À Charles Spon, le 17 octobre 1656, note 22.
Note [22]

Antonio Escobar y Mendoza, prédicateur jésuite et casuiste espagnol (Valladolid 1589-1669), a fait paraître plus de 40 volumes dont il ne reste aujourd’hui que le souvenir des sarcasmes de Blaise Pascal. Son ouvrage le plus fameux est son Liber Theologiæ moralis, viginti-quatuor Societatis Iesu doctoribus referatus : Quem R.P. Antonius de Escobar, et Mendoza, Vallisoletanus, eiusdem Societatis theologus, in examen confessariorum digessit. Post 32 editiones Hispanicas et 3 Lugdunenses, editio novissima, auctior et correctior, additionibus illustrata [Livre de Théologie morale attesté par 24 docteurs de la Compagnie de Jésus, que le P. Antonio de Escobar et Mendoza, natif de Valladolid, théologien de la même Société, a composé pour l’examen des confessions. Édition la plus récente, qui vient après 32 éditions espagnoles et 3 lyonnaises, plus riche et plus correcte, éclairée par des additions] (Bruxelles, FranciscusVivienus, 1651, in‑8o, pour l’une des récentes éditions d’alors). Les principes moraux d’Escobar étaient fort relâchés. Par exemple, le § 45 de son examen viii (page 144) est intitulé De Sodomia quid dicendum ? [Que faut-il faut dire de la sodomie ?] :

Duplex est : quædam imperfectior, qua servato debito sexu, non servatur debitum vas ; grave peccatum, sed ob quod pœnæ non incuruntur, Civili vel Canonico iure constitutæ. Altera perfecta, qua ex affectu ad debitum sexum vir decumbit cum viro ; quare proprie Sodomia constituitur ex affectu ad personam indebiti sexus : ad incurrendas autem pœnas exigitur consummatio venerei actus in vase indebito. Hinc colligo coniunctionem fœminæ cum fœmina esse quidem Sodomiam perfectam ex affectu ad personam indebiti sexus ; propter eam minime pœnas incurri debere, quia non adest, nec adesse potest consummatio venerei actus in indebito vase. Verum non ultra progredi huius affectus malitiam reor, ac si vir accederet ad puerum facie ad faciem tanquam ad fœminam, etc.

[Elle est de deux sortes. Est imparfaite celle où, lors d’un rapport avec le sexe qui convient, on ne recourt pas à l’orifice qui convient ; c’est un grave péché, mais contre lequel on n’encourt pas de punitions établies par le droit, civil ou canonique. Est parfaite l’autre, où pour l’acte sexuel, un homme couche avec un homme ; parce que la sodomie consiste proprement en l’amour envers une personne du sexe qui ne convient pas : pour être aussi punissable, on exige la consommation de l’acte sexuel dans le réceptacle qui ne convient pas. D’où je conclus que l’union d’une femme avec une femme est certes une sodomie parfaite, en raison de l’amour envers une personne du sexe qui ne convient pas ; mais elle ne doit pas encourir de grande punition, parce qu’il n’y a pas et il ne peut y avoir consommation de l’acte sexuel dans le réceptacle qui ne convient pas. Mais je pense qu’il ne faut pas exagérer la malice de cet amour s’il s’agit d’un homme qui s’unit à un enfant face à face, comme il ferait d’une femme, etc.].

Escobar mit en avant cette maxime : « la pureté d’intention justifie les actions réputées blâmables par la morale et les lois humaines ». Ses subtilités, ses concessions aux plus mauvais penchants, cet anéantissement du péché par d’habiles distinctions avaient évidemment pour but d’assurer la puissance de son Ordre en lui ralliant les consciences faciles ; mais elles lui attirèrent les plus vives comme les plus justes attaques de la part de l’austère école janséniste. Les poètes, comme Nicolas Boileau-Despréaux (Poésies diverses), ne dédaignèrent pas de lancer quelques traits contre le théologien espagnol :

« Si Bourdaloue, {a} un peu sévère,
Nous dit : “ Craignez la volupté ! ”
— “ Escobar, lui dit-on, mon père,
Nous la permet pour la santé. ” »


  1. Le prédicateur jésuite Louis Bourdaloue, v. note [1], lettre 975.

L’Église même s’émut de la propagation de doctrines si facilement attaquables et les censura plusieurs fois. On a longtemps parlé d’une Ballade sur Escobar par M. de La Fontaine, mais elle ne fut exhumée qu’en 1811 par Barbier qui la trouva dans un recueil de facéties jansénistes :

« C’est à bon droit que l’on condamne à Rome
L’évêque d’Ypres, auteur de vains débats.
Ses sectateurs nous défendent en somme
Tous les plaisirs que l’on goûte ici-bas.
En paradis allant au petit pas,
On y parvient quoiqu’Arnauld nous en die.
La volupté sans cause il a bannie.
Veut-on monter sur les célestes tours ?
Chemin pierreux est grande rêverie :
Escobar sait un chemin de velours.

Je ne dis pas qu’on peut tuer un homme
Qui, sans raison, vous tient en altercas,
Pour un fétu ou bien pour une pomme ;
Mais on le peut pour quatre ou cinq ducats.
Même il soutient qu’on peut en certains cas
Faire un serment plein de supercherie,
S’abandonner aux douceurs de la vie,
S’il est besoin, conserver ses amours.
Ne faut-il pas après cela qu’on crie :
Escobar sait un chemin de velours ?

Au nom de Dieu, lisez-moi quelque somme
De ses écrits dont chez lui l’on fait cas.
Qu’est-il besoin qu’à présent je les nomme ?
Il en est tant qu’on ne les connaît pas.
De leurs avis servez-vous pour compas.
N’admettez qu’eux en votre librairie ;
Brûlez Arnauld avec sa coterie :
Près d’Escobar ce ne sont qu’esprits lourds.
Je vous le dis, ce n’est point raillerie :
Escobar sait un chemin de velours.

Envoi

Toi, que l’orgueil poussa dans la voirie,
Qui tiens là-bas noire conciergerie,
Lucifer, chef des infernales cours,
Pour éviter les traits de ta furie,
Escobar sait un chemin de velours. »

Escobar est devenu une sorte de nom commun servant à caractériser énergiquement l’homme qui sait accorder sa conscience avec ses passions et ses intérêts au moyen de raisonnements subtils (G.D.U. xixe s.). Escobarder, escobarderie et escobartin en ont aussi dérivé (Littré DLF).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 17 octobre 1656, note 22.

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(Consulté le 25/04/2024)

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