Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 22.
Note [22]

Référence aux M. Annæi Senecæ Rhetoris controversiarum libri x [Dix livres des Controverses (plaidoyers contradictoires) de Marcus Sénèque le Rhéteur], seul ouvrage attribué à Sénèque l’Ancien (Cordoue vers 54 avant J.‑C.-39 après), père du bien plus célèbre Sénèque le Jeune (dit le Philosophe ou le Tragique, v. note [2], lettre 64). La Controversia viii du livre vi est intitulée Versus virginis vestalis [Le Vers de la vestale], avec cet argument :

Virgo Vestalis scripsit hunc versum : Felices nuptæ ; moriar nisi nubere dulce est. Rea est incesti.

[Une vestale écrivit ce vers : « Heureuses les mariées ! Je veux mourir s’il n’est pas vrai que le mariage est un bonheur. » On l’accuse d’avoir violé ses vœux de chasteté].

Ce texte, court et curieux, mérite d’être lu pour laisser à chacun le soin de comprendre ce que Gabriel Naudé pouvait vouloir dire en le citant (édition bilingue des Controverses et suasoires de Sénèque le Rhéteur par Henri Bornecque, Paris, Garnier Frères, 1902, tome premier, pages 289‑291) :

« Contre la vestale. {a} “ Heureuses les mariées ! ”, elle désire ce bonheur. “ Je veux mourir s’il n’est pas vrai que… ”, elle affirme ; “ le mariage est un bonheur ” : ou tu le sais par expérience, et c’est un serment, ou tu ne le sais pas par expérience, et c’est un faux serment ; ni l’un ni l’autre ne sont d’une prêtresse. – Devant toi les magistrats abaissent leurs faisceaux ; les consuls et les préteurs te cèdent le haut du pavé ; est-ce un trop faible salaire pour ta virginité ? – Une prêtresse doit jurer rarement et uniquement par Vesta, qu’elle sert. – “ Je veux mourir ”. Le feu éternel est donc éteint ? “ Je veux mourir ”. On t’a donc fait des propositions de mariage ? – C’est à toi que je m’adresse la dernière, Vesta : montre à ta prêtresse autant d’hostilité qu’elle te porte de haine. – Récite ce vers quand je te demande ce que c’est. – Quoi ! tu écriras un poème, tu attacheras aux vers la mollesse qui est dans tes pieds, et, par tes modulations, tu violeras la gravité que réclament les temples ? – Si tu veux à toute force louer le mariage, parle-nous de Lucrèce, écris des vers sur sa mort avant de faire un serment sur la tienne. – N’es-tu pas digne de tous les supplices, toi qui trouves une autre condition plus heureuse que le sacerdoce ? – “ C’est un bonheur. ” Quel mot expressif, quel mot sorti du fond du cœur d’une femme qui, non seulement connaît la chose, mais qui y a pris goût ! – Même s’il n’y a pas eu commerce charnel, celle qui le désire viole ses vœux de chasteté.

Thèse opposée. On lui reproche un vers, et encore pas tout entier. – On dit : “ Elle n’aurait pas dû écrire un poème. ” Il y a une grande différence entre un reproche et un châtiment. – On ne peut condamner une prêtresse pour avoir violé ses vœux de chasteté, si son corps n’est pas souillé. – Quoi ! tu t’imagines que les poètes ressentent ce qu’ils écrivent. – Elle a toujours vécu dans la vertu et la modestie ; ses habits n’ont rien de trop luxueux, sa conversation avec les hommes, rien de trop libre ; son seul crime, je vais vous l’avouer : elle a du talent. – Pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’envier Cornélie, d’envier la mère de Caton ou celles dont les enfants servent les dieux ? » {b}


  1. V. note [8], lettre latine 103, pour les vestales.

    Bornecque précise que le sujet de cette controverse a été vraisemblablement inspiré par le récit suivant de Tite-Live (Histoire de Rome, livre iv, chapitre xliv, § 11‑12) :

    « La même année, Postumia, vestale, accusée d’avoir violé son vœu, eut à se justifier de ce crime dont elle était innocente. On l’avait soupçonnée parce qu’elle aimait assez l’éclat, avec une certaine recherche dans sa parure et un esprit plus libre qu’il n’est bienséant à une vierge. Après deux informations, on finit par l’absoudre et, de l’avis du Collège, le pontife suprême lui ordonna de s’interdire à l’avenir tous les jeux d’esprit et d’avoir une mise où l’on vît plus de réserve que de recherche. »

  2. Cornélie (Cornelia Metella), épouse de Pompée (v. note [1], lettre 101), est un modèle de femme savante, artiste et vertueuse ; Caton le Censeur (l’Ancien) a réuni toutes les qualités du « vieux Romain » (v. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot).

    Une manière de comprendre la référence de Naudé à ce plaidoyer est d’y voir que la chasteté de l’esprit est distincte de celle du corps, ou, pour mettre les pieds dans le plat, que le libertinage de pensée n’implique pas celui des mœurs. En outre, ce qui compte le plus dans la vie est de faire de nobles enfants, qu’ils soient de chair ou de papier, pourvu qu’ils honorent Dieu.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 22.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8195&cln=22

(Consulté le 29/03/2024)

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