Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 24.
Note [24]

« Voyez… » : Gabriel Naudé recommandait quatre lectures ; leurs auteurs n’étaient pas tous libertins, tant s’en faut, mais ce qu’ils écrivaient jette une lumière assez crue sur deux facettes de cette école morale, partagées avec bien d’autres, mais volontiers passées sous silence, l’égocentrisme et la misogynie. {a}

  1. La Dan. Heinsii Dissertatio Epistolica, An viro literato ducenda sut uxor, et qualis ?… [Essai épistolaire de Daniel Heinsius, {b} l’homme de lettres doit-il prendre femme, et laquelle ?...] {c} est une lettre en prose de 37 pages, datée de Leyde le 1er juillet 1607 écrite à Jacobus Primerius, poète de Douai, qui se demandait s’il devait se marier. Elle se termine sur cette recommandation (page 37) qui place l’amour de la beauté devant celui de la fortune, s’il faut se résoudre à épouser :

    Nam si expectare potes, donec omnia ut oportet ibi erunt constituta, faxo lepidam puellam ex Anacreonte aut Homero eligas, cui dotem dabit Penia Platonis aut Idea. Nullus enim ibi usus erit nummi. Nunc autem quamquam in omnibus tuis, vena lenis et tersissimus elucet character, est tamen quidam in cutatis vestri regis et circumforaneo hoc auro, qui non paulo plus potest. Hæc res nobis fraudi est. Unum opto (ne perpetuo iocari me existimes) fidem ut habeas, homini non quidem erudito, sed qui aliquem, ni fallor, usum habet rerum atque experientiam. Quod ne sero intelligas, iterum atque iterum, suavissime Primerie, cave.

    [Car si vous pouvez attendre que tout soit bien arrangé comme il faut, choisissez alors une charmante jeune fille, telle que décrite par Anacréon ou par Homère, {d} et qu’aura dotée la Pénie ou l’Idéa de Platon, {e} étant donné qu’il n’y aura là aucun besoin d’argent. Pourtant, bien qu’aujourd’hui, parmi toutes vos qualités, brillent un cœur paisible et un caractère parfaitement irréprochable, personne, parmi les courtisans de votre roi et dans tout cet or qui circule, ne vous peut surpasser, si peu que ce soit. Cet argent sert à tromper. Je souhaite seulement (pour que vous n’alliez pas croire que je plaisante perpétuellement) que vous conserviez votre confiance en moi : je ne suis certes pas bien érudit, mais j’ai, si je ne me trompe, quelque habitude et expérience des choses. Une fois encore, mon cher Primerius, prenez garde de ne pas me comprendre trop tard]. {f}


    1. V. notule {d}, note [1], lettre 600, pour celle de Guy Patin.

    2. V. note [4], lettre 53.

    3. Leyde, Godefridus Basson, 1618, in‑12, opuscule de 140 pages contenant divers autres textes de Heinsius.

    4. Poètes grecs antiques, chantres de la beauté et de l’innocence des jeunes femmes : v. note [24] du Faux Patiniana II‑1 pour Anacréon, et [9], lettre 43, pour Homère.

    5. Pour dire, qui soit ou désargentée, ou intelligente :

      • dans le Banquet, Platon raconte qu’un jour Pénie, déesse de la pauvreté, « les dieux donnant un grand festin, celui des richesses, qui avait un peu trop bu, s’étant endormie à la porte de la salle, Pénie, venue là pour recueillir les restes du repas, l’aborda, lui plut, et en eut un enfant qui fut l’Amour » ;

      • Idéa figure simplement l’idée.

    6. En 1615, huit ans après avoir écrit sa lettre, Heinsius épousa la sœur de Jan Rutgers (v. note [18], lettre 201).

  2. Le début de « l’épître xxxi, première centurie, de Juste Lipse » à Theodorus Leewius (v. note [7] des Triades du Borboniana manuscrit), à La Haye, non datée, mais écrite en 1582 d’après l’ordre chronologique de l’Epistolarum selectarum Chilias [Millier de lettres choisies] (Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271) en donne le ton (pages 36‑37) :

    Quin sæpe sic aff<l>i<t>cior, ut quemadmodum mulieres quæ uterum ferunt, ad omnia nauseant : sic mihi nec scribendi libido ulla sit, vec legendi. Mare quoddam mortuum esse aiunt, sine vento, sine motu : sic sæpe ego. Sed tu me excitasti ; præsertim illa parte epistolæ, qua consilium a me petis de summa vitæ. Deliberas de conjugio, aut cœlibatu. Difficile mihi sententiam interponere, præiudicio iam pæne devinctam. Vides enim quid ipse fecerim. Ita nisi a coniugio dixero, damnem me ipse necesse est aut inconstantiæ aut erroris. Sed seponam tamen paullisper eam cogitationem, et de tota re videbo quasi liber et exsolutus. Ac principio conjugium si qui damnet, impius sit in utramque legem, et civium et naturæ. Stare genus humanum non posse omnes scimus, sine viri mulierisque cœtu. Non ergo universe id quæris, credo, an conjugium probandum : sed strictius, an sapienti, an hoc tempore, an tibi. Sapientiæ studia et vitæ quietem si sequeris, nescio an ducenda uxor. Exempla veterum sapientum in utrumvis sunt : ratio magis est ut neget. Si enim liber animus Deo et sibi vacans, ad sapientiam et tranquillitatem requiritur : non video quomodo adsumenda illa cura, quæ noctes diesque adhæreat, angat, coquat. Si satis molestiæ in te tuisque cupiditatibus regendis, frænandisque : quid aliunde accersis, cui imperes et moderere ? Cymbam nostram difficulter gubernamus : ecce navim adiunctam volumus cum tot armamentis ? Et fero adhuc, si reges, sed quid si regere illa vult ? si fulmenta lectum scandunt, ut vetus verbum est, quid ? nonne bellum tibi non civile, sed familiare sumendum est de principatu ? At enim moderatam audientemque tibi speras. Ita censeo et opto, sed qua in re unquam magis spes et vota fefellerunt ? An ex composito illo vultu, oculis, verbis, toto corpore ad modestiam ficto, uxorem eliges ? crede mihi nulla fides. Proprium hoc et velut innatum illi sexui, ut crudæ adhuc et vix pueritatem egressæ simulent, fingant, fallant.

    [Pourquoi donc suis-je souvent si abattu que tout me donne la nausée, comme si j’étais une femme enceinte ? Je n’ai alors aucun plaisir à écrire ou à lire ; me voici, une fois encore, comme cette mer qu’on dit morte, sans vent ni mouvement. Vous m’avez pourtant tiré de ma torpeur, surtout quand, dans votre lettre, vous me demandez conseil sur l’essentiel de la vie : vous délibérez sur le choix entre hymen ou célibat. Il m’est difficile de prononcer un jugement vraiment impartial : voyez comme je fis moi-même ; aussi n’aurai-je rien à dire d’autre du mariage, hormis qu’il me faut le condamner comme une inconséquence et une erreur. {a} Je m’écarterai pourtant temporairement de cette pensée et examinerai librement, impartialement et complètement votre question. Pour commencer, qui condamnerait le mariage se montrerait impie à l’égard des deux lois, et celle de la société et celle de la nature : nous savons tous que le genre humain ne peut subsister sans l’union de l’homme et de la femme. Je crois néanmoins que vous ne cherchez pas à savoir si le mariage doit être approuvé de manière générale, mais, plus particulièrement, s’il s’agit, pour vous et aujourd’hui, d’un parti raisonnable. Si vous cherchez à étudier la sagesse et à mener une vie paisible, je ne sais si vous devez prendre épouse, car les enseignements des anciens philosophes vont à l’encontre de vos deux desseins, et le plus raisonnable est d’y renoncer. De fait, si un esprit libre, se consacrant à lui-même et à Dieu, a besoin de sagesse et de tranquillité, je ne vois pas comment il peut y parvenir, si nuit et jour, il se trouve absorbé, inquiet et préoccupé. Si vous avez déjà suffisamment de mal à maîtriser et à freiner vos propres désirs, pourquoi donc iriez-vous chercher à gouverner et à modérer ceux d’une autre ? Quand nous peinons à diriger notre propre barque, pourquoi voudrions-nous lui adjoindre un autre navire, avec tout son armement ? Je le comprends, bien sûr, si c’est vous qui tenez la barre, mais que dire si elle veut la prendre ? Ne devrez-vous pas alors engager une guerre, non pas civile, mais familiale, pour savoir qui gouverne ? Sans doute espérez-vous que votre femme sera docile et soumise, et c’est ce que je pense et vous souhaite, mais, en la matière, les espoirs et les vœux n’ont-ils pas été déçus plus souvent qu’à leur tour ? Ne choisirez-vous pas votre épouse sur la belle apparence de douceur que vous feront voir son visage, son regard, son discours, tout son corps ? Ne vous y fiez pas un instant, croyez-moi ! Le propre de ce sexe, ce qu’il a d’inné, c’est qu’encore immatures et à peine sorties de l’enfance, les femmes feignent, fabulent, trompent]. {b}


    1. V. note [7], lettre 753, pour le mariage de Lipse en 1574, qui fut infécond et qu’on a dit avoir été malheureux.

    2. Ma traduction a tenu compte de cet avertissement de Bayle sur la plume de Lipse : « C’est une chose étrange qu’un style latin aussi mauvais que le sien ait pu créer une secte dans la république des lettres » (en étayant son jugement d’une savante et distrayante note M). Guy Patin partageait cet avis (v. note [19], lettre 605).

  3. V. note [14], lettre 748, pour le poète Philipe Des Portes (ou Desportes), abbé de Tiron. Ses 25 Stances du mariage, rééditées dans Les premières œuvres de Philippe Des Portes. Au roi de France et de Pologne. Revues, corrigées et augmentées outre les précédentes impressions (Rouen, Raphaël du Petit Val, 1594, in‑12, 567‑573) sont une féroce défense du célibat. En voici la première et la dernière :

    « De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
    De tout ce que les cieux ardemment courroucés
    Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
    D’angoisseuses langueurs, de meurtre ensanglanté,
    De soucis, de travaux, de faim, de pauvreté,
    Rien n’approche en rigueur la loi du mariage. […]

    Ô supplice infernal en la terre transmis
    Pour gêner les humains, gêne mes ennemis !
    Qu’ils soient chargés de fers, de tourments et de flammes ;
    mais fuis de ma maison, n’approche point de moi,
    Je hais plus que la mort ta rigoureuse loi,
    Aimant mieux épouser un tombeau qu’une femme. »

  4. V. note [29], lettre 203, pour Daniel Rampalle et ses Discours académiques (Paris, 1647), dont le cinquième est intitulé S’il se faut marier ou non. À Cléandre (pages 233‑279). Sa conclusion ne laisse aucune place au doute sur ses sentiments :

    « Ce lien, tout sacré qu’il est, serait rompu très souvent, presque aussitôt que noué, si les divorces étaient encore en usage, ou qu’il y eût une année de noviciat en cet ordre comme en tous les autres. Vous vous étonnerez, Cléandre, que j’en parle en ces termes, mais repassez en votre esprit toutes les souffrances et les inconvénients où s’exposent ceux qui s’épousent, et vous confesserez avec moi qu’il n’est que trop vrai qu’après la religion des capucins, celle des mariés est la plus austère. Que si vous en voulez prendre tout à la fois une sommaire idée, représentez-vous l’inconstance et les vanités d’une femme, les infirmités de son sexe, l’incertitude de sa fidélité, les chagrins de sa grossesse, les cris de l’enfantement, l’incommodité de ses couches, les importunes clameurs des petits enfants, le soin de leur avancement, la crainte de les perdre et le regret de les quitter. Et après tout cela, sondez jusques au fond de votre âme ; que s’il vous reste encore quelque volonté de vous marier, allez à la bonne heure {a} vous embarrasser dedans ces épines, car si l’appât d’une faible douceur vous ôte l’appréhension de tant de peines, vous méritez de les souffrir. »


    1. Avec tous mes souhaits.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 24.

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(Consulté le 26/04/2024)

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