À Charles Spon, le 24 décembre 1658, note 22.
Note [22]

« On dit proverbialement, quand on est dans le plus difficile d’un ouvrage, que c’est le chiendent, ce qui donnera le plus de peine » (Furetière).

L’infante d’Espagne, Marie-Thérèse d’Autriche (v. note [27], lettre 287), était le seul enfant survivant du premier mariage (en 1615) de Philippe iv et d’Élisabeth de France, fille de Henri iv, morte en 1644. Guy Patin avait une parfaite compréhension de la « comédie », capitale pour l’avenir du royaume, que Mazarin venait de faire jouer à Lyon (v. note [5], lettre 542). R. et S. Pillorget :

« Deux ans auparavant, des contacts secrets franco-espagnols avaient eu lieu à Madrid. Hugues de Lionne y avait rencontré don Luis de Haro, neveu du comte-duc d’Olivares et son successeur. Philippe iv et son principal ministre savaient que la première condition de la paix avec la France serait le mariage de Louis xiv avec l’infante aînée, Marie-Thérèse. Or il n’existait pas de loi salique {a} en Espagne : les femmes, à défaut d’héritier mâle, accédaient à la couronne ; et Philippe iv n’avait qu’un fils, Felipe Prosper, si faible, si fragile que l’on ne pouvait guère espérer qu’il vivrait. La cour de Madrid se refusait à donner à celle de France l’espoir qu’une reine française régnerait un jour sur l’Espagne. Or à Paris, Anne d’Autriche tenait passionnément à ce mariage, dont elle espérait une réconciliation définitive de ses deux patries. Il en était de même de Mazarin, pour d’autres raisons : des droits à la couronne d’Espagne constitueraient pour les Bourbons un précieux capital. Il fit habilement courir le bruit qu’en raison du refus, ou tout au moins des atermoiements du roi d’Espagne, Louis xiv, qui venait d’avoir 20 ans, se disposait à épouser une autre de ses cousines germaines, Marguerite Yolande de Savoie. {b} Un rendez-vous fut fixé à cette princesse et à sa mère, à Lyon. Toutefois, aucune promesse ne fut faite : on convint que le mariage n’aurait lieu que si la jeune fille plaisait au roi. Celui-ci arriva à Lyon le 24 novembre, en compagnie d’Anne d’Autriche et de Mazarin. Louis, depuis quelque temps déjà, était amoureux de Marie Mancini, la jolie nièce du cardinal ; {c} cependant, il s’entretint longuement et gaiement avec sa cousine. Et la “ comédie de Lyon ” réussit admirablement : Philippe iv redoutait la continuation de la guerre, une offensive française en Italie et l’impossibilité de vaincre les Portugais, toujours en révolte ; il envoya donc en hâte à Lyon le marquis don Antonio de Pimentel {d} qui offrit à Louis xiv “ le mariage et la paix ” ; le roi dit alors adieu aux dames de Savoie, qui firent à la mauvaise fortune aussi bon visage qu’elles purent ; et la cour rentra à Paris en janvier 1659. La négociation entre Mazarin et Pimentel y fut poursuivie discrètement. {e} Elle s’avéra délicate. Cependant, une suspension d’armes de deux mois fut signée le 8 mai. Elle fut suivie de préliminaires de paix le 4 juin, et renouvelée. »


  1. V. note [15], lettre 739.

  2. Fille de Madame Royale, Christine de France, duchesse de Savoie et elle-même fille de Henri iv ; v. note [9], lettre 378.

  3. Qui était aussi du voyage.

  4. V. note [40], lettre 345.

  5. V. note [3], lettre 553.

La paix des Pyrénées et le contrat de mariage de Louis xiv avec de Marie-Thérèse furent signés le 7 novembre 1659. Le mariage eut lieu le 9 juin 1660.

Les princesses savoyardes ne furent pas les seules dupes de la « comédie de Lyon » ; Marie Mancini, dans ses Mémoires (page 108) paraît n’en avoir pas compris tout le fin et s’être un peu vite réjouie du retour de son royal galant à Paris :

« On parla de marier le roi avec la princesse Marguerite de Savoie, fille de Madame Royale, qui fut depuis la duchesse de Parme, princesse assurément d’un très grand mérite ; et cela obligea la cour de faire le voyage de Lyon. Cette nouvelle était capable de donner bien du trouble et de la peine à un cœur. Je le laisse à penser à ceux qui ont aimé, quel tourment ce doit être, la crainte de perdre ce qu’on aime extrêmement, surtout quand l’amour est fondé sur si grand sujet d’aimer ; quand, dis-je, la gloire autorise les mouvements du cœur, et que la raison est la première à le faire aimer. Comme mon mal était violent, il eut le destin des choses violentes ; il ne dura pas longtemps et ce mariage du roi se rompit avec la même promptitude qu’il avait été entamé. Ce fut à don Antonio Pimentel que j’eus cette obligation, qui étant arrivé, dans le temps qu’on l’allait conclure, avec les propositions d’un traité de paix dont il avait lui-même le projet, Leurs Altesses s’en retournèrent en Savoie et mon âme reprit en même temps sa première tranquillité. Les courtes peines, et qui sont suivies de bonheur, ne détruisent pas le goût des plaisirs ; au contraire, elles l’aiguisent. Ainsi, ayant le cœur délivré de toutes les peines passées, les témoignages sensibles que le roi me donnait de son amour avaient pour moi des charmes plus grands que jamais. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 décembre 1658, note 22.

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(Consulté le 28/03/2024)

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