Autres écrits : Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : x, note 3.
Note [3]

Je n’ai pas trouvé le chalcanthum, ancien nom latin (χαλκανθος, khalcanthos en grec) du vitriol (v. note [13], lettre 336), dans le chapitre iii, Stomachica medicamenta ab Asclepiade in primo internorum conscripta [Médicaments stomachiques qu’Asclépiade (de Bithynie) a décrits dans son premier (traité) des (maladies) internes], livre viii, du traité de Galien « sur la Composition des médicaments selon les lieux affectés » (Kühn, volume 13, pages 140‑167). Les patientes recherches de Marie-France Claerebout m’ont heureusement guidé vers le chapitre v, De ocularium medicamentorum viribus [Effets des médicaments ophtalmiques], livre iv du même traité, qui cite le chalcanthum, mais sans le qualifier de poison (Kühn, volume 12, page 721, traduit du grec) :

vehementer astringens medicamentum, quemadmodum aliqui chalcanthum neutro genere appellatum, atque etiam ut aliqui usurpant, chalcanthum tum masculino tum muliebri genere, quod ad astringendum una cum acredine vehementissimum inter hæc omnia medicamentum existit. Manifestum est autem quod multo moderatius redditur ustum et lotum.

[le chalcanthum est un médicament extrêmement astringent ; certains lui donnent le genre neurtre, mais d’autres en font aussi un mot masculin ou féminin ; par son âcreté unique, il est le plus puissant astringent de tous les médicaments. Son effet est manifestement fort atténué après qu’il a été brûlé et lavé].

Galien a surtout donné une longue et fort intéressante description de cette substance dans le chapitre ii, § 34, De atramento sutorio [Du noir de cordonnier (autre nom latin du chalcanthum)], livre ix de son traité de simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus [sur les tempéraments (propriétés) et facultés des médicaments simples]. V. Kühn, volume 12, pages 238‑240, pour la transcription grecque et la traduction latine de ce surprenant passage consacré à la métallurgie du cuivre :

Forte fortuna et chalcanthum in chalcitin transire conspexi. Asportavi enim ex Cypro et hujus medicamenti ingentem copiam. Extimum ejus omne post annos plus minus viginti chalcitis effectum est, intima ejus parte chalcanthi speciem servante. Quamobrem et usque in hunc diem quod sic mutatur asservo, observans dum ad imum usque volventibus annis procedat mutatio, ceu chalcitidis quoque in mily, ut est ante positum. Cæterum mirari subit de hoc mediamento, quo pacto vehementissimæ astrictioni admixta est caliditas non instrenua. Constat ergo quod omnium maxime condire servareque carnes humidas potest, nimirum caliditate humiditatem absumens, atque astrictione substantiam contrahens atque constipans, hoc enim opere nonnihil etiam humiditatis ipsius exprimit. Constringit vero, desiccat atque contrahit in sese totius substantiam carnis. Porro quo tempore in Cypro diversabar, hunc in modum medicamentum hoc colligi conspexi. Domus erat magna quidem, sed humilis ingressui in metallum objecta. Ad parietem autem domus sinistrum, qui erat ingredientibus dexter, effossus erat specus in continentem collem ea latitudine, ut tres sese viri in eo contingerent, tanta vero altitudine, ut viro summe procero recto liceret incidere. Specus hic declivis quidem erat, non tamen præceps ac præruptus. Porro ad finem ejus quasi in stadium porrecti lacus erat aquæ viridis et crassæ tepidæ plenus. At in toto descensu calor similis qualis in primis balneorum ædibus percipitur, quas promalacteria appellare consueverunt. Aqua vero quotidie guttatim ex pertuso colle destillans, quatuor et viginti horis totius diei ac noctis colligi assolet ad amphoras Romanas quasi octo. Eam vincti quidam in piscinas quasdam quadratas fictiles, in domo ad ingressum posia sitas efferebant, in quibus paucis diebus concrescebat, fiebatque chalcanthus. Mihi vero, ubi ad terminum effossi specus descendissem, ubi videlicet tepida hæc viridis aqua colligitur, aëris odor visus est suffocans et toleratu difficilis, chalcitin æruginemque redolens. Et aqua quoque gustu præferebat qualitatem ejusmodi. Eapropter et nudi et cum summa festinatione amphoras vincti exportabant, nec longiorem illic moram perferre poterant, sed celeriter recurrebant. Accensi autem erant mediocribus in specu intervallis lychni, qui nec ipsi longo tempore durabant, sed celerrime extinguebantur. Hunc ergo specum pedetentim excavatum multis annis ab iis tunc didiei. Hæc enim inquiebant aqua viridis, quam vides ex colle in lacum manantem, sensim se ipsa minor effici assolet. At ubi prope adest ut desinat, rursum vincti, quod continens est ipsius collis perfodere pergunt. Evenitque aliquando olim in subito quicquid perfossum esset concideret, omnesque ad unum occideret ac totam viam corrumperet. Id ubi sit alio formanini fodiendo eousque insistunt, quoas rursum aqua illis adsit. Hæc habui quæ tibi de chalcantho exponenda censerem, et sane fortasse non necessaria, cæterum quæ scire præstaret quam ignorare. Memineris autem quod ad sinistram manum ingredientibus conspectum nobis dixerim metallum foreos, chalciteos et misyos, ut ex iis conjicere liceat aquam pluviam totius collis terram illam colluere atque abluere, ex qua sponte quidem fiebat sory, misy et chalcitis, et per fornaces aës, cadmia, pompholyx, spodium et diphryges.

Une version française très fidèle (quoique plaisamment surannée) s’en lit dans les Deux livres des Simples de Galien, traduits par Jean Canape (Paris, 1555, v. note [6], lettre 6), pages 177‑181 :

« Calcanthos, ou calcanthum : id est atramentum sutorium, vulgo vitriolum. {a}

J’ai vu par cas de fortune calcanthum transmué en chalcitis, {b} car j’en ai apporté une grande quantité de Chypre, {c} dont toute la partie extérieure, vingt ans après, ou plus ou moins, est devenue en chalcitis ; toutefois, la partie intérieure gardait l’espèce de chalcanthum. Par quoi, jusques à ce jourd’hui ce qui est ainsi mué, en observant et prenant garde jusques à ce que la mutation procède à la profondité ; et ce par succession de temps. Comme aussi j’observe la mutation de chalcitis en misy, ainsi que dessus a été dit. {d} Toutefois, je m’ébahis de ce médicament, comme il est possible qu’une grande chaleur soit mêlée avec une véhémentissime astriction. {e} Il est donc manifeste que chalcanthum, sur toutes choses, peut conduire et garder les chairs humides, c’est à savoir en consumant l’humidité par sa chaleur, et en retirant et constipant {f} la substance par son astriction ; car, en cette opération, il exprime aussi quelque humidité de ladite substance. Item, {g} il restreint et dessèche, et retire en soi la substance de toute la chair. Or, du temps que j’étais en Chypre, j’ai vu amasser ce médicament à la manière qui s’ensuit. Il y avait une grande maison, laquelle toutefois était basse, au-devant de l’entrée, pour aller au métal ; {h} mais vers la paroi sénestre de ladite maison (laquelle était dextre à ceux qui y entraient), {i} il y avait une caverne vers la montagne contiguë, de si grande largeur que trois hommes pouvaient entrer se touchant l’un l’autre ; et de si grande hauteur qu’un homme bien grand s’y pouvait bien promener tout droit. Cette caverne était déclive ou descendante, non pas toutefois plane et unie, mais rompue en plusieurs lieux. {j} Et à la fin de ladite caverne (laquelle était quasi longue d’un stade), {k} il y avait un lac, où il y avait une eau verte et grosse d’une chaleur tépide. {l} Mais en toute la descente, il y avait une chaleur telle que l’on sent aux premières maisons des bains (lesquelles sont appelées en grec promalactêria), pour ce qu’en icelles, on a accoutumé d’amollir premièrement les corps. {m} Mais l’eau distillant tous les jours goutte à goutte de la montagne percée est amassée par l’espace de vingt-quatre heures, qui est tout le jour et la nuit, à la quantité de huit amphores romaines ‘ce sont vaisseaux) {n} ou environ. Laquelle eau, aucuns serfs {o} liés ensemble apportaient en certaines piscines carrées et fictiles (c’est-à-dire faites de terre cuite), lesquelles étaient situées en la maison qui était à l’entrée ; esquelles piscines, ladite eau se concressait ou congelait, et devenait chalcanthum. Or, quand je fus descendu au bout de ladite caverne fouie, {p} c’est à savoir là où était cette eau tiède et verte, je sentis une odeur d’airain suffocante et difficile à endurer, laquelle sentait l’odeur de chalcitis et d’ærugo ; {q} et aussi, au goût, elle avait telle qualité. Pour cette cause, lesdits serfs étaient tout nus et, avec grande diligence, apportaient lesdites amphores, ou vaisseaux, ne pouvant longtemps demeurer là, ains subitement s’en allaient courant. {r} Item, {g} il y avait en quelques médiocres intervalles de {s} ladite caverne des lampes allumées, lesquelles ne pouvaient pas durer longuement, mais incontinent étaient éteintes. Or je sus lors desdits serfs comment cette caverne avait été cavée et fouie peu à peu, par plusieurs années, lesquels me disaient en cette manière : Vois-tu bien cette eau {t} verte, laquelle flue de la montagne dedans le lac, elle a de coutume de se diminuer peu à peu ; mais quand ce vient près d’être deffault, {u} derechef, lesdits serfs fouissent ladite montagne. Or, il est advenu le temps passé que tout ce qu’ils avaient foui et cavé venait en ruine et tuait tous lesdits serfs jusques à un, {v} et gâtait tout le chemin. Et quand cela advient, ils s’en vont fouir en un autre lieu, tant qu’ils aient derechef trouvé l’eau. J’ai bien voulu te déclarer ces choses quand au chalcanthum, lesquelles, possible, n’étaient pas nécessaires à raconter ; toutefois, mieux vaut les savoir que les ignorer. Toutefois, aie mémoire de ce que t’ai dit : c’est qu’en entrant à la main sénestre, j’ai vu sory, chalcitis et misy, à celle fin, que tu conjectures, que la pluie lave la terre de toute ladite montagne ; de laquelle terre, sory, misy et chalcitis étaient faits naturellement et de soi-même ; mais l’airain, cadmia, pompholyx, spodium et diphrygès {w} sont faits par artifice aux fournaises. »


  1. « Le calcanthum ou noir de cordonnier, vitriol en français. »

  2. Le chalcitis (ou chalcite), de khalkos, cuivre en grec, est une « espèce de minéral qui est rouge comme le cuivre, friable et non dur, ayant des veines jaunes et luisantes au-dedans. Il a le goût du vitriol ; il se fond au feu lorsqu’on le met seul dans un creuset et se dissout aisément dans les liqueurs aqueuses. Il y a deux autres minéraux appelés misy et sory, qui sont fort semblables au chalcitis. Toute leur différence ne consiste que dans la ténuité ou grossièreté de leur substance. Ils se trouvent tous trois dans les mines de cuivre, et même ils se changent avec le temps l’un en l’autre. Le sory a les parties les plus grossières, le chalcitis vient après, et ensuite le misy, dont les parties sont les plus ténues. Le misy se forme sur le chalcitis, comme le verdet [vert-de-gris] sur le cuivre ; c’en est proprement la rouillure. Le chalcitis se forme de la même manière sur le sory. On trouve ces trois sortes de minéraux en Allemagne. Le chalcitis est un des ingrédients de la thériaque ; on a de coutume de lui substituer le vitriol calciné. Ces trois minéraux sont caustiques et escarrotiques ; c’est pourquoi on ne les donne point intérieurement. Par la même raison, bien des gens voudraient qu’on retranchât le chalcitis de la thériaque » (Trévoux). Pour Littré (DLF), la chalcite est le sulfate de cuivre.

  3. L’île de Chypre (Kupros en grec) est à l’origine du mot latin cuprum, cuivre, en raison des riches gisements de ce métal qui ont assuré sa renommée et sa fortune dès la plus haute Antiquité.

  4. Le paragraphe sur le misy et le sory est traduit pages 165‑168 de l’ouvrage.

  5. Astringence (v. note [30], lettre 222).

  6. Resserrant.

  7. Pareillement.

  8. Pour entrer dans la mine.

  9. Sénestre, gauche ; dextre, droite.

  10. La galerie (caverne) de la mine s’enfonçait par gradins.

  11. Mesure de longueur antique équivalant à 180 mètres.

  12. Une eau verte, trouble et tiède.

  13. Promalactêria, mot dérivé de malaktêr, qui ramollit, et pro, au préalable.

  14. Récipients dont le volume ordinaire était d’une vingtaine de litres.

  15. Des esclaves.

  16. Creusée dans la montagne.

  17. L’airain est le vieux nom du cuivre et l’ærugo, celui du vert-de-gris (rouille du cuivre).

  18. Mais s’en allaient prestement en courant.

  19. De loin en loin dans.

  20. Pour la cohérence du texte et par fidélité à la traduction de Kühn, qui emploie ici le mot aqua, j’ai remplacé « caverne » par « eau ».

  21. Se tarir.

  22. Jusqu’au dernier. Les réflexions attentives de Galien sur les risques professionnels en font ici un précurseur de la médecine du travail.

  23. Le cuivre, la calamine (oxyde de zinc), l’arsenic blanc, le spode (oxyde de zinc, du grec spodos, cendre) et le marc de bronze ou tutie (oxydes mêlés de zinc, fer, plomb, cadmium, etc.).

Dans tout ce chapitre, Galien réservait apparemment le chalcanthum et ses dérivés (chalcitis, misy et sory) aux traitements externes, mais sans les qualifier de poisons (venins). On comprend aisément l’embarras que les ennemis de la médecine chimique, comme Guy Patin et Charles Guillemeau, éprouvaient à voir que leur idole avait porté tant d’intérêt aux remèdes métalliques, 14 siècles avant Paracelse. On comprend aisément pourquoi : (1) Patin a préféré ignorer ces faits dans les écrits qui sont entièrement de sa plume ; (2) Canape a traduit en français ce livre de Galien ; et (3) la vraie chimiatrie galénique n’a pas été directement référencée dans la présente observation.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : x, note 3.

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(Consulté le 29/03/2024)

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