Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 21.
Note [21]

Tout le savant auditoire de Sorbonne s’esclaffa quand l’abbé de Souillac voulut dire « J’ai chez moi d’autres tomes où cela ne se lit point » ; et ce à cause des mots alia toma, accusatifs pluriels d’alium tomum, qui est un solécisme (faute de syntaxe) jugé inexcusable et hilarant, car profondément barbare dans le latin d’un postulant à une licence de Sorbonne : tomus [tome, volume] est un substantif masculin (et non neutre) et le bon cas accusatif pluriel eût bien sûr dû être alios tomos.

Le cordelier saisit la balle au bond pour ajouter, en jouant sur les mots toma et Thoma : « Parce que tu as vu, Thomas, tu as cru ; bienheureux ceux qui ne verront pas et croiront. » Il se référait aux versets de l’Évangile de saint Jean (20:27‑29) où saint Thomas, l’un des douze apôtres, ne veut pas croire en la résurrection du Christ crucifié, lequel lui dit alors :

« “ Porte ton doigt ici : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais croyant. ” Thomas lui répondit : “ Mon Seigneur et mon Dieu ! ” Jésus lui dit : “ Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu. ” »

Écrivant bien plus tard, le cardinal de Retz n’a pas manqué de narrer l’épisode dans ses Mémoires (pages 231‑234) :

« Le succès que j’eus dans les actes de Sorbonne me donna du goût pour ce genre de réputation. {a} Je la voulus pousser plus loin et je m’imaginai que je pourrais réussir dans les sermons. On me conseillait de commencer par de petits couvents, où je m’accoutumerais peu à peu. Je fis tout le contraire. Je prêchai l’Ascension, la Pentecôte, la Fête-Dieu dans les Petites-Carmélites, en présence de la reine {b} et de toute la cour ; et cette audace m’attira un second éloge de la part de M. le cardinal de Richelieu ; car, comme on lui eut dit que j’avais bien fait, il répondit : “ Il ne faut pas juger des choses par l’événement ; {c} c’est un téméraire. ” J’étais, comme vous voyez, assez occupé pour un homme de vingt-deux ans. […]

La licence de Sorbonne expira ; il fut question de donner les lieux, {d} c’est-à-dire déclarer publiquement, au nom de tout le Corps, lesquels ont le mieux fait dans leurs actes ; et cette déclaration se fait avec de grandes cérémonies. J’eus la vanité de prétendre au premier lieu, et je ne crus pas devoir céder à l’abbé de La Mothe-Houdancourt, qui est présentement l’archevêque d’Auch, {e} et sur lequel il est vrai que j’avais eu quelques avantages dans les disputes.

M. le cardinal de Richelieu, qui faisait l’honneur à cet abbé de le reconnaître pour son parent, envoya en Sorbonne le grand prieur de La Porte, {f} son oncle, pour le recommander. Je me conduisis, dans cette occasion, mieux qu’il n’appartenait à mon âge ; car aussitôt que je le sus, j’allai trouver M. de Ranconis, évêque de Lavaur, {g} pour le prier de dire à M. le cardinal que, comme je savais le respect que je lui devais, je m’étais désisté de ma prétention aussitôt que j’avais appris qu’il y prenait part. Monsieur de Lavaur me vint retrouver, dès le lendemain matin, pour me dire que Monsieur le cardinal ne prétendait point que M. l’abbé de La Mothe eût l’obligation du lieu à ma cession, mais à son mérite, auquel on ne le pouvait refuser. La réponse m’outra ; je ne répondis que par un souris {h} et par une profonde révérence. Je suivis ma pointe {i} et j’emportai le premier lieu de quatre-vingts voix. M. le cardinal de Richelieu, qui voulait être maître partout et en toutes choses, s’emporta jusqu’à la puérilité : il menaça les députés de la Sorbonne de raser ce qu’il avait commencé d’y bâtir, et il fit mon éloge, tout de nouveau, avec une aigreur incroyable. » {j}


  1. D’audacieux écrivain et orateur.

  2. Anne d’Autriche.

  3. Le résultat.

  4. L’enseignement et les actes de la licence étant achevés (ayant « expiré »), il fallait procéder à l’examen final pour classer chacun des candidats (lui attribuer son lieu). L’épreuve (orale ou, du moins, sans trace imprimée que j’aie su trouver) se déroulait le 29 janvier 1638 (Bertière b, page 66).

  5. Henri de La Mothe-Houdancourt, abbé de Souillac (v. supra note [20]), a fini sa carrière comme archevêque d’Auch de 1662 à 1684.

  6. Amador de La Porte (v. supra note [20]), commandeur dans l’Ordre de Malte, était alors grand prieur de France.

  7. Charles-François Avra de Ranconis, ami de Richelieu, a été évêque de Lavaur de 1636 à sa mort, en 1646.

  8. Sourire (ironique ou défiant).

  9. « J’allai de l’avant ».

  10. Aussitôt après, le lauréat partit se faire oublier quelque temps en Italie.

    La relation de Nicolas Bourbon, faite à chaud, montre qu’il avait bien pesé les talents du jeune Gondi et pressenti la remarquable carrière, politique, ecclésiastique et littéraire, qui l’attendait.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 21.

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(Consulté le 29/03/2024)

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