À André Falconet, le 6 mai 1659, note 3.
Note [3]

Étienne Le Camus (Paris 1632-1707), docteur en théologie en 1650, avait acquis une charge d’aumônier du roi. Il fut à cette époque un abbé très mondain, puis il se convertit au mode de vie le plus austère. Évêque de Grenoble en 1671, il fut élevé au cardinalat en 1686, et mourut en odeur de sainteté (Adam).

Mme de Motteville (Mémoires, page 476) a fourni quelques détails sur le scandale dont Guy Patin évoquait seulement ici les conséquences :

« La sainte semaine ensuivant, une troupe de jeunes gens de la cour allèrent à Roissy pour les jours saints, dont étaient le comte de Vivonne, gendre de Mme de Mesmes à qui appartenait la maison, {a} Mancini, neveu du ministre, {b} Manicamp, {c} et quelques autres. Ils furent accusés d’avoir choisi ce temps-là, par dérèglement d’esprit, pour faire quelques débauches, dont les moindres étaient d’avoir mangé de la viande le vendredi saint ; car on les accusa d’avoir commis de certaines impiétés indignes, non seulement de chrétiens, mais même d’hommes raisonnables. La reine, qui en fut avertie, en témoigna un grand ressentiment. Elle exila l’abbé Le Camus pour avoir eu commerce seulement avec des gens si déréglés, quoiqu’il ne fût pas avec eux les jours que ces choses se passèrent. Le cardinal Mazarin, pour montrer qu’il ne voulait pas protéger le crime, voulut punir tous les complices en la personne de son neveu, qu’il chassa de la cour et de sa présence. Et après avoir châtié celui-là, il pardonna à tous les autres, qui en furent quittes pour de sévères réprimandes que le roi leur fit. Cette action obligea toute la cour à louer le cardinal, non seulement en sa présence, mais en tous lieux. Comme il avait souvent préféré l’intérêt à la gloire, il fit voir par sa conduite qu’il voulait lui sacrifier le reste de sa vie. Il se voyait au comble de la grandeur, et d’une grandeur assurée ; si bien qu’il voulait non seulement posséder cette haute fortune dont il jouissait, mais sans doute qu’il souhaitait aussi de faire des actions publiques qui pussent faire connaître qu’il en était digne. Les crimes de ces jeunes débauchés avaient donné une occasion au cardinal de se signaler, mais sa famille en souffrit un peu car son neveu, comme je l’ai dit, fut exilé, et le peu de beauté de sa nièce {d} fut célébré par un couplet qu’ils firent, qui eut grande vogue et qui n’était pas à sa gloire. »


  1. Henri ii de Mesmes, marquis de Moigneville, mort en 1650 (v. note [12], lettre 49), était seigneur de Roissy (Roissy-en-France, Val-d’Oise) ; il y possédait un château qui appartenait alors à sa veuve, Marie de La Vallée de Fossés. En 1655, le comte de Vivonne (v. note [2], lettre 562) avait épousé Louise-Antoinette de Mesmes (1641-1709), leur fille.

  2. Philippe-Julien Mancini.

  3. V. note [2], lettre 641.

  4. Marie Mancini.

Bussy-Rabutin (Mémoires, pages 60‑67, v. note [9], lettre 822) a laissé un récit détaillé de cette affaire :

« Dans ce temps-là je fus d’une partie de plaisir à la campagne qui fit bien du bruit. Je l’écrivis et la montrai un an après à Mme…, pour lors de mes amies ; elle en fit une histoire à sa mode qu’elle fit courir dans le monde quand nous nous brouillâmes ; mais voici naturellement comme elle se passa. Vivonne, premier gentilhomme de la chambre du roi, voulant aller passer les fêtes de Pâques à Roissy, qui est une terre à quatre lieues de Paris, qui lui venait du côté de sa femme, proposa à Mancini, neveu du cardinal Mazarin, et à l’abbé Le Camus, aumônier du roi, d’être de la partie, lesquels ne s’en firent pas presser. Deux jours après qu’ils y furent, le comte de Guiche et Manicamp l’ayant appris, les allèrent trouver et menèrent avec eux le jeune Cavois, lieutenant au régiment des gardes. Aussitôt qu’ils y furent arrivés, Mancini et l’abbé s’enfermèrent dans leurs chambres, se défiant des emportements du comte de Guiche et de Manicamp, et le lendemain jour du vendredi saint, ils en partirent de grand matin et revinrent à Paris. Quand Vivonne et les autres l’eurent appris, ils proposèrent de m’envoyer prier de les aller voir. Vivonne m’en écrivit un billet et moi, n’ayant alors rien à faire à Paris, je montai à cheval et je les allai trouver. Je les rencontrai qu’ils venaient d’entendre le service. Un moment après, nous envoyâmes à Paris quérir quatre des petits violons du roi et nous nous mîmes à table. Après dîner, nous allâmes courre un lièvre avec les chiens du Tilloy. Pour moi, qui n’aime point la chasse, je m’en revins bientôt au logis où ayant trouvé les violons, je me divertis à les entendre. Je n’eus pas pris ce plaisir une heure durant, que je vois entrer dans la cour le comte de Guiche au galop, qui menait un homme par la bride de son cheval comme un prisonnier de guerre, et Manicamp derrière avec un fouet de postillon pour le presser. Je courus pour savoir ce que c’était. Je trouvai un homme vêtu de noir assez âgé qui avait la mine d’un honnête homme. Il me fit pitié, et ayant témoigné au comte de Guiche que je condamnais son procédé, le bon homme prit la parole et me dit qu’il entendait raillerie. Je le menai dans la salle où il me conta que s’en retournant à Paris de sa maison de campagne, il avait rencontré ces Messieurs ; que le comte de Guiche qui l’avait abordé le premier, lui ayant demandé qui il était, il lui avait répondu qu’il était le procureur de M. le cardinal, nommé Chantereau ; que le comte de Guiche lui avait dit “ Ah, M. Chantereau, je suis fort aise de vous avoir rencontré, il y a longtemps que je vous cherchais, j’ai ouï faire bon récit de votre capacité et pour moi, j’ai toujours fort aimé la chicane ” ; que sur cela il avait bien vu que c’était de la jeunesse qui voulait rire et qu’il avait pris son parti de ne se point fâcher. Il me fit cette relation avec la même exactitude qu’il aurait fait une information. Je lui dis qu’il avait fait en galant homme et je lui fis apporter du vin pendant qu’on faisait manger de l’avoine à son cheval. Après cela, il nous quitta fort content de la compagnie, et particulièrement de moi. Les violons recommencèrent à jouer jusqu’au souper que nous passâmes gaiement, mais sans débauche. Au sortir de table, nous les menâmes au parc où nous fûmes jusqu’à minuit. Le samedi nous nous levâmes fort tard et nous passâmes le reste de la journée à nous promener dans des calèches. Comme nous avions impatience de manger de la viande, nous voulûmes faire médianoche. {a} Ce repas-là ne fut pas si sobre que les autres ; nous bûmes fort et sur les trois heures après minuit, nous nous allâmes coucher. Nous étant levés à onze heures du matin le jour de Pâques, nous ouïmes la messe dans la chapelle du château, nous dînâmes et nous nous en retournâmes à Paris où à l’entrée de la ville, chacun s’en alla de son côté. Nos ennemis et ceux qui sans haïr ne laissent pas de couper la gorge, se souvinrent de nous à la cour. Ils savaient qu’un des plus grands plaisirs qu’ils pouvaient faire au cardinal était de lui fournir des prétextes de ne pas faire du bien à ceux à qui il en devait, et de se venger de ses ennemis. Ils lui dirent donc la partie de Roissy, et qu’on y avait fait mille choses contre le respect qu’on doit à Dieu et au roi. Il avait des raisons particulières de haïr, de craindre ou de se défier de tous ces Messieurs. Pour moi, il eût été bien aise de me faire une querelle pour me faire perdre, ou du moins pour différer les récompenses qu’il me devait. Tout cela fit résoudre le cardinal de se servir de cet avis aux occasions ; et pour cacher le mal qu’il nous préparait sous des apparences d’une justice fort exacte, il commença par exiler à Brisach Mancini, son neveu, et l’abbé Le Camus à Meaux, et fit courre le bruit qu’il s’était fait à Roissy mille impiétés, dont les dévots, disait-il, avaient fait des plaintes à la reine. Le peuple qui grossit tout et qui fait bien plus de cas du merveilleux que du véritable, décida bientôt de ce qui s’était fait à Roissy. Il dit d’abord qu’on y avait baptisé des grenouilles, et puis il revint à un cochon de lait ; d’autres qui voulaient raffiner sur l’invention, disaient qu’on y avait tué un homme et mangé de sa cuisse ; enfin il n’y eut guère d’extravagance à imaginer qui ne fût dite. Cependant, ayant eu avis que la reine elle-même en avait parlé comme d’une affaire odieuse et pleine de scandale, je résolus de lui en parler. Je lui dis donc que j’avais appris qu’on disait mille sottises de notre voyage de Roissy et que même, on en avait entretenu Sa Majesté ; que je la suppliais très humblement, par l’intérêt que je savais qu’elle prenait aux choses qui regardaient la religion, de vouloir éclaircir la vérité et de faire ordonner un maître des requêtes pour aller informer sur les lieux ; que le métier que j’avais fait depuis vingt-cinq ans ne m’avait pas rendu fort délicat sur la dévotion, mais que personne n’était moins impie que moi ; que, quoique ma fortune fût très médiocre après les services que j’avais rendus, je ne laissais pas d’avoir des envieux qui, ne me pouvant attaquer sur la fidélité au roi et sur le courage, parce qu’il eût été trop difficile de désabuser le public là-dessus, m’attaquaient sur le libertinage, contre la réputation duquel un homme de guerre ne s’est pas d’ordinaire si fort précautionné ; que cependant, je me soumettais à perdre la vie si l’on me pouvait convaincre d’avoir jamais fait la moindre action scandaleuse. La reine me dit qu’elle n’en doutait pas, qu’elle savait que j’avais toujours bien servi, et particulièrement dans la guerre civile ; {b} qu’il était vrai qu’on m’avait accusé d’être un peu libertin et même, d’avoir écrit quelque chose de ce caractère-là, ce qu’elle n’avait pas voulu croire. “ Parce, lui dis-je, Madame, qu’on croit que j’ai un peu d’esprit, mes ennemis me donnent tout ce qui se fait où il y en a, et surtout quand ce sont des choses qui me peuvent nuire. — Oh pour de l’esprit, Bussy, reprit la reine, vous en avez beaucoup. — J’en ai, Madame, lui dis-je, je l’avoue, mais je n’en ai pas tant qu’on dit. ” Cette conversation finit par mille bontés que la reine me témoigna et elle me dit, entre autres choses, qu’elle était absolument désabusée qu’il se fût rien passé à Roissy de mal à propos depuis que j’y étais arrivé. Cependant, le bruit de cette affaire diminuait au Louvre tous les jours et augmentait à la ville. »


  1. Repas qu’on prend au milieu de la nuit (v. note [14] de la Consultation 19).

  2. La Fronde.

Le 14 juillet suivant, Bussy-Rabutin recevait du roi une lettre de cachet lui intimant l’ordre de se retirer dans ses terres de Bourgogne.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 mai 1659, note 3.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0562&cln=3

(Consulté le 16/04/2024)

Licence Creative Commons