À Charles Spon, le 1er décembre 1654, note 3.
Note [3]

Annoncé depuis un bon moment, c’était :

Le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant, {a} ou examen de l’Antimoine justifié de M. Eusèbe Renaudot, etc. Par Maître Jacques Perreau, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, professeur en pharmacie et l’un des anciens doyens d’icelle. {b}

Perversitas est tanta quorumdam, ut velint,
Frugibus repertis, glande vescier tamen :
Sed maior est perversitas, salubribus
Tot bene repertu, malle virus Stibii. {c}


  1. Titre que deux ouvrages polémiques publiés par Jean-Pierre Camus (1632 et 1634, v. notule {d}, note [14], lettre 286) ont sans doute inspiré.

  2. Paris, Simon Moinet, 1654, in‑4o en deux parties de 288 et 84 pages. Le permis d’imprimer est daté du 23 novembre 1654.

  3. Sous-titre de couverture, renvoyant à la citation de Cicéron qui figurait déjà en tête du Rabat-joie de L’Antimoine triomphant d’Eusèbe Renaudot (Paris, 1654, v. note [21], lettre 312), et du Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau (Paris, 1654, v. note [3], lettre 346) :

    « La bizarrerie de certains est si grande qu’ils veulent se nourrir de glands, quand on a le blé ; mais plus grande est la bizarrerie de préférer le poison d’antimoine à tout ce qu’on a inventé de remèdes bien utiles à la santé. »

L’épître dédicatoire en français, adressée « À la plus saine et meilleure partie de Messieurs les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris », est un condensé des sentiments virulents qui opposaient alors les deux partis, et illustre à merveille le style outré et fleuri qu’on employait pour échanger les arguments de la « guerre de l’antimoine ».

« Messieurs, Le ressentiment {a} des obligations que j’ai à notre École, qui m’a, comme enfant de ses enfants, nourri petit du lait le plus pur de sa véritable doctrine, élevé jeune à la dignité de docteur régent et favorisé de toutes ses charges honorables, a fait un tel mouvement dans mon âme et tellement agité mes esprits que, de muet que j’étais, ma langue se déliant tout à coup par un effort extraordinaire d’amour, je me suis trouvé, sans y penser, assez de voix pour m’écrier, comme le fils de Crésus dans l’appréhension de voir tuer son père, {b} contre deux de nos docteurs entre autres ; lesquels trahissant la cause de leur mère et se rangeant du parti de ses ennemis, lui tiennent le poignard sur la gorge pour la contraindre à se dédire de ce qu’autrefois employée, par autorité du Parlement, à rechercher plus curieusement, et décider en dernier ressort la nature et les vertus de l’antimoine, elle a prononcé solennellement contre lui, le condamnant de venin, après en avoir mûrement examiné les raisons, l’an 1566, par la bouche d’un digne doyen, Me Simon Piètre, surnommé le Grand pour son éminente doctrine et pour les illustres enfants qu’il a laissés, {c} de l’avis de tant de célèbres docteurs de ce siècle-là, fertile, s’il en fût jamais, en personnages versés en toutes sortes de sciences.

Le premier de ces faux frères est Me Jean Chartier qui, comme capitaine des enfants perdus, s’avançant à l’étourdi et franchissant le saut, sans considérer l’importance de l’affaire, commença l’attaque, il y a environ deux ans, par le plus indigne livre que jamais docteur de Paris ait mis en lumière, intitulé Le Plomb sacré des sages, fagoté sur les mémoires d’un certain souffleur écossais nommé Davidson, {d} à la persuasion de quelques esprits ennemis de l’Antiquité et amateurs de nouveauté qui le flattaient de quelques espérances imaginaires. Mais Omen in nomine, {e} ce fut sans aucun succès, cette feuille volante n’ayant été jugée bonne que pour les beurrières et pour les plus sales offices de l’infirmité humaine.

Le second suivant les mêmes brisées est Me Eusèbe Renaudot, aussi jeune que le premier, qui pour se mettre en crédit et s’acquérir les bonnes grâces des médecins de l’aveugle fortune, possible {f} aussi poussé d’un désir ardent de recueillir une moisson dorée, pareille à celle que remportent, à son dire, les donneurs de vin émétique, a compilé ce panégyrique de l’Antimoine justifié et triomphant, traînant après son char victorieux un nombre infini de souffleurs, empiriques et charlatans ; parmi lesquels, chose étrange et inouïe ! on voit trop de nos docteurs enchaînés comme esclaves, {g} chantant tous ensemble à son honneur avec grand applaudissement de fausses louanges, à l’envi les uns des autres. Livre d’autant plus dangereux et plus à craindre que l’auteur est plus cauteleux et plus artificieux ; couvrant du manteau de quelques louanges le mal-talent {h} qu’il a contre notre École, tant de son chef que comme héritier de son père, Théophraste Renaudot, auteur des Gazettes, qui a fait durant son vivant tout ce qu’il a pu pour la ruiner, ainsi que ce bon fils s’y prend encore fort bien ; déguisant sa calomnie de préfaces d’honneur et comme retirant à soi sa médisance, ni plus ni moins que l’archer sa flèche tant qu’il peut, pour la décocher et darder plus puissamment, et la faire pénétrer plus avant dans le cœur de ses lecteurs. L’École de Paris, dit-il, est la plus florissante et ses docteurs, les plus célèbres de tout l’Univers ; mais pour dire vrai, ils n’ont point connu jusqu’à présent la nature de l’antimoine. Qu’est-ce autre chose cela que tremper la lancette dedans l’huile pour la faire couler {i} plus doucement et trancher avec moins de ressentiment ? Cacher le stylet dans le coton musqué {j} et dire, avec l’apôtre perfide qui trahissait son maître par un baiser, Ave Rabbi ? {k} En un mot, lui vouloir faire perdre finement par ce blâme masqué la haute réputation, qu’elle s’est toujours conservée, de la plus docte et la plus savante Faculté qui fût jamais ? Misérables et dénaturés enfants, l’un et l’autre, qui par une obstination d’intérêt particulier, font gloire de se moquer de leur mère, comme autrefois le maudit Cham, de son père ! {l} Engeance de vipères qui essaie de se mettre au monde en rongeant les entrailles de celle qui les a conçus ! Esprits malins qui prétendent, à l’exemple de cette {m} infâme incendiaire du Temple de Diane d’Éphèse, {n} signaler leur mémoire en jetant le feu de dissension dans celui d’Apollon de notre France pour le réduire en cendres, et de ses ruines en rebâtir un nouveau dont l’antimoine, le scandale à présent de notre École, sera la pierre fondamentale et servira d’ornement à tout le reste de l’édifice, tel que Dieu promettait aux maisons de son peuple, les faisant paver de ce minéral et enjoliver, de même que les dames en embellissent leurs sourcils ; {o} et sur le frontispice duquel, au lieu du divin Hippocrate, Galien et autres princes de médecine, sera élevée la statue massive de cet homme de vin, cet ennemi forcené des bonnes sciences, Paracelse, avec ses successeurs forgerons, premiers inventeurs des préparations diverses de son antimoine. Antimoine ! leur dieu de médecine, pour lequel établir ils imitent l’artifice des anciens païens : car comme ceux-ci, pour se flatter en la créance qu’ils avaient que Jupiter était le père, le chef et le souverain maître des dieux, lui donnaient les titres de très bon, très grand, très puissant, victorieux, triomphant, libérateur, nourricier, hospitalier, tonnant, fulminant, foudroyant et autres éloges honorables, eux aussi à cet exemple, pour faire de ce métal un fantôme de divinité, le nomment le plomb sacré adoré par les philosophes (c’est ainsi qu’ils appellent les chimistes, par antonomase) ; le Jupiter non ammonien, mais antimonien, à qui Vulcain fend la tête avec une cognée, ou hache, toute de feu, pour en faire sortir Minerve, déesse des sciences, des arts et des inventions ; le protée {p} qui se métamorphose en cent diverses figures et formes ; le caméléon qui se change en toutes sortes de couleurs, sous lesquelles il paraît travesti et joue divers personnages qu’il représente sur le théâtre de médecine ; le Cyclope de grandeur démesurée, duquel quantité de petits satyres mesurent la grosseur du pouce, hiéroglyphique {q} de la grandissime force et vertu de ce remède-poison à comparaison de ceux de la pharmacie ordinaire ; le loup qui dévore tout excepté l’or, duquel au contraire ses clients {r} sont grandement affamés et fort friands ; le Bucéphale qui ne laisse monter sur soi que les marqués à l’A, {s} encore faut-il que le grand écuyer, Me Eusèbe Renaudot, leur montre comme l’on s’y doit prendre ; l’hermaphrodite qui sous le double sexe adultère tout ; {t} la Phryné qui découvrant sa belle gorge, charme ses juges pour se garantir de l’arrêt de sa condamnation ; {u} le Tétragone doué de quatre titres merveilleux pour la cure des maladies, étant vulnéraire, vomitif, déjectif et sudorifique ; {v} le Pentagone, ajoutant aux quatre avantages mentionnés la vertu de conforter le cœur et les autres parties nobles, de sorte qu’étant ainsi flanqué de ces cinq bastions et fortifié régulièrement, il est à l’épreuve de toutes sortes de batteries ; l’Heptastre, remède divin composé du mélange de ce minéral en certaines constellations avec les sept métaux dont il prend sa dénomination, et desquels aussi bien que des planètes, qu’ils assurent verser sur eux leurs influences, ils lui font tirer des vertus toutes extraordinaires pour produire des effets miraculeux, l’ange du Seigneur ayant versé, à ce qu’ils content, sur ce minéral diversité de vertus, aussi bien que dans le lavoir de Siloé, {w} d’autant plus digne d’admiration qu’elles partent d’une chose si simple en apparence qu’il ne semble pas qu’elles puissent toutes éclore d’un même sein. Bref, c’est à leur dire un Polychreste, une Panacée, une Magnésie, préférables à tout ce que la Nature a pu produire jusqu’à présent pour la cure des maladies. […]

C’est le motif et le sujet pour lequel je prends la hardiesse de vous dédier ce mien petit travail, comme aux vrais et légitimes héritiers du courage de nos ancêtres à maintenir la pure et vraie doctrine d’Hippocrate et de Galien, les deux grandes lumières de médecine, et à rejeter toutes ces nouveautés, autant dangereuses en notre art qu’elles le sont en la religion. J’espère que vous recevrez cette offre d’aussi bon œil que je vous la présente de bon cœur ; et que si je ne m’acquitte autant dignement de cette entreprise que l’affaire le mérite, vous ne blâmerez < point > le zèle pieux qui m’emporte à vouloir pour un si juste sujet plus même que mes forces ne peuvent porter, et à me commettre avec ce vaillant champion, Me Eusèbe Renaudot, qui ne présume pas moins en fait d’armes que ce grand cavalier fabuleux Renaud de Montauban, {x} dont il est le diminutif. Je me contenterai seulement de faire voir l’injustice de sa cause en attendant que de plus rudes lanciers viennent sur les rangs, qui feront voler les arçons à ce présomptueux prétendu triomphant, le désarmeront tout à fait, et feront connaître à tout le monde que sa victoire n’a pas été entière et que son triomphe n’est qu’en fumée, fondé seulement sur des preuves mensongères et sur une fausse persuasion qui a suborné {y} la plus grande part des certificateurs, leur faisant entendre que le vin émétique d’antimoine avait été reçu à bras ouverts par notre École et mis {z} en la place de l’ellébore d’Hippocrate, il y a environ 14 ans. Cette docte Compagnie a trop de connaissance des mauvaises qualités de ce poison antimonial pour avoir fait cette rétractation, et est trop consciencieuse pour y condescendre et se rendre complice des mauvais succès qui arrivent tous les jours, non seulement au sujet des empiriques, charlatans et ignorants, mais aussi d’une bonne partie des approbateurs ; lesquels, nonobstant les cautions expliquées dedans cet auteur par forme de discours, n’ont en effet d’autre indication dans la pratique, sinon que le malade est en danger, que les remèdes ordinaires ne le peuvent sauver et qu’il en faut venir au vin émétique ; quoiqu’ils ne sachent pas, à son dire même, quelle bête que c’est que l’antimoine et qu’ils ne se servent de lui que comme on fait des montres que chacun porte par contenance, sans savoir l’artifice des roues, des contrepoids et des autres machines qui font jouer les ressorts. J’aurais sur cela beaucoup de plaintes à vous faire ; mais je m’en abstiendrai pour le présent, de peur que cette épître, laquelle je m’aperçois être venue insensiblement dans un excès de longueur, où ma juste passion a comme entraîné le fil de mon discours, ne grossisse encore plus, et ne donne sujet légitime aux critiques de la censurer. Il ne m’importe pourtant de tout ce qu’ils pourront dire, pourvu qu’elle vous agrée et que vous soyez assurés que je suis, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur et collègue,

Jacques Perreau. De Paris, ce 16e de novembre 1654. »


  1. La reconnaissance.

  2. V. note [23], lettre 279.

  3. Attribution à Simon i Piètre du surnom de Grand, qu’on réservait alors ordinairement à son fils aîné Simon ii.

  4. V. note [1], lettre 275.

  5. « Comme le titre l’annonçait ».

  6. Peut-être.

  7. Les 61 signeurs de l’antimoine en 1652, v. note [3], lettre 333.

  8. Mauvaise volonté.

  9. Glisser.

  10. Doux.

  11. Salutation de Judas (v. note [2] de l’Introduction au Borboniana manuscrit) à Jésus (Rabbi) avant de l’embrasser pour le désigner à la troupe venue l’arrêter (Matthieu, 26:49).

  12. Noé ivre et nu (v. notule {c}, note [34], sur la triade 63 du Borboniana manuscrit).

  13. Sic pour cet.

  14. Érostrate, v. note [13], lettre 754.

  15. « On l’emploie (l’antimoine) surtout pour les yeux ; et il a été nommé par la plupart platyophthalmon (qui élargit les yeux), parce que, faisant paraître les yeux plus grands, il est employé dans les préparations callibléphariques (embellissant les paupières) des femmes » (Pline, Histoire naturelle, livre xxxiii, chapitre xxxiv ; Littré Pli, volume 2, page 416).

  16. V. notes [12], lettre 300, pour Minerve isue de la tête de Jupiter, et [8], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656, pour Protée.

  17. Symbole mystérieux ; v. note [25] du Faux Patiniana II‑6, pour le caméléon.

  18. Vassaux.

  19. Lettre salutaire dans Cicéron.

  20. V. note [2] du Naudæana 3.

  21. V. notules {a} et {b}, note [21], lettre 312.

  22. Bassin de Jérusalem où le Christ accomplit la guérison de l’aveugle.

  23. V. note [7], lettre 54.

  24. L’un des quatre légendaires fils Aymon.

  25. Corrompu.

  26. Dans le Codex.

Suit une série de lettres louangeuses en latin (Laudationes encomiasticæ eruditorum virorum) adressées à Jacques Perreau par les principaux meneurs du clan antistibial : Jean Merlet, René Moreau, Antoine Carpentier, Guy Patin, etc.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er décembre 1654, note 3.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0380&cln=3

(Consulté le 25/04/2024)

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