À Charles Spon, le 27 juin 1654, note 3.
Note [3]

« Luther employait certains mots magiques. »

À la page 158 de ses Commentaria (1549, v. supra note [2]), Iohannes Cochlæus prête à Érasme cet avis sur Martin Luther : {a}

Videor (inquit) hoc mihi in Lutheri scriptis animadvertisse. Non semper est intentus iis, quæ scribit : Nec id fieri potest, ut hominis animus, perpetuo sit intentus alicui negocio, semper tamen illi currit calamus. Itaque quo crescat volumen, plurima incidunt, quæ nihil aliud quam chartas explent. Nunc repetit plus decies dicta, commutatis tantum verbis : Nunc concionatur, versans in locis communibus : Nunc asseverationius explet chartas : Nunc ineptis salibus et infacetis eximit tempus : Nunc quicquid offertur aut succurit animo, quocunque modo detorquet ad causam suam, ac præter convicia, quibus natura scatet, habet verba quædam veluti magica, quæ non ratione, sed vehementia quadam afficiant lectoris animum, vel imbecillem, vel parum eruditum. In quibus quoniam imaginatio plurimum valet, juxta Physicos, adeo, ut frequenter morbos graveis et mortem pariant : fit, ut quodammodo afflentur spiritu, utinam sancto.

[Dans les textes de Luther (dit-il), {b} il me semble avoir remarqué qu’il n’est pas toujours attentif à ce qu’il écrit ; il est d’ailleurs impossible que l’esprit d’un homme demeure en perpétuel éveil sur un sujet donné en laissant toujours libre cours à sa plume. À mesure que s’entassent les feuilles, saccumulent donc quantité de phrases qui ne servent à rien d’autre qu’à noircir le papier : tantôt il répète ce qu’il a déjà dit plus de dix fois, en se contentant d’en changer les mots ; tantôt il harangue en recourant aux lieux communs ; {c} tantôt il couvre ses pages d’affirmations péremptoires ; tantôt il perd son temps à des plaisanteries stupides et grossières ; tantôt il déforme tout ce qui s’offre ou lui vient à l’esprit, pour le mettre au service de sa cause et, en sus des inectives qui jaillissent naturellement de sa plume, il emploie certains mots qui semblent magiques, {d} dont la véhémence, et non la pertinence, touche un lecteur doté d’une intelligence ou d’un savoir modeste. Le fait est que pour de telles gens l’imagination prime sur tout, fantaisie qui chez les médecins va fréquemment jusqu’à aggraver les maladies et provoquer la mort. {e} Ils paraissent à tout prix vouloir qu’un souffle les inspire, dans l’espoir qu’il soit saint].


  1. Cochlæus dit avoir emprunté au liber Erasmi tertius de libero arbitrio [troisième livre d’Érasme sur le libre arbitre]. Je n’ai pourtant pas trouvé ces propos dans la De Libero Arbitrio διατριβη, sive Collatio, Desiderii Erasmi Roterod. Primum legito, deinde iudicato [Diatribe ou Contribution de Désiré Érasme de Rotterdam sur le libre arbitre. Lis d’abord, puis juge] (Bâle, Ioannes Frobenius, 1524), in‑8o de 95 pages qui n’est divisé ni en livres ni en chapitres. Il me paraît donc raisonnable de tenir ce texte pour apocryphe.

  2. Dit Érasme.

  3. Propos banals (sens moderne), ou citations empruntées à d’autres auteurs (sens classique).

  4. Mise en exergue du passage qui a inspiré Guy Patin, en l’attribuant clairement à Cochlæus (« c’est lui qui a dit ») et non à Érasme. Patin ne connaissait alors ce livre que par ouï-dire, mais je doute qu’il s’y soit laissé prendre quand il l’a eu en mains (le 31 octobre 1654, v. note [2], lettre 378).

  5. Le latin, juxta Physicos, adeo, ut frequenter morbos graveis et mortem pariant, est fautif ; je l’ai quand même traduit comme j’ai pu, mais il me semble être vraiment indigne d’Érasme, et dénoncer la supercherie de Cochlæus (qui écrivait 13 ans après la mort d’Érasme).

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 27 juin 1654, note 3.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0357&cln=3

(Consulté le 16/04/2024)

Licence Creative Commons