Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 32.
Note [32]

« Puisque, par amour, la Moret priait pour que les nuits fussent longues,
l’amour a exaucé ses vœux et lui en a accordé d’éternelles. »

Bayle a repris ce distique anonyme dans la note C de son article sur Alcmène, mère d’Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663), qui était le fruit mémorable de sa liaison adultérine avec Jupiter : le tout-puissant maître de l’Olympe avait pris tant de plaisir à sa nuit passée avec Alcmène qu’il en avait triplé la durée. Elle fut sa dernière maîtresse, car, dit le mythe, il renonça dès lors à s’accoupler avec des mortelles. La comtesse de Moret ne fut pas la dernière amante de Henri iv, mais ces deux vers établissent un parallèle (qui semble curieusement avoir échappé à Bayle) entre Hercule et leur fils, le vaillant comte de Moret, Antoine de Bourbon, bâtard légitimé du Vert Galant, né en 1607.

Sa mort est une pseudo-énigme historique : les biographes sérieux ont dit, comme Guy Patin, qu’il avait été tué lors de la bataille de Castelnaudary (1er septembre 1632, v. note [3], lettre 579), sans qu’on ait jamais retrouvé son corps. Toutefois, une note de l’éditeur du Patiniana sème le doute :

« On ne croit pas qu’il y fut tué, mais blessé seulement, et qu’il prit delà occasion de se retirer du monde, et se fit ermite sous le nom de frère Jean, où il a vécu longtemps après, et est mort en odeur de sainteté. Voyez la vie d’un Solitaire inconnu. »

De fait, La Vie d’un solitaire inconnu, mort en Anjou en odeur de sainteté, le 24 décembre 1691 (Paris, Urbain Coustelier, 1699, in‑12 de 334 pages) a raconté une tout autre histoire. Composée de trois livres, elle est attribuée au prêtre historien Joseph Grandet (1646-1724) : il a signé l’épître dédicatoire à l’évêque d’Angers (Michel Le Peletier), mais son nom ne figure ni dans la préface, ni dans le privilège.

Cette fable fait du comte de Moret le « Frère Jean-Baptiste, mort à l’âge de 90 ans dans l’ermitage des Gardelles, à deux lieues de Saumur ». Intitulé Il quitte l’armée et le monde. Occasion de sa retraite. Il embrasse la vie solitaire. il prend l’habit d’ermite et le nom de Jean-Jacques, le chapitre ii du livre i (pages 6‑11) procure de plus amples détails :

« Comme j’avais ouï dire qu’il était le comte de Moret, fils de Henri le Grand, aïeul de notre invincible monarque, {a} j’eus la curiosité, dans un de nos entretiens, de faire tomber le discours sur la bataille de Castelnaudary, qui se donna le premier septembre de l’année 1632, où M. le duc de Montmorency fut pris, {b} et où on prétend qu’Antoine de Bourbon, comte de Moret, fut tué. Il n’en fallut pas davantage pour faire parler ce bon vieillard, qui me dit en secret plusieurs particularités de ce combat, que les historiens n’ont pas rapportées ; mais entre autres choses, qu’étant entré dans le parti du duc d’Orléans, {c} il était à 30 pas de M. de Montmorency lorsque son cheval s’abattit sous lui, et qu’il fut arrêté prisonnier ; qu’alors il se souvint d’une prédiction qui lui avait été faite à la cour, qu’il s’embarquerait dans un parti dans lequel, s’il n’y prenait garde, il pourrait bien perdre la tête. Sur quoi, il se détermina à quitter le monde et se dit à soi-même (voici ses propres paroles) : “ Certes, je me mettrai si bas et me cacherai si bien qu’on ne viendra pas me chercher là où je serai. ” C’est pourquoi M. de Montmorency ayant été pris, et le reste de l’armée mis en déroute, il se sauva avec une douzaine de personnes de la première qualité, qui avaient suivi Monsieur {c} […]. Lorsque ces Messieurs furent en sûreté, il voulut attendre la nouvelle du sort de M. de Montmorency ; et ayant appris que l’arrêt de mort qu’on avait prononcé contre lui avait été exécuté dans la Maison de ville de Toulouse, notre solitaire crut que le temps d’accomplir son dessein était venu, et qu’il ne pouvait pas choisir une condition plus basse ni moins connue que celle d’ermite. Après qu’il m’eut fait ce petit récit, voyant bien qu’il s’était trop avancé, il changea de discours pour ne pas me donner le loisir d’y faire attention.

[…] En quelque lieu qu’il ait pris l’habit, il est constant qu’il embrassa l’Institut des ermites de la Congrégation de Saint-Jean-Baptiste, que le père Michel de Sainte-Sabine avait reformé à peu près dans le même temps que notre solitaire quitta le monde. »


  1. Louis xiv (dont une autre légende a prétendu que Moret était le père véritable).

  2. V. note [15], lettre 12, pour Henri ii de Montmorency, maréchal de France, sa rébellion contre Louis xiii et Richelieu, sa défaite à la bataille de Castelnaudary, suivie de son exécution à Toulouse, le 30 octobre 1632.

  3. Gaston d’Orléans, frère de Louis xiii et en lutte incessante contre le pouvoir royal, allié de Montmorency en cette malheureuse tentative.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 32.

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(Consulté le 28/03/2024)

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