À Charles Spon, le 6 novembre 1657, note 21.
Note [21]

« Pierre court » ; énoncé scolastique {a} que Raymond Lulle {b} a le mieux développé : {c}

Substantia rationalis sensata est homo, Homo est substantia rationalis sensata. Ista conversio est continuationis, et ideo arguo sic, Omnis substantia rationalis sensata est homo, Petrus est substantia rationalis sensata, ergo Petrus est homo. […]

Homo currit, quidam currit est homo : prædicatio ista est per contractionem substantiæ et accidentis, et ideo arguo sic : Omnis homo currit, Petrus est homo, ergo Petrus currit : et ideo quia medium conversionis non intrat istum syllogismum, eo quod non convertit substantiam et accidens, et medium conjuctionis conjungit et medium extremitarum continuat, nascitur ista, Quidam homo currit : et ex hoc apparet quod quidam et aliquis, et huiusmodi non sunt de genere omnino universalis, sed sunt omnino particularia.

[« La substance raisonnable sensée est homme, l’homme est substance raisonnable sensée. » Cela étant une conversion de continuation, {c} j’énonce alors ceci : « Toute substance raisonnable sensée est homme, Pierre est substance raisonnable sensée, donc Pierre est homme. » (…)

« L’homme court, celui qui court est un homme » : cette affirmation se déduisant de la contraction de la substance et du fortuit, j’énonce alors ceci : « Tout homme court, Pierre est un homme, donc Pierre court » ; et puisqu’un moyen terme de conversion n’entre pas dans ce syllogisme, {d} étant donné que le fortuit ne convertit pas la substance, et que le moyen terme de la combinaison les associe et établit une continuité entre les extrémités, il en découle que « Tout homme court » ; et il est donc clair que tout un chacun n’appartient aucunement au genre qu’on dit universel, mais est tout à fait à part]. {e}


  1. V. note [3], lettre 433.

  2. Saint et philosophe mystique du xiiie s., v. note [3], lettre 265.

  3. Raymundi Lullii Opera quæ ad inventam ab ipso Artem universalem… pertinent… [Œuvres de Raymond Lulle… touchant à l’Art universel qu’il a lui-même inventé…] (Strasbourg, 1609, Lazarus Zetznerus, in‑8o), Tractatus de Conversione subiecti et Prædicati per medium [Traité de la mutation du sujet et de l’attribut par l’intermédiaire du moyen], De quinta Distinctione, quæ est de Homine [Cinquième distinction, qui concerne l’Homme], page 171‑172.

    Un siècle avant Lulle, Pierre Abélard (v. note [92] du Faux Patiniana II‑7) a recouru à Petrus currit, mais à l’appui d’un argument différent (l’ambiguïté du discours) et dans sa Dialectica manuscrite, qui n’a été imprimée qu’au xixe s.

  4. Conversion « se dit en logique des arguments qu’on retourne, qu’on rétorque, qu’on fait voir en un sens contraire » (Furetière). Une « conversion de continuation » me semble dénoncer ici une absence de lien logique entre la première et la seconde proposition.

  5. Dans le vocabulaire dialectique, un syllogisme (v. notes [8], lettre 196, et [19], lettre 376) est composé de deux propositions (ou prémisses), dites majeure (« Tout homme court ») et mineure (« Pierre est un homme »), suivies d’une conclusion (« donc Pierre court ») ; le moyen est le terme (mot) qui est exposé dans la mineure et dans la majeure (ici « homme ») ; l’extrémité majeure est le terme qui, avec le moyen, compose la majeure (ici « court »), et de même pour la mineure (ici « Pierre »).

  6. Autrement dit : comme tous les animaux, l’homme court, mais cela n’en fait pas un animal comme les autres, dont il faut le distinguer, car il est substance raisonnable sensée ; mais je ne suis pas absolument certain d’avoir pénétré toutes les subtilités scolastiques de Lulle.

S’il avait bien en tête le syllogisme de Lulle, Guy Patin paraissait vouloir dire que Bonaventure Basset n’était qu’un animal comme une autre, capable de courir, mais non doté de raison, un écervelé.

Patin aurait moins surpris son lecteur, mais aurait moins bien ajusté la flèche à sa cible, en empruntant à Thomas d’Aquin, {a} Sur la logique d’Aristote, opuscule xlvii, traité 2, chapitre ii, Ce que c’est que la substance suivant l’intention logique :

Unde existere sic de genere et specie dicitur, homoexistit accidentia communia. Sicut enim dicitur, homo existit, quia Petrus existit ; sicut homo currit, qui a Petrus currit.

« C’est pourquoi exister se dit du genre et de l’espèce, comme des accidents communs. De même, en effet, qu’on dit “ l’homme existe parce que Pierre existe ”, de même aussi, “ l’homme court parce que Pierre court ”. » {b}


  1. Contemporain de Lulle, v. note [24], lettre 345.

  2. Traduction de MM. les curés Védrine, Bandel et Fournet (1858).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 6 novembre 1657, note 21.

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(Consulté le 29/03/2024)

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