À André Falconet, le 20 mars 1667, note 3.
Note [3]

« voyez Lipse, centurie i, épître 4. »

Guy Patin renvoyait André Falconet à la fin de la lettre iv, centurie i (pages 4‑5) du Iusti Lipsii Epistolarum selectarum Chilias [Millier d’épîtres choisies de Juste Lipse]. {a} Elle est datée d’Overijse, {b} le 1er juillet 1585, et adressée au philologue hollandais Gerardus Falkenburgius. Lipse s’y plaint de la tyrannie des gouvernants et parlant de Cologne, déplore le peu de liberté des villes de l’Empire :

Sed revera (dicendum est) peccamus multi in hanc partem, provocamus pericula ; et lacessimus sæpe imperantes vana quadam specia aut superbæ libertatis, aut incautæ pietatis. Modestia autem est quæ Deo placitan et his qui dij in terris. Reges ut fulmina esse didici : dura frangere, mollibus plerumque illæsis. Itaque hæc tempora, ut nimbum, habeo : donec desævierint, latito et me tego. Nec nimium tamen de sævitia illorum queror : quia scio exoriri posse deteriora. Rusticulus ille mihi in mente : qui diu de Antigono rege vivo questus, cum obiisset sucessore peiore : terram laboriose invertens, et votorum iam pœnitens, Antigonum, inquit, refodio. Faxit et ille deus, ut hic turbæ nostræ stent, neu brevi procellæ ingruant sæviores.

[Mais en vérité, il faut bien le dire, nous péchons beaucoup en cette matière, nous provoquons les dangers et souvent nous indisposons ceux qui nous gouvernent par quelque stupide sorte d’impudente liberté ou d’imprudente soumission ; or c’est la modération qui plaît à Dieu, et ceux qui le représentent sur terre m’ont appris que les rois sont comme la foudre : ils brisent ce qui est solide, sans la plupart du temps faire de mal à ce qui est fragile. C’est pourquoi je tiens ces temps pour un orage : je me cache et m’abrite jusqu’à ce qu’ils s’apaisent. Pourtant, je ne me plains pas trop de leur fureur car je sais bien que de pires peuvent nous venir. J’ai à l’esprit ce paysan qui s’était longtemps plaint du roi Antigone vivant ; {c} quand un pire lui eut succédé, labourant péniblement sa terre, il dit, en regrettant alors ses imprécations, « Je cherche à déterrer Antigone ». {d} Puisse surtout ce dieu faire que nos troubles s’en tiennent là et que de plus furieux orages ne fondent pas bientôt sur nous].


  1. Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271.

  2. Ville natale de Lipse, v. note [15] du Grotiana 1.

  3. Un des généraux d’Alexandre le Grand, issu d’une famille noble macédonienne, Antigone le Borgne (Antigonos monophtalmos en grec) devint satrape de Phrygie à la mort d’Alexandre (323 av. J.‑C.) et aspira à régner sur l’Empire. S’étant proclamé roi d’Asie en 305, il déclencha la révolte des quatre satrapes les plus puissants (Ptolémée, Séleucos, Cassandre et Lysimaque) qui mit tout le pays à feu et à sang. Antigone fut battu et tué à la bataille d’Ipsos en 301. Les querelles des quatre prétendants à sa succession plongèrent l’Asie Mineure dans des calamités bien pires encore que ce qu’elle avait connu sous Antigone.

  4. Les R.P. Aloysii Novarini Veronensis Clerici Regularis Adagia Formulæque proverbiales, ex Sanctorum Patrum, Ecclesiasticorumque Scriptorum Monumentis accurate proptæ… [Adages et Formules proverbiales que Le R.P. Aloysius Novarinus, {i} clerc régulier natif de Vérone, a tirées des œuvres des saints Pères de l’Église et des écrivains ecclésiastiques…] (Vérone, Typis Merulianis, 1651, in‑fo, tome i), ont repris ces mots dans l’adage 1584, page 496, Antigonum refodere [Déterrer Antigone] :

    Tractator ex nostris insignis nostri ævi ærumnas describens ait inter alia : Sed eo iam ventum est, ut Antigonus sit refodiendus, cum ita magnæ sint ærumnæ, ut graviores sint timendæ. Ortum ab historia hoc dictum habet, quam refert, et huic sensui aptat Lipsius quoque epist. ad Gerartum Falkenburgium, in qua ita loquitur : […].

    [Décrivant les misères de notre siècle, un de nos célèbres exégètes dit entre autres choses : On en est déjà arrivé au point qu’il faille déterrer Antigone, car si grandes que soient les misères, il faut en craindre de pires. {ii} Ce dicton vient d’une histoire qu’on raconte, et dont Lipse se sert aussi avec ce sens quand il dit, dans une lettre à Gerartus Falkenburgius : (…)]. {iii}

    1. V. note [46], lettre 166.

    2. Je n’ai pas identifié le célèbre tractator [exégète] que citait Novarinus.

    3. Novarinus conclut son article en recopiant l’extrait de Lipse cité ci-dessus, de Reges ut fulmina… à …procellæ ingruant sæviores.

    Faute de mieux, je conclus que, comme le laissait entendre Patin, Lipse (né en 1547) est le probable inventeur du proverbe qu’il servait à son correspondant, en pensant que, s’il l’avait connu, Érasme n’aurait pas manqué de le colliger dans ses Adages (1536).


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 mars 1667, note 3.

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(Consulté le 29/03/2024)

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