À Charles Spon, le 18 janvier 1644, note 30.
Note [30]

Allusion à un passage de la lettre qu’Érasme, âgé de 65 ans, a envoyée de Fribourg, le 13 mars 1534 (deux ans avant sa mort), à Cornelius Grapheus :

Me discruciat novum malum podagra, seu panagra verius. Adeo pertentat omnes artus, aliunde alio migrans, ut vix unquam detur respirare. Negant esse podagram, sed sui generis esse malum, quo nunc hic laborent complures. Vulgo Souch appellant. Tot cruciatibus, tot modis fractum senile corpusculum non poterit diu esse par.

[Un mal nouveau me torture ; c’est la podagre, ou plus véritablement la panagre. Elle affecte tous les membres, migrant d’un endroit à l’autre, à tel point qu’il ne m’est presque jamais donné de reprendre haleine. Ils disent que ça n’est pas la podagre, mais quelque maladie particulière dont beaucoup souffriraient ici maintenant. Ils l’appellent Souch en allemand. Mon vieux petit corps, brisé par tant de supplices et de tant de façons, ne pourra pas résister longtemps].

Le mot goutte a servi à qualifier toutes les inflammations (v. note [6], lettre latine 412) aiguës des articulations (arthrites) ; son emploi remonte à l’écrit d’un certain Radulfe, au xiiie s. On considérait la goutte comme résultant de l’afflux d’un liquide, distillé goutte à goutte sur le lieu malade. À présent on n’appelle plus goutte que les arthrites spécifiquement dues à une précipitation cristalline d’acide urique. Son lieu le plus commun est la racine du gros orteil (goutte podagre, du pied) ; l’atteinte du genou valait à la maladie le surnom de mal Saint-Genou (Antoine Oudin, Curiosités françaises pour supplément aux dictionnaires) ; on parlait au xviie s. de chiragre pour la goutte des mains, et de panagre (παναγρα) pour celle qui touche tout le corps (cas d’Érasme). La cible viscérale la plus redoutée de la goutte proprement dite est l’appareil urinaire, par la formation de calculs (lithiase urique) qui peuvent obstruer les reins.

À l’époque de Guy Patin et jusqu’au xixe s., on attribuait à la goutte une constellation de manifestations extra-articulaires, pouvant toucher à peu près tous les organes du corps humain : « mutations et conversions dans lesquelles la goutte, comme affection essentiellement arthritique, semble se transformer en toute autre maladie » (Guilbert in Panckoucke). La foule immense des manifestations qu’on décrivait alors appartenait, selon les circonstances de leur survenue, au cadre de la goutte rétrocédée, remontée, rentrée, masquée, larvée ou supprimée. Suppression signifie ici rétention : « se dit des humeurs qui sont retenues dans le corps, qui causent des obstructions, des maladies » (Furetière).

On a abandonné ces vocables, mais on reconnaît toujours aux rhumatismes chroniques (polyarthrite rhumatoïde, lupus, etc.) la capacité d’affecter les autres parties du corps, ce qui aboutit au cadre, encore bien flou, des maladies inflammatoires multisystémiques (faute d’en avoir identifié les causes). Patin a souvent évoqué la goutte dans ses lettres, et sa victime la plus célèbre y a été le cardinal Mazarin qui mourut d’une insuffisance rénale consécutive à sa maladie (v. note [6], lettre 687).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 janvier 1644, note 30.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0099&cln=30

(Consulté le 16/04/2024)

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