des termes sensiblement différents de ceux que Noé Legrand a mis entre guillemets dans sa notice.

    Henri Mahieu a été doyen de la Faculté de 1690 à 1692, il avait précédemment été archiatre de la reine de Pologne. V. note [1], lettre 954, pour Mathieu Thuillier.

  2. « En ce temps-là, j’ai enfin obtenu le tableau de Me François Guénautl que je désirais depuis longtemps déjà, que notre collègue, M. Mathieu Thuillier avait promis de donner pour l’honneur et l’ornement < de la Faculté >. »

  3. « Le doyen a donné douze livres tournois à un marchant pour l’encadrement en bois doré de notre petit tableau de saint Luc et pour celui de Me François Guénault qui, de son vivant, a été premier médecin de Marie-Thérèse, reine de France. »

  4. La date de ce portrait gravé (et par conséquent du tableau, sans savoir lequel des deux a précédé l’autre) autorise à supposer qu’il a été dessiné pour celébrer le succès de Guénault dans la guérison de Louis xiv grâce à l’antimoine en juillet 1658 (v. note [6], lettre 532).

  5. « La savante main qui a gravé Guénault dans le bronze, a en même temps représenté Galien et Hippocrate. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 avril 1643, note 21.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0080&cln=21

(Consulté le 24/04/2024)

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