À Charles Spon, le 5 juillet 1652, note 30.
Note [30]

Le combat du faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652, mit fin à la ronde effrénée que menaient les armées du roi et des princes autour de Paris depuis la victoire de Condé à Bléneau le 7 avril (v. note [17], lettre 285). Avec la fusillade de l’Hôtel de Ville qui en fut la conséquence, le 4 juillet, ce fut l’événement qui discrédita le parti des princes et enclencha la reprise en mains des affaires par la Couronne et, dans l’année qui suivit, l’extinction de la Fronde (1648-1653).

La Rochefoucauld (Mémoires, pages 281‑287), qui combattait aux côtés du prince de Condé, a donné une relation de première main du combat. Voulant gagner Charenton (à l’est de Paris), Condé avait fait partir ses troupes (cinq à six mille hommes) des alentours de Poissy (à l’ouest) en fin de journée le 1er juillet. Son armée avait contourné Paris par le nord, de la porte Saint-Honoré à la porte Saint-Antoine. Aussitôt cette marche connue, les troupes du roi (douze mille hommes), commandées par Turenne, avaient quitté leurs positions au nord de Paris (vers Roissy et Senlis) pour aller couper la route aux condéens. Au matin du 2, les ennemis étaient face à face. Condé s’était barricadé dans le faubourg Saint-Antoine, occupant les retranchements « que les bourgeois y avaient faits quelques jours auparavant pour se garantir d’être pillés par les troupes de M. de Lorraine », mais dangereusement acculé contre le rempart de la porte Saint-Antoine, fermée et gardée par des soldats du roi. Les canons de la Bastille étaient tournés vers Paris pour décourager toute velléité des habitants à venir au secours de M. le Prince. Turenne était à Charonne et lança l’attaque. Condé en personne, « l’épée à la main », mena deux sorties qui permirent de repousser les assaillants. Toute la journée, infanterie et cavalerie s’entretuèrent autour des barricades, couvertes par tireurs logés dans les maisons. La confusion qui régnait partout tourna en défaveur des princes :

« Enfin, les troupes du roi avaient forcé la dernière barricade de la rue qui va de celle du Cours à Charenton, et qui était 40 pas au delà d’une fort grande place {a} qui aboutit à cette même rue. Le marquis de Navailles s’en était rendu maître et pour la mieux garder, il avait fait percer les maisons proches et mis des mousquetaires partout. M. le Prince avait dessein de les déloger avec de l’infanterie et de faire percer d’autres maisons pour les chasser par un plus grand feu, comme c’était en effet le parti qu’on devait prendre ; mais le duc de Beaufort, qui ne s’était pas rencontré auprès de M. le Prince au commencement de l’attaque et qui sentait quelque dépit de ce que le duc de Nemours y avait toujours été, pressa M. le Prince de faire attaquer la barricade par de l’infanterie ; et comme cette infanterie était déjà lassée et rebutée, au lieu d’aller aux ennemis, elle se mit en haie le long des maisons sans se vouloir avancer. Dans ce temps, un escadron des troupes de Flandre, posté dans une rue qui aboutissait au coin de cette place du côté des troupes du roi, ne pouvant y demeurer plus longtemps de peur d’être coupé quand on aurait gagné les maisons voisines, revint dans la place. Le duc de Beaufort, croyant que c’étaient les ennemis, proposa aux ducs de Nemours et de La Rochefoucauld, qui arrivaient en ce lieu-là, de les charger. Ainsi, étant suivis de ce qu’il y avait de gens de qualité et de volontaires, on poussa à eux, et on s’exposa inutilement à tout le feu de la barricade et des maisons de la place ; mais voyant en même temps quelque étonnement parmi ceux qui gardaient la barricade, les ducs de Nemours, de Beaufort, de La Rochefoucauld et le prince de Marcillac {b} y poussèrent, et la firent quitter aux troupes du roi. Ils mirent ensuite pied à terre et la gardèrent eux seuls sans que l’infanterie, qui était commandée, voulût les soutenir. M. le Prince fit ferme {c} dans la rue avec ce qui s’était rallié auprès de lui de ceux qui les avaient suivis. Cependant les ennemis, qui tenaient toutes les maisons de la rue, voyant la barricade gardée seulement par quatre hommes, l’eussent sans doute reprise si l’escadron de M. le Prince ne les eût arrêtés ; mais n’y ayant point d’infanterie qui les empêchât de tirer par les fenêtres, ils recommencèrent à faire feu de tous côtés et voyaient en revers, depuis les pieds jusqu’à la tête, ceux qui tenaient la barricade. Le duc de Nemours reçut 13 coups sur lui ou dans ses armes, et le duc de La Rochefoucauld une mousquetade qui, lui perçant le visage au-dessous des yeux, lui fit à l’instant perdre la vue, ce qui obligea le duc de Beaufort et le prince de Marcillac à se retirer pour emmener les deux blessés. Les ennemis avancèrent pour les prendre, mais M. le Prince s’avança aussi pour les dégager et leur donna le temps de monter à cheval. Ainsi, ils laissèrent aux ennemis le poste qu’ils venaient de leur faire quitter et presque tout ce qui les avait suivis dans la place fut tué ou blessé.

[…] Enfin, le nombre des officiers morts ou blessés fut si grand de part et d’autre qu’il semblait que chaque parti songeât plus à réparer ses pertes qu’à attaquer ses ennemis. Cette espèce de trêve était avantageuse aux troupes du roi, rebutées de tant d’attaques où elles avaient été repoussées. Durant ce temps, le maréchal de La Ferté {d} avait marché en diligence {e} et il se préparait à faire un nouvel effort avec son armée fraîche et entière. »


  1. Actuelle place de la Nation.

  2. Son fils.

  3. Attendit l’ennemi de pied ferme.

  4. La Ferté-Senneterre.

  5. Depuis Saint-Denis (v. note [27], lettre 166).


Mais la politique se mêlait intimement à la tactique militaire, et ce fut le coup de théâtre :

« Les Parisiens, qui jusque-là avaient seulement été spectateurs d’une si grande action, se déclarèrent en faveur de M. le Prince. Ils avaient été si prévenus des artifices de la cour et du cardinal de Retz, et on leur avait tellement persuadé que la paix particulière de M. le Prince était faite sans y comprendre leurs intérêts, qu’ils avaient considéré le commencement de ce combat comme une comédie qui se jouait de concert avec le cardinal Mazarin. M. le duc d’Orléans même les confirma dans cette pensée en ne donnant aucun ordre dans la ville pour secourir M. le Prince. Le cardinal de Retz, qui était auprès de lui, augmentait encore l’irrésolution et le trouble de son esprit en formant des difficultés sur tout ce qu’il proposait. D’autre part, la porte Saint-Antoine était gardée par une colonelle de bourgeois dont les officiers, qui étaient gagnés de la cour, empêchaient presque également de sortir de la ville et d’y entrer. Enfin, tout y était mal disposé pour y recevoir M. le Prince et ses troupes, lorsque Mademoiselle, faisant un effort sur l’esprit de Monsieur, son père, le tira de la léthargie où le tenait le cardinal de Retz. Elle alla porter ses ordres à la Maison de Ville {a} pour faire prendre les armes aux bourgeois ; en même temps, elle commanda au gouverneur de la Bastille de faire tirer le canon sur les troupes du roi ; et revenant à la porte Saint-Antoine, elle disposa non seulement tous les bourgeois à recevoir M. le Prince et son armée, mais même à sortir et à escarmoucher pendant que ses troupes rentreraient. Ce qui acheva encore d’émouvoir le peuple en faveur de M. le Prince fut de voir remporter tant de gens de qualité morts ou blessés. Le duc de La Rochefoucauld voulut profiter de cette conjoncture pour son parti et, quoique sa blessure lui fît presque sortir les deux yeux hors de la tête, il alla à cheval du lieu où il avait été blessé jusqu’à l’hôtel de Liancourt, au faubourg Saint-Germain, exhortant le peuple à secourir M. le Prince et à mieux connaître à l’avenir l’intention de ceux qui l’avaient accusé d’avoir traité avec la cour. Cela fit pour un temps l’effet qu’on désirait et jamais Paris n’a été mieux disposé pour M. le Prince qu’il le fut alors. Cependant, le bruit du canon de la Bastille produisit deux sentiments bien différents dans l’esprit du cardinal Mazarin ; car d’abord, il crut que Paris se déclarait contre M. le Prince et qu’il allait triompher de cette ville et de son ennemi ; mais voyant qu’au contraire on tirait sur les troupes du roi, il envoya ses ordres aux maréchaux de France pour retirer l’armée et aller à Saint-Denis. {b} Cette journée peut passer pour l’une des plus glorieuses de la vie de M. le Prince. Jamais sa valeur et sa conduite n’ont eu plus de part à la victoire. L’on peut dire que jamais tant de gens de qualité n’ont fait combattre un plus petit nombre de troupes ; mais jamais troupes aussi n’ont mieux fait leur devoir. On fit porter les drapeaux des régiments des gardes, de la marine, et de Turenne à Notre-Dame, et on laissa aller, sur leur parole, tous les officiers prisonniers. »


  1. L’Hôtel de Ville.

  2. V. note [27], lettre 166.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 juillet 1652, note 30.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0291&cln=30

(Consulté le 28/03/2024)

Licence Creative Commons